#anthologie #02 | la salle

Allongée sur le divan, caché par la porte qui ouvre sur cette salle salon chambre – rien n’est bien défini –, où elle reposerait pour une sieste d’un après-midi d’été. Le dessus de lit jaune soleil serait rabattu sur ses pieds, le visage de l’enfant tourné vers la droite comme s’il regardait l’étagère de livres près du lit. Les livres, dans l’immobilité que l’on sait, patienteraient encore un peu, avant qu’une main amie ne vienne s’emparer de l’un d’entre eux. Au-delà de cette bibliothèque, une méridienne, d’un autre temps, à la tonalité d’un rouge carmin, crevassé de grosses fleurs jaunâtres, étirée en une diagonale assez théâtrale, avec le repose jambes légèrement décalé de l’assise. Des portes de placard – ne seraient-elles pas jaunes elles aussi, d’un jaune paille un peu délavé – insérées dans les murs afin de cacher tout ce qui ne doit pas être vu dans cette pièce hybride. Une succession de trois portes de largeurs inégales, laquées et brillantes, puis le tuyau de cheminée reliant un poêle au mur, un poêle inerte puisque nous serions en été – alors que cette même scène en hiver s’agrémenterait de flammes rougeoyantes et du son de crépitation de combustion – mais dans cette chaleur d’été rien de tel. Juste après, un renfoncement du mur où, sur une tapisserie claire remplie de formes de feuillages se déploierait un lierre, retenu par de fines épingles invisibles pour un oeil non averti, sur une grande partie de la surface, se dirigeant vers le plafond, qu’il atteindrait peut-être un jour si tout restait dans l’ordre. Puis sur le mur correspondant à la façade côté rue une première fenêtre aux volets à moitié ouverts, ou à demi-fermés, accrochés par le bout de l’espagnolette, volets à lamelles de bois disjointes, laissant donc filtrer des rayons de lumière; une deuxième fenêtre tentant de donner une sorte de symétrie à tout çela. Sans doute entre les deux, il pourrait se distinguer une aquarelle représentant un paysage avec un pont, l’esquisse d’un entre-deux, entre des réalités et des temps qui se distendent, des formes floues laissant place au doute. Au centre de la pièce, une table de salle à manger recouverte d’une feutrine verte, festonnée de ramages beiges et en son centre un vase dans l’attente d’un bouquet qui ne viendra plus. Autour de la table, parfaitement encastrées sous la table, six chaises à l’assise d’un cuir fauve munies de hauts dossiers ajourés. Sur le quatrième mur, à droite de la porte d’entrée dans cette pièce nommée la salle, un petit bahut en bois sombre, creusé de moulures faisant écho aux pieds ouvragés de la table, avec deux cadres garnis de photos, côtoyant de bibelots de pacotille.Une sorte de miroir au verre jauni, tavelé de marques noires, accolé au fond, en un demi-cercle ne renverrait que des images d’un temps qui n’existe plus. De l’autre côté de la porte restée ouverte, une banquette à deux places, à l’assise rebondie, attendrait quelque visiteur qui ne viendra plus. Puis retrouvant le divan, on verrait que la fillette s’est tournée et a enfoui son visage du côté du mur comme pour cacher les rêves qui pourraient la hanter et dont il serait possible de dresser une liste si les arcanes de sa mémoire se laissaient se déchiffrer.

A propos de Solange Vissac

Entre campagne et ville, entre deux livres où se perdre, entre des textes qui s'écrivent et des photos qui se capturent... toujours un peu cachée... me dévoilant un peu sur mon blog jardin d'ombres.

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