#anthologie #01 | Frôler l’insolation

enfiler une tenue de chien avec des jambes de pantalon et des manches se couvrir la tête d’un fichu en laine lasser ses grolles après avoir enfilé deux paires de chaussettes souffler s’assurer du mouchoir dans la poche. ouvrir la porte fermer les yeux les rouvrir respirer descendre trois marches et déjà suffoquer sous le ciel chauffé à blanc. en maudissant le soleil se laisser recouvrir par l’enveloppe récalcitrante de l’air insistant et s’insinuant dans la traversée de la cour. avancer comme à pas comptés le long de l’allée marcher en écrasant les gravillons noyés de bitume le chiendent à son aise les fleurs de liseron courant entre les pierres de bordure les noyaux de griottes anciennement tombés de l’arbre. ajuster les lunettes aux verres fumés se passer la main sur le front dans un geste qui dit l’accablement la peau du visage se dilatant des gouttes de sueur coulant sur les tempes. s’approcher au plus près des arbres jetant leur ombre miniature à cette heure de la journée, instinctivement rentrer les épaules arrondissant le dos ployant la nuque pressant le pas se hâter de quitter cette fournaise compter les mètres à franchir avant d’arriver à la route se coller tout contre la haie de laurier pour espérer essayer d’échapper aux rayons coupant net de leurs lames tout ce qui bouge. étouffer sa voix dans le silence écrasant du début d’après-midi. nous séparant du hangar tout cet espace à ciel nu le bâtiment lui-même s’ouvrant sur les côtés est et sud aux courants d’air envahissant le lieu mettant sous pression les plaques en fibrociment de la toiture soulevant la poussière du sol le béton ayant remplacé la terre battue devenant pour les enfants une aire de jeu la moissonneuse-batteuse libérant sa place. lorgnant à l’ouest penser aux orages grondant au loin et engager une course perdue d’avance contre la montre des éléments se dépêcher toutefois l’orge prête à moissonner terminer au moins la parcelle pour ne pas avoir à y revenir presser la paille évitant ainsi d’avoir à la faner la rentrer avant la pluie. si possible ne pas mouiller la machine encore moins la faire tremper la poussière se collant alors sur les parois métalliques de son ventre les grains restant dans la barre de coupe profitant de l’aubaine pour pousser drus repousser le moment où les grêlons perforant les feuilles hachant les tiges couchant les blés cassant les colzas vont s’abader comme de jeunes agneaux pirouettant dans la pâture rebondissant et jaillissant sans cesse ne les soupçonnant pas s’empilant dans les coins et les recoins ils sont là gisant à nos pieds blanchissant le bord du chemin et nous les poings contractés

A propos de Cécile Marmonnier

Elle s’appelle Sotta, Cécile Sotta. Elle a surtout vécu à Lyon. Elle a été ou aurait voulu être marchande de bonbons, pompier, dame-pipi, archéologue, cantinière, professeure de lettres certifiée. Maintenant elle est mouette et fermière. En vrai elle n’est pas ici elle est là-bas. Elle s’entoure de beaucoup de livres et les transporte avec elle dans un sac. Parfois dans un carton quand il ne pleut pas. Elle n’a pas assez d’oreilles pour les langues étrangères ni de mémoire sur son disque dur. Alors elle écrit. Sur des cahiers sur des carnets sur des bouts de papier en nombre. Et elle anime des ateliers d’écriture pour ne pas oublier de vivre ni d'écrire.

5 commentaires à propos de “#anthologie #01 | Frôler l’insolation”

  1. L’absence de ponctuation… un délice pour lire aussi vite que de besoin. Sauver ce qu’il est possible de sauver. de toutes ses forces. Et cette chaleur…tout est là pour y être, aussi, là! Merci .

  2. Quel texte ! dense ! pas un mot de trop et des mots justes (parfois nouveau pour moi comme « s’abader ») ! et l’absence de ponctuation qui dit très bien l’urgence d’avancer coûte que coûte dans ce combat contre les éléments, de faire à tout prix pour échapper, éviter, et ce faisant la tension du corps si bien dite. L’infinitif est combattif. Merci Cécile ! J’espère avoir le temps de te lire encore !

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