#anthologie #O3 | Fossile

Où ramassé ? Collines à vignes de Champagne ou Bourgogne, j’ai un pied de chaque côté de la frontière. Fossile, mer lointaine, coquillage-pierre, plus petit que ma main qui l’a recueilli au sol, posé sur ma table, presse-papiers. Coquillage ou fragment, imaginer l’entier du fragment, prolonger mentalement les côtes jusqu’au point de jonction des deux faces, deux valves formant charnière, penser une coque beaucoup plus grosse que celles ramassées à Noirmoutier, l’île devenue appendice côtier depuis le pont… Objet calcaire, densité moyenne pour un caillou, moins qu’un galet de granit poli, doux aux paumes. Le mettre dans ma poche ? il va ballotter, heurter ma cuisse, former une grosseur, un relief dans mon pantalon, le garder à la main ? obligé de le poser, de le poser chaque fois que j’aurai un geste à faire, ne serait-ce que me déboutonner pour pisser dans la nature ?

Ramassé pourquoi ? Parce que je l’ai vu, reconnu témoin d’un monde disparu ? Ici était, avait été, aurait été une mer couvrant plaines et collines, il y a longtemps, ça doit se chiffrer en millénaires, en dizaines de, centaines de ? Ere secondaire, calcaires à fossiles, vignerons d’ici font savantasses, disent « kimméridgien », ornent leurs façades d’ammonites géantes déterrées par les lames des bulldozers, redessinent le relief pour simplifier leur travail, transforment anticlinal en synclinal, bouleversent les couches géologiques, ne se baissent pas pour ramasser un fragment de coque, mais pour vendanger le raisin. Centaines de travailleurs saisonniers embauchés pour les vendanges ; les tziganes ne veulent pas être nourris-logés, installés sur terrains sans toilettes ni eau courante, en bordure de rivière, pataugent dans l’argile dès qu’il pleut, font leur cuisine sur foyers au sol, tendent des cordes entre les arbres, linge bariolé sèche au vent, braconnent quelques truites, la Société de pêche ferme les yeux pour garder ces travailleurs pas chers.

Ramassé pour quoi ? Je ne suis pas géologue, je ne suis pas collectionneur de cailloux, même porteurs des traces du vivant, en outre, celui-là n’est pas rare, ni beau, pas plus original… Alors ? Rêver, imaginer, penser au chemin parcouru, disons depuis Noirmoutier pour arriver sur cette colline ? J’ai porté le bout de coquille jusqu’à la maison, je l’ai montré à mes enfants, nous avons parlé de la mer, de ces animaux transformés en fossiles, en cailloux tandis que leurs lointains descendants vivent encore dans l’océan où ils (mes enfants) aiment se baigner. Ramassé pour rien, offert à la poussière ; j’aurais dû le laisser sur place, auprès de ses semblables, avec eux « parler caillou » de ce bon (très) vieux temps où se laisser rouler par les marées d’équinoxe.

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