#anthologies #01 | marcher – démarché

Enfiler la veste imperméable, déposer le portefeuille dans le sac à dos, passer les bras dans les bretelles, ouvrir la porte, sortir. Regarder le ciel en grisaille, la bousculade de nuées gravides, sentir l’odeur de pluie, l’humidité, sa main sur la peau. Encore une journée fondue dans la suite des immuables – la rue comme une flaque d’eau, l’automne attardé jusqu’au bord de l’été. Descendre jusqu’au croisement avec la départementale, de chaque côté des façades striées de traces noires, vertes, brunes (les algues). Maintenant tourner à droite en remontant en direction du village. Approcher de la librairie (affiché sur la devanture : lecture samedi de textes comico-politiques, prudent réserver !) Laisser à droite le parking, toujours bondé les jours de marché. Dans la Mercédès le voisin, saluant une fois sur deux, selon l’humeur, le hasard, le moment.  Continuer en direction de la place étalée autour de l’église et de la mairie. Juste avant l’arrivée descendre du trottoir en évitant les deux panneaux : « piétons passez en face » démolition ! Au côté opposé un autre obstacle : échafaudage pour réfection de toiture. (Ne pas circuler sous.) Alors pester intérieurement, marcher au milieu de la route, croiser d’autres piétons balançant paniers sacs baguettes au bout des bras, discutant ou baissant les yeux, pas de bonjour, pas d’échange, comme filant chacune et chacun dans son couloir de vitres. Dessus ardoises sous ciel de plomb. Un peu plus loin (tout au bout presque des yeux) l’attroupement, étrange, devant la boulangerie. Bien plus important que l’habituel des mercredis précédents. En arrière-plan et surplombant les silhouettes immobiles le tissu beige, battant, d’un auvent protecteur d’un étal encore invisible (bacs des bouquins d’occasion ou portants des habits de mode pour les touristes bientôt de retour – attentes et plaintes mêlées – commerce bienvenu mais dérangement ! Avancer encore. Deux groupes militants, peut-être en compétition, tournant comme des rapaces, enserrant, interpelant, paquets de tracts dans les bras, feuillets au bout des mains, sourires d’accroche. Tourner rapidement à droite pour fuir sollicitations discussions questions explications justifications.  Ignorer mots menteurs trompeurs usurpateurs, visages comme les lanternes des naufrageurs. Passer devant les étals : maraîcher – plusieurs, fromager, traiteur, traiteur asiatique, fruits, pizzas, légumes de la ferme – plusieurs, confitures, miel, charcutier, poissonnier, boulanger, brocanteur, vannerie. Se glissant entre les chalands, seuls ou en groupe, attraper des bouts de commentaires (les prix le temps la drôle de période pour qui pourquoi la famille les enfants les vacances pour qui encore à quoi bon tous les mêmes les traîtres et les bonimenteurs les à essayer sans rien redouter les bonnes gestions et les déraisonnables …) Accompagner la patience dans la file d’attente et l’impatience aussi, les soupirs les habitués les blagues pour animer deux cent mille euros !- pas cher hein ma pt’tite dame ! Reconnaître celle en approche un tract à la main pas la peine de gaspiller ton papier, déjà décidé pensant moindre mal ceux-là – moindre mal malgré quand même encore et toujours les malgré. Là-haut un timbre de bleu modèle réduit en diminution rapide, volutes de noir recouvrant étouffant tourbant de plus en plus le coin d’espace, demander payer remplir le sac. Partir. En rentrant se demander jusqu’à quand les mots jetés par pleines poignées à la tête des gens comme les grains pour les poules. Depuis toujours ? Jusqu’à longtemps…

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