#anthologie #25 | Bifurcation

0 – Naître

1 – Traversée

2 – Le canapé en velours rouge

3 – Le stylo Bic quatre couleurs

4 – Habiter

5 – Je n’y pense pas

6 – Seule

7 – Soirée d’été

8 – La vieille

9 – Gueule cassée

10 – Pierre Beslay

11 – Partir si tard

12 – J’y suis allée

13 – Sur sa chaise

14 – Ca marche

15 – Les voyages

16 – Rencontre

17 – Ces messieurs-là

18 – Photographie

19 – Bouillon instantané

20 – Ton portrait

21 – J’y pense

22 – Cette rue-là

23 – Au Marigny

24 – Dormir

25 – La ronde des odeurs

# Naître

Et puis un jour on nait. Dans la difficulté. C’est un accouchement provoqué. On manque de respirer. Le bébé était-il cyanosé ? Le bébé était violacé. Il a oublié de crier. On l’a démêlé. Le cordon était enroulé. Autour du cou. En fait, le cordon ombilical était enroulé autour du cou. On s’était emberlificotée dans le liquide amniotique. On n’était pas pressée. Et puis un jour, tout s’est précipité. Il a fallu naître. Trois semaines avant le terme. Le sang a giclé. On ne voulait pas naître. On ne voulait pas arriver. On était emberlificotée. On était recroquevillée. On n’a pas pleuré. On n’a rien dit. On a crié après. Bien après. Après la tape sur les fesses.

Je suis née et peut-être que je n’aurais pas dû. Peut-être que je n’aurais pas dû advenir. Je suis née avec les yeux et les poings fermés. Longtemps je suis restée comme ça. C’est à peine si ma bouche a balbutié. Mes lèvres n’ont pas bougé. Je suis née sans cheveux. Je ne me suis pas accrochée. Je suis restée les yeux et les poings fermés. Sans regard, je ne pouvais voir. Je n’ai pas pu prendre l’objet pour téter. Je suis restée sur ma faim. On m’a forcée. On m’a forcée à manger. Je ne pouvais rien avaler. J’ai dégluti. J’ai avalé ma salive mais je n’ai jamais su quoi faire de mes mains. Je les ai mises à plat, loin de mes bras. Je les ai mises à plat et elles n’ont rien  pris. Des mains et une bouche inutiles. Je suis née et je n’aurais pas dû. Je me suis excusée mais ça n’a pas suffi.

Je suis née mais ce n’est pas moi qu’on attendait. On attendait celui qui n’est pas né.  On attendait celui qui a coulé avant de voir le jour. On attendait celui-là parce que ce n’était pas moi. J’étais une fille et il ne fallait pas. Il n’y avait pas de place pour moi. Je suis née à la place des résignés, de ceux qui se mettaient de côté pour ne pas fâcher.

En fait, je ne sais pas ce que c’est de naître. Je suis advenue et j’ai pris tout ce qui était défendu, tout ce qui m’était interdit : mon goût pour les framboises, mon goût des rêves inaboutis, mon goût pour la lecture, mon goût pour l’écrire. Ce qui m’était autorisé : faire le ménage et jouer à la poupée. Je n’ai jamais aimé. Je me suis tournée vers les rêves, les chimères et je me suis mise à cauchemarder. Ça, je ne l’ai jamais voulu mais avec le cordon ombilical qui s’est emberlificoté autour du cou, le négatif a pris le pas sur le positif. Mon âme voit noir. Mes yeux aiment les couleurs, ils sourient aux fleurs. Mais mon âme remarque le manque d’eau, le trop plein d’eau. C’est comme l’amour : manquer d’amour ou en avoir trop. C’est le déséquilibre qui produit cela et qui provoque le déséquilibre. Je suis advenue déséquilibrée. Ma mère me l’a assez reproché.

Je suis née avec une timbale en argent au bout du bras. Je ne sais pas ce que l’on en a fait. Je crois qu’elle s’est oxydée faute d’entretien. Elle a été oubliée dans un coin avec toutes ces promesses de bien-être et de richesses. Ou alors elle est suffisamment cachée pour que je ne puisse la retrouver. De la naissance à la mort, j’ai l’existence qui a été cachée elle aussi. Elle a été celée. Une existence aux oubliettes, à servir d’alibi pour parents en mal d’éternité. Une existence à vivre derrière les autres. A penser après. A parler après. A se cacher, à se taire, à vivre fondue dans la vie des autres.

