#anthologie #03 | Le taille crayon à réservoir

Le taille crayon à réservoir m’attendait dans le tiroir. Le taille crayon Parisax Professional. J’ai vu ce taille crayon, je l’ai saisi dans ma main moite. J’attendais beaucoup de lui sans savoir vraiment quoi. Je l’entourais de toute ma main ce taille crayon, et puis j’ouvrais ma main et je le regardais. Un taille crayon avec deux tailles de crayon, des crayons pour femme, je veux dire des crayons pour maquiller les yeux, de deux tailles, une grosse et une moyenne. Je, je le regardais attentivement, j’imaginais la ligne parfaite  du crayon de couleur au dessus de mes paupières, taillée à la Parisax Professional. Mais je n’osais pas. Je n’osais pas introduire un quelconque crayon. Peut être avais-je peur de remplir son petit réservoir de copeaux et de devoir un jour aller jusqu’à la poubelle jeter son contenu. J’aurais pu faire entrer autre chose dedans. Autre chose comme du fil à retorde, comme un ruban, comme un fil électrique et m’amuser à le tailler. Il me tenait chaud dans le creux de la main le taille crayon à réservoir.

Je m’imaginais très bien me promener avec sans que personne ne le sache, dans la rue, avec sur moi le pouvoir de tailler toute sorte de chose.  Je l’aurais montré à certaines personnes très intimes, et je leur aurais expliqué que je pouvais tailler tout et n’importe quoi, même les idées aurais-je pu leur dire, même les idées les plus inavouables, je les aurais taillées en pointe, en pointe saillante et rétrécies.

Je ne savais plus pourquoi j’avais pris le taille crayon à réservoir dans ma main. Des fois je le changeais de main pour voir si je sentais une différence. A peine, par moment, ma main gauche ne le définissait pas exactement comme ma main droite, ce n’était pas le même poids, la même sensation.

Alors j’ai imaginé que je le déposais dans mon micro-onde et que je mettais le micro-onde en marche. Je savais qu’il y avait un risque avec le fer à l’intérieur, mais j’avais le désir de le voir fondre le taille crayon à réservoir, fondre jusqu’à obtenir une flaque de plastique noire mêlée de copeaux de bois de laquelle jailliraient quatre petites lames de fer. Je savais que je ne le ferai pas mais j’ai aimé imaginer les lames métalliques saillantes dans la mare noirâtre et l’explosion du micro-onde qui aurait peut-être mis feu à l’appartement. J’ai ouvert ma main gauche, j’ai j’ai dit tout haut Parisax Professional et j’ai remis le taille crayon dans le tiroir.

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