#anthologie #03 | Presque pas cassée

Un joli plastique mat, élégant. Pas un de ces plastiques brillants, tape à l’oeil. Ces plastiques prétentieux, dont l’usure se fera par lèpre et se ternira écaille après écaille. Ce n’est pas non plus un de ces plastiques de luxe en acétate de cellulose, hors de prix. Non c’est une paire de lunettes de soleil dont la monture est en plastique mat, d’un noir à la limite du gris souris très foncé. 

La forme des verres, je devrais dire la forme des polycarbonates, est seyante. Car ce n’est pas du verre, ce sont des lunettes de soleil faites uniquement pour réduire la luminosité agressive, le verre n’est pas utile, il n’y a rien à corriger. Il n’est pas non plus question de regarder une éclipse de soleil. Donc les verres sont aussi en plastique, gris. Pas tout à fait ronds, légèrement aplatis sur le dessus. 

Mes lunettes me plaisaient énormément. Elles m’allaient bien. Posées sur le nez, les branches accrochées derrière les oreilles. Elles flottaient un peu, je n’osais en modifier l’arrondi de peur de les briser. Régulièrement, je les remontais en appuyant sur le petit pont de la monture joignant les deux verres gris. 

Elles me plaisaient, j’aimais ce moment où le ciel s’assombrissait lorsque je les posais sur le nez. 

Je les pensais, non pas solides, plutôt pas trop fragiles. Je les traitais sans respect. Je les maltraitais. Les ôtant, désinvolte, d’un main. Les posant n’importe où. Les accrochant, par une branche dans le col de mon tee-shirt. Les utilisant comme serre-tête pour retenir mes cheveux. 

Pour chacune des branches, une petite vis en acier assurait la jonction avec la partie de la monture entourant les verres. 

Un jour, l’une des deux vis est tombée, elle s’est perdue. J’ai gardé précieusement ma paire de lunette de soleil amputée d’une branche d’un côté et la branche orpheline de l’autre. J’espérais retrouver la vis. Puis j’envisageais un clou très fin ou alors un bout de fil solide. 

J’aimais beaucoup cette paire de lunette. Les réparations ne tenaient pas. Je n’osais plus promener ma paire de lunette préférée. 

Je finis pas la laisser dans la boite à gant, comme paire de secours pour les jours de soleil impromptu. 

Elle n’est presque pas cassée, mais conduire avec une paire de lunette amputée d’ une branche est difficile.         

A propos de Noëlle Baillon-Bachoc

Lectrice compulsive, attirée depuis le plus jeune âge par la littérature de l’imaginaire avec une prédilection pour le fantastique. Je me consacre à présent totalement à l’écriture. J’anime des ateliers d’écriture et des stages dédiées à la littérature de l’imaginaire.

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