Je ne suis pas née, je me suis confondue. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Je suis toujours passée après. Il a fallu que je m’oublie. J’ai oublié d’exister. On m’a confondue avec celui qui n’était pas né, celui qui n’a pas résisté, celui qui est parti faute de retenue. Il a fallu s’aliter. Elle a tout confondu : son existence et celle de ceux qui sont nés. Je n’avais pas le droit d’exister. Tout juste me concédait-on le droit de vivre. Je ne sais pas où tout cela m’a mené. Je sais simplement que je n’ai pas résisté et que toutes les digues ont sauté. Depuis ma naissance, ma psyché a fait des raz-de-marée. Depuis, je suis restée en retrait avec l’écriture pour apprivoiser les secrets. Je me suis déterminée pour l’écriture. C’est pour ça que je suis née.

#01 Traversée

S’arrêter sur le parking, sous une ombrière photovoltaïque. Prendre le sac-à-dos et faire attention aux trousseaux de clés. Mettre celui de la voiture dans la poche avant, prendre celui de la médiathèque et marcher en avant. Regarder à gauche, là où il y a de la végétation et des cascades de roses en fleurs. Ne pas jeter un œil à droite, là où il y a la rue et les voitures qui passent et le bâtiment d’Orange en béton surmonté d’une antenne 5G. Regarder en avant et tourner la clé dans la porte en acier après avoir jeté un œil sur la boîte de retour et la boîte aux lettres. Franchir le seuil et traverser le couloir blanc aux murs et au lino bleu après avoir refermé la porte. Distinguer des affiches d’un autre âge : 1916 la Serbie. C’est loin et c’est sans doute très vaste. Ne pas se douter de l’ampleur des dégâts. Franchir une première porte verte, entrer dans une sorte de sas. Un entre-deux entre deux sections. Se diriger sur la gauche, c’est la section adultes avec son coin ados tout de suite quand on entre sur la gauche, derrière les étagères consacrées au cinéma. Jeter un œil sur la banque de retour, à droite, pour mesurer le nombre de livres sortis de la boîte des retours. Vérifier d’un coup d’œil qu’il y a bien le journal local. Aller tout droit et allumer toutes les lumières pour faire le jour dans la section. Les fenêtres sont derrière des étagères de livres qui mangent tout l’espace. Se diriger à gauche, entrer dans le bureau vitré sur la droite, près des fenêtres, déposer sa veste à une patère et son sac-a-dos parterre. Retourner à la banque de prêt, allumer l’ordinateur, entrer dans le logiciel de bibliothèque, passer les livres en retour, bulletiner le périodique après l’avoir tamponné. La journée peut commencer, la routine s’annonce usée.

#02 Le canapé en velours rouge

On dirait que c’est un salon. Ou un bureau. En tout cas, il y a un canapé en velours rouge et un fauteuil club en faux cuir. Ils se font presque face. Elle est allongée sur le canapé, vapoteuse à la main. Son chat est pelotonné sur ses genoux. Elle est coincée entre le mur rose pâle et une petite table carrée à deux tablettes en verre. Il y a un ordinateur portable sur la tablette supérieure et une tablette de chocolat entamée. En dessous, un micro, un casque et des disques durs. La porte du salon est à côté du canapé. Des livres un peu partout, sur une console, ce sont des dictionnaires, une bibliothèque mal rangée et une table ronde près de la fenêtre où sont empilés des livres plutôt volumineux. Certains sont ouverts, comme le Quarto d’A la recherche du temps perdu. Entre la bibliothèque et la console blanches, le fauteuil club avec un coussin en velours vert et un drôle de bonhomme en feutre au chapeau pointu et à la longue barbe blanche. Un grand miroir ouvragé contre le mur au-dessus de la console dans lequel personne ne se regarde. Il est en fer forgé. De l’autre côté, une cheminée sur laquelle sont posés un globe de mariée et une théière turque en métal jaune. En dessous, un téléviseur et un décodeur qui ne servent pas. Elle, elle boit de l’eau, elle a très soif. Elle mange deux carrés de chocolat noir à l’orange et aux amandes. A proximité d’elle, une petite table à thé ronde en métal où il y a un véritable capharnaüm. Le capharnaüm est généralisé mais au sol en PVC gris, rien n’est tombé. Elle ne laisse rien échapper. A part son chat qui demande à sortir en se postant près de la fenêtre.

