#anthologie #prologue | Choses dues

Le devoir de naître garçon, le devoir de ne pas tomber malade, le devoir d’obéir, de boire du lait, le devoir d’embrasser, sourire, dire bonjour, de ne pas pleurer, écouter, attendre que les heures passent au tic-tac de la pendule, attendre que quelqu’un se réveille, que la porte s’ouvre, le devoir d’accepter ce que l’on donne, le devoir de dire uniquement ce qu’il faut, le devoir d’être propre, d’entendre des menaces qui résonnent, le devoir de comprendre un non, le devoir de ne pas dépasser la ligne invisible, le devoir d’écouter les récriminations sans broncher, le devoir de tout comprendre, de se contenter, le devoir de ne pas avoir d’opinion, jusqu’à un certain âge on sourit encore, le devoir d’apporter de bonnes nouvelles, le devoir de remercier ce que l’on nous donne, le devoir d’arriver toujours à l’heure, de se faire couper les cheveux, d’aller se coucher sous consigne préalablement annoncée, de ne pas lire, de laver la vaisselle, d’anticiper ce qui n’a pas encore été demandé, le devoir d’accepter que ce n’est jamais bien, que ce n’est jamais cela, le devoir de comprendre que les compliments n’existent pas, le devoir de ne pas aimer, le devoir de mentir, de cacher, de partir, le devoir de ne plus appartenir,  jusqu’à un certain âge on sourit encore, au devoir de s’évader, de ne pas ressembler, au devoir de croire à un air de liberté, le devoir de fuir les pièges à rats, mais au détour du chemin, on ne sourit plus, on se tait, on accomplit, on accepte, un ver qui nous ronge le cœur, quelqu’un dit quelque part que l’on a été massacrée, on pense au poids du devoir sur ce qui aurait pu mais ne l’a pas été, au temps que l’on a passé sans comprendre, au temps que l’on a passé à sourire quand il y avait mieux à faire, le devoir de s’entêter, de résister, le devoir de voir le corps se déformer, un bras plus long que l’autre, celui qui a tout donné, la tête à moitié creuse de ne plus penser, les yeux vidés d’enfance, le devoir, quand il ne reste plus rien, ni pourquoi, ni comment.   

A propos de Helena Barroso

Je vis à Lisbonne, mais il est peut-être temps de partir à nouveau et d'aller découvrir d'autres parages. Je suis professeure depuis près de trente ans, si bien que je commence à penser qu'autre chose serait une bonne chose à faire. Je peux dire que déménagement me définirait plutôt bien.

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