#anthologie #03 | disparus

Cela fait des jours que je suis à leur recherche, que j’inspecte chaque tiroir de mon bureau, chaque étagère de la maison, chaque recoin où j’aurais pu, par inadvertance les déposer, les abandonner, sans réaliser la difficulté que j’aurais ensuite pour y remettre la main dessus; je suis même allée regarder dans le tiroir à chaussettes, le tiroir à couverts, le meuble à jouets de ma petite-fille — où j’ai retrouvé des cartes qui avaient disparu depuis plusieurs semaines —, sous le lit, dans ma table de nuit, dans les poches de mes pantalons, dans un cartable, par terre, derrière les meubles enfin dans tous les endroits possibles ou franchement impossibles où j’aurais pu les poser comme faire un acte manqué, mais rien à faire j’ai eu beau retourner toute la maison, je n’ai pas retrouvé mes ciseaux, ceux qui restent d’ordinaire dans le pot à crayons sur mon bureau, ceux avec les manches orange et qui me sont réservés, que personne d’autre ne doit emprunter sans une demande en bonne et due forme, et sans qu’ils ne soient reposés à leur place après un usage limité dans le temps, ce sont mes ciseaux, que je possède depuis des années et que, jusqu’à présent j’avais toujours eu sous la main lorsque celà était nécessaire, et je ne peux supporter cette disparition dont je ne m’explique pas la possibilité puisque d’ordinaire j’en prends grand soin et ne les laisse pas traîner n’importe où, et là leur absence est tellement forte que j’ai rêvé cette nuit même qu’un groupe de personnes avait pénétré chez moi et cherchait à s’y installer alors même que j’étais présente dans la maison et que je les chassais en leur demandant de me restituer ce qu’ils avaient pris et notamment mes ciseaux à manches orange, que c’était des ciseaux qui découpaient parfaitement bien et qu’ils n’avaient pas le droit de les emporter, que j’en avais désespérément besoin, que sans eux la vie ne méritait pas d’être vécue, et que même si j’en avais d’autres paires dans des tiroirs ici ou là, c’était ceux-ci qu’il me fallait absolument, et s’il vous plaît rendez-moi mes ciseaux, et le groupe de gens repartait sans parler et sans me donner la paire de ciseaux, alors je me suis éveillée , et j’ai repris mes recherches dans la véranda où je me souviens les avoir utilisés un jour pour couper une feuille sur un rouleau de papier accroché au tableau de ma petite-fille et j’avais ensuite affiché la peinture sur le mur, je me suis dit que les ciseaux se trouveraient peut-être là, mais il n’en est rien, et à ce jour, à cette heure nulle trace de ma paire de ciseaux, et ma main cherche en vain à retrouver dans les autres paires de ciseaux qui survivent dans la maison à retrouver la position confortable qu’elle avait avec mes ciseaux orange, mais la manière de découper ne se révèle pas du tout identique, ils n’ont pas la même amplitude ni le même tranchant, et mon pouce et mon index se sentent mal à l’aise, comme dans des habits démesurés ou trop étroits, et découpant je pleure ma paire de ciseaux à manches orange qui m’allaient comme un gant, que peut-être je ne retrouverai jamais, mais non je ne vais pas abandonner les recherches, car il me reste encore le sous-sol et le jardin que je n’ai pas fouillés, et soudain l’idée que peut-être ils sont tombés, qu’ils ont glissé dans la poubelle de mon bureau par erreur, et cette poubelle je l’ai vidée hier dans la poubelle jaune et là plus d’espoir car les éboueurs sont passés ce matin.

A propos de Solange Vissac

Entre campagne et ville, entre deux livres où se perdre, entre des textes qui s'écrivent et des photos qui se capturent... toujours un peu cachée... me dévoilant un peu sur mon blog jardin d'ombres.

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