#03 Le stylo Bic 4 couleurs

C’est un simple stylo Bic quatre couleurs. Je ne sais jamais s’il est à portée de main ou hors de portée. Je n’y prête pas beaucoup d’attention. En ai-je besoin ou n’en ai-je pas besoin ? Bien sûr je l’ai déjà eu entre les mains et je ne sais jamais quelle couleur va fonctionner. Est-ce le vert, le rouge, le bleu ou le noir que je pourrais utiliser ? Sur quelle couleur vais-je fonder mon écriture ? Il me sert pour mon carnet, il me sert pour les listes de courses, il me sert pour faire un chèque. Quelle couleur vais-je actionner ? Je ne sais jamais vraiment où il est, sur ma table en verre carrée ou sur ma table de cuisine en bois. Dans la cuisine ou le salon. Je ne lui connais que deux endroits. Le stylo Bic quatre couleurs n’est pas toujours facile à envisager. Il est plutôt volumineux. Il n’est pas toujours aisé de le tenir entre ses doigts. Il est plutôt grossier. On ne sait jamais où le glisser. Pas dans une poche en tout cas. Le stylo Bic quatre couleurs ne fait rien pour être aimé. Pourtant il est très usité. Il fait partie des gestes familiers. Il se fond dans le décor. Mais pas chez les milliardaires. Le stylo Bic quatre couleurs se glisse difficilement dans une trousse d’écolier. Depuis, il a été remplacé. Par un stylet ou un index. Mais on continue à l’acheter. Par habitude. Le stylo Bic quatre couleurs ne supporte pas la plaisanterie. Le stylo Bic quatre couleurs est une plaisanterie. Le stylo Bic quatre couleurs est un cas pratique. Que faire quand une de ses couleurs est épuisée ? Le jeter ou continuer à l’utiliser ? Le stylo Bic quatre couleurs est un produit de consommation. Le stylo Bic quatre couleurs est jetable. Le stylo Bic quatre couleurs n’est pas recyclable. Le stylo Bic quatre couleurs est un déchet. Peut-on réfléchir avec un stylo Bic quatre couleurs entre les mains ? Le stylo Bic quatre couleurs aura-t-il une fin ?

#04 Habiter

Habiter. Peut-on habiter une maison de poupées ? Elle se rappelle de sa maison de Barbie. Elle n’a jamais voulu habiter dedans. Pour elle, ce n’était pas un modèle de vie, une maison avec des rectangles et des triangles, avec des trous partout. C’est à peine si on pouvait y mettre un lit, une armoire et des éléments de cuisine. Barbie ne pouvait pas non plus s’asseoir. Elle n’enviait pas Barbie. Pour elle, Barbie n’était pas non plus un modèle de vie. C’est à peine si elle l’habillait. Pourtant, elle avait ardemment demandé des Barbie à sa maman qui ne voulait pas lui en offrir. Elle voulait faire comme ses copines mais n’aimait pas trop jouer à la poupée. Alors penser habiter une maison de Barbie, jamais ça ne l’avait effleuré. Lorsqu’elle a eu dix ans, sa mère lui avait promis qu’elle habiterait la maison dans laquelle elle vit actuellement. Elle était déterminée. Mais a-t-elle réellement investi cette maison ? Décoration minimale et capharnaüm généralisé. Sa maison a des allures de maison de vacances. Biscornue, pas pratique, peu rationnelle, elle a pris ses habitudes. Elle a investi le salon, et c’est tout. La chambre ? La nuit, uniquement pour dormir. La cuisine ? Un passage obligé. Je peux dire qu’elle habite son canapé, celui qu’elle n’avait pas dans sa maison de poupées. Je peux dire qu’elle vit les jambes allongées, son smartphone au bout des doigts. Elle habite la maison que sa mère lui avait promis. Elle l’avait oublié. Elle s’en est récemment rappelé, lorsqu’elle est retombée malade. Jusqu’à quel point est-elle déterminée ? Elle habite cette maison et ne souhaite pas vraiment y rester. Elle réside dedans mais jusqu’à quel point l’a-t-elle vraiment investie, cette maison au crépi rose saumon, aux allures biscornues ? Elle habite la maison de la sorcière. Quand elle était petite, la maison a été longtemps inhabitée. Elle a toujours pensé qu’une sorcière y vivait. Elle s’imaginait une vieille femme avec un foulard sur la tête, le dos scié en deux. Une sorcière qui coupait des grandes herbes et qui jetait des sorts sur les passants. Elle y croyait quand elle allait chercher le lait à la ferme. Elle devait avoir six ou sept ans. Elle sait, aujourd’hui, qu’elle habite la maison de la sorcière. Quel sort lui a-t-elle jeté ? La maison de Barbie, elle, n’a pas été jetée. Elle occupe le garage. Elle n’est pas habitée.

#05 Je n’y pense pas

Je n’y pense pas tant qu’il ne se rappelle pas à moi. Mon corps, je ne pense pas à lui. Je me dissocie de lui. J’ai les pieds en avant, mon index glisse. Il passe du téléphone au contour de mes lèvres. C’est un tic. J’ai des tics mais pas de tocs. Je ne pense pas assez à ce que je pourrais faire avec lui. Il faut qu’il m’accompagne, qu’il soit le prolongement de mon âme. Je pense trop à mes sentiments, j’oublie mon corps. Il ne me fait pour l’instant pas de mal. Je marche, je m’assois. Je déambule, je m’assieds. Je reste allongée. Je n’entame de dialogue avec personne. Fera-t-il assez beau pour aller faire les foins ? Les foins seront-ils de qualité malgré la pluie ? Je n’en sais rien, je ne ressens pas la fatigue dans mon corps d’aller faire les foins. Elle ne m’appartient pas. La fatigue, elle vient de la guerre qui s’amorce, qui fait que je tourne ma tête pour regarder à la fenêtre. Ma nuque est raide. Elle se rappelle à moi quand je pense à la guerre, celle qu’il y aura quand tout le monde sera là. Je ne pense pas aux prévisions, mon crâne est plein de mon cerveau empli d’une vision du monde négative. Je pense à mon chat. Bientôt elle ne sera plus là. Je ne sais pas ce que mon corps me dira. Une araignée remonte ma main. Je ne la sens pas. Elle n’a pas de prise sur moi.

#06 Seule

Être seule ou se sentir seule ? Elle est seule même accompagnée. Elle est elle, n’a envie de tenir compagnie qu’à elle. Elle est seule quand elle travaille. Si peu de monde dans la grande salle. Seule au milieu des livres, seule en pause sur le trottoir, seule dans le bureau, seule dans la grande salle. Elle est elle, ne pense qu’à elle et se fond dans le décor. Elle se confond avec son milieu. Seule dans son salon. Regarder le pré, ne pas bouger, être seule et désemparée devant le débordement du Loir. Regarder les cerises tomber, être désemparée. Seule face au cerisier qui s’étale, qui pousse, qui grandit et qui dépasse tous les toits. Seule face aux framboisiers qui ne cessent de donner. Seule, elle cueille. Seule, elle mange. Seule, elle pèse les fruits pour en faire des confitures. Seule, elle tond la pelouse, en nage et sans retour. Seule, elle est face à son chat qui la quitte à petits pas. Seule, elle songe à ce qui la remplacera. Seule, elle est libre de ses pensées. Seule, elle est prête à tout quitter. Seule, elle vit en réseau. Seule, elle vit en résidence. Seule, elle songe à cette nuit de nouvelle lune où elle ne va pas dormir. Seule, elle songe à cette nuit qui sera interminable et courte à la fois. Seule, elle pense à tous ces pas qu’elle ne partage pas, à tous ces repas qu’elle ne partage pas, à toutes ces paroles qu’elle ne prononcera pas, à tous ces mots qu’elle écrira. Seule, elle pense à ces volubiles qui montent dans son jardin. Seule, elle pense au liseron qui gagne du terrain. Seule, elle décide de le laisser pousser. Seule, elle entend ses voisins crier. Seule, elle est impuissante devant cette dangerosité. Seule, elle ne défie pas le temps. Seule, elle a du mal à respirer. Seule, elle laisse ses angoisses divaguer. Seule, elle est seule dans ses pensées. Etre seule, et se contenter de soi.

#07 Soirée d’été.

La lumière naturelle commence à décliner. Il est presque 21 heures, et je résiste à allumer la lampe dans le salon. Dehors, je vois les derniers rayons du soleil chauffer le haut du cerisier. Le reste du feuillage et des branches est dans l’ombre. De ma fenêtre, