#anthologie #02 | on dirait que…

On dirait… on dirait que ça serait la nuit. Un rayon de lune tout laiteux entrerait par la vitre brisée d’une fenêtre bancale et s’étalerait directement, sans éviter les toiles d’araignées, au pied d’un escalier en bois vermoulu. De la poussière sur la rampe, de la poussière sur chacune des dix marches dans le champ de vision. A droite, un mur chargé de grandes photos de famille encadrées de moulures dont le doré est éteint dans la semi obscurité. Des aïeuls et des enfants. Au pied, des souris. Les lames du parquet feraient des vagues, de vieilles vagues sans écume, sans puissance. Des vagues qui dérangent l’harmonie d’un intérieur qui a dû être bien rangé. Un canapé couvert d’un drap clair, et deux petits fauteuils-crapaud lui faisant face. Une table basse, un napperon en dentelles et un vase en opaline avec un bouquet de fleurs séchées prisonnières d’un filet si fin et si solide patiemment tissé par une araignée troublée par le rayon de la lampe torche qui balaie la pièce. Dans le coin, loin de la fenêtre, une silhouette immobile. Une silhouette insolite. Robe longue et chapeau à larges rebords. De dos. Au-dessus, sur le mur, un tableau. Une peinture. Un paysage au centre duquel trône un manoir. On dirait … on dirait que ça serait cette maison… cette maison dont on découvre un petit salon du rez-de-chaussée. Et le long du mur à gauche, deux petites armoires vitrées aux battants brinquebalant. L’une déborde de livres à la reliure en cuir couverte de moisissures, mis en dessus-dessous, l’autre présente une collection de débris d’objets en verre. Des chevaux, des dauphins, des libellules, des coupelles finement ciselées et des carafons en bec de canard. Ça sentirait le moisi. Ça sentirait le renfermé, le salpêtre, le vieux. Tous les meubles, petits, reliés entre eux par les toiles d’araignée. La silhouette aussi. Dans le halo de lumière de la torche, les couleurs surgissent, fanées certes, mais témoignant d’un lustre passé. La rampe de l’escalier est en bois foncé, défoncée par le temps, les photos de familles, en sépia, les lames du parquet sont ternies par la poussière qui les recouvre, le drap sur le canapé présente des trous par lesquels apparait la couleur pourpre, couleur qui répond au rouge délavé des fauteuil-crapaud, et le vase en opaline sur la table basse et sous le rayon de lumière… on dirait… on dirait qu’il serait vert-anis, comme est vert-anis le châle qui surgit sur les épaules de la silhouette immobile, au chapeau violet et à la longue robe, noire. Le tableau aussi est fané mais les murs du manoir n’y présentent aucune fissure, aucun délabrement. Et le rayon de lune se retire, et on dirait… on dirait qu’on reviendrait faire des photos un autre jour… dans un autre texte

A propos de Claudine Dozoul

Se balade entre écriture et pratiques artistiques diverses. Animatrice depuis longtemps d'ateliers d'écriture.

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