Le sable obscurcissait tout le pare-brise et tout le ciel, une fine poussière rouge, très fine poussière rouge. Pas question de la prendre, la fine poussière rouge ne se prend pas. Ou alors, peut être avec un aimant parce qu’elle est magnétique un peu la fine poussière rouge. Ne pas la prendre, mais la toucher. Apprivoiser la fine poussière rouge avec ses doigts en caressant le pare-brise, en dessinant, en écrivant, en laissant traces sur le pare-brise. Faire voyager la fine poussière rouge du pare-brise aux doigts. Sentir la douce et sèche finesse de la fine poussière rouge entre le pouce et l’index rougis par la fine poussière rouge. Ne pas aller jusqu’à goûter sa saveur saharienne en portant à sa langue la fine poussière rouge. Ne pas craindre pour autant la radio-activité du Césium 137 que transporte la fine poussière rouge. Ils le disent, c’est officiel : la radio-activité de la fine poussière rouge est trop faible; ce sont les particules fines qui sont nocives pour les poumons des mammifères. Entre le pouce et l’index, la fine poussière rouge, voyageuse du temps, me transporte. La fine poussière rouge vient de loin. Elle vient d’il y a longtemps la fine poussière rouge. Elle vient de Reggane, au centre du Sahara algérien, la fine poussière rouge. Elle est le fruit des quatre opérations Gerboise, menée par la France entre février 1960 et avril 1961, la fine poussière rouge radio-active. La très fine poussière rouge sur tout le pare-brise et dans tout le ciel, comme en mémoire.
4 commentaires à propos de “#anthologie #03 | les poussières de Gerboise”
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Merci Ugo, pour ce texte beau et terrible à la fois, qui nous fait aller de la poésie précise de la poussière et de ce qu’elle dessine, aux traces terrible qu’elle a laissée dans l’histoire. Très fort
me l’avez rendue presque chère la fine poussière rouge, l’ai touchée avec vous et elle revenait
..prendre le nom d’un rongeur à la couleur bleue pour une opération qui finira en poussière rouge…
Même dans le tragique, restons dignes et poètes de la vie, nous autres. Merci beaucoup pour ce rappel historique, empli de finesse, comme cette poussière, et qui n’est pas sans glissement implicite sur l’actualité.
Votre façon de faire passer un message ‘engagé’ (en lisant d’autres de vos textes) dans vos textes… et d’y glisser ce qu’il faut de sensibilité… ou parfois de distance, de liberté, de pointe d’humour.