#anthologie #04 | adresse connue

Choisir une demeure, une résidence, un appartement par goût ou par obligation…habiter quelque part, par nécessité vitale ou légale…on ne peut pas habiter où l’on veut et comme on veut…non on a juste le droit de regarder, de convoiter l’endroit de son repos, de son havre de sérénité…Elire un domicile n’est jamais un choix libre…les choix sont souvent réduits à des contraintes économiques ou légales…on choisit sa demeure parce que l’on a les moyens d’y habiter ou bien c’est la loi qui nous oblige à avoir un chez soi officiel pour des obligations fiscales ou sociales…l’adresse donne des droits…peu importe si on y vit..cette adresse élue peut être chez un tiers désigné, une association ou une simple boite postale…peu importe le choix de vie, assumé ou subi. On ne peut être libre sans une adresse convenue…pas d’adresse pas d’existence légale…un sans domicile fixe n’existe pas socialement…un David Thoreau pourrait il encore vivre librement dans nos sociétés?

Demeurer là, pour un temps indéterminé, faire corps avec un logis, habiter des lieux, y mettre de sa personne, y laisser une part de soi, de son âme. On y vit pour y laisser ou retrouver des souvenirs, disséminés ici et là, au fond d’une armoire d’un âge vénérable, dont on ouvre des portes dans un gémissement grinçant, pour en sortir des objets, des effets oubliés là et dont la pâtine du temps érode les couleurs originelles…y passer des moments proustiens, retrouver en ces lieux, les rires, les cris, les pleurs, les bruits et les odeurs du passé…demeurer quelque part, ici et là, ne va pas sans une certaine nostalgie d’un temps enfoui qui ne reviendra jamais…on laisse les lieux en l’état, « dans son jus », ne rien déranger, ni changer et le dernier sortant prend soin de bien refermer derrière lui, après s’être assuré que personne n’est resté…y revenir un jour…peut-être l’été prochain…dans dix ans ou jamais…

Résider là, quand on ne sait pas vraiment où aller…Habiter là par habitude ou par contrainte sociale parce que l’on est étudiant, personne âgée, un travailleur en déplacement ou encore un prisonnier en liberté surveillée…vivre dans des blocs d’immeubles superposés, construits en série, clônés même, le voisin du dessous connaissant les yeux fermés, la configuration des lieux qui le surplombent…espaces fonctionnels aux lieux de vie spécialisés, mêmes penderies, mêmes armoires, les WC près de la porte d’entrée, cuisine réduite à des fonctions culinaires basiques…pas possible d’y faire de la grande cuisine, avec beaucoup d’ustensiles et demandant beaucoup d’espace de travail pour y exercer ses talents…Vie sociale imposée par un voisinage qui nous ressemble, qui partage les mêmes préoccupations et les mêmes attentes…Ces temps de résidence, peuvent être une pause, rythmant des moments clefs d’une existence humaine…époque de relative insouciance quand on est étudiant, de réinsertion sociale quand on sort de prison ou bien étape finale lorsque l’on arrive en fin de vie…Résider quelque part est presque un passage obligé dans une vie d’homme.

Séjourner quelque part, lors de vacances, d’une expérience à l’étranger, de voyages mystiques ou autre n’englobe pas seulement un domicile, un lieu de vie…un séjour suppose un environnement, un espace physique d’échanges ou de liens, propices à un enrichissement, une quête personnelle ou un dépassement de soi..Cela peut être un repli dans un monastère pour un temps déterminé, passer une nuit dans un gîte de montagne, une immersion dans un lieu mythique etc…On rapporte toujours quelque chose avec soi de ces séjours, peu importe les endroits où l’on dormi…ce peut être un banal hôtel, un appartement éloigné, un gîte rustique…on peut très bien ne garder aucun souvenir de ces lieux de villégiatures…Ce qui compte dans ces séjours, c’est l’expérience vécue ou acquise qui peut marquer durablement notre mémoire bien des années après…

On peut aussi se nicher quelque part, choisir un lieu de vie dont on ne veut pas être délogé et que l’on cherche à rendre inaccessible… Ce peut être une maison à flanc de montagne ou au fond des bois, dont l’accès est rendu malaisé par la topographie des lieux, ou bien encore une maison en bordure de littoral malmenée par les intempéries…On doit les mériter pour y accéder. Ce sont des endroits calmes et sereins, vivant à leur rythme qui n’est pas celui de la ville…C’est un lieu pas forcément spacieux mais rassurant et protecteur…on peut être très heureux niché dans une couette douillette dans un coin de studio quelque part dans une métropole impersonnelle. C’est un espace que l’on ne cherche pas spécialement à partager…Il est toujours transitoire et temporaire mais qui nous appartient pleinement….

A propos de Laurent Damerval

En quête de mots et d'histoires à réinventer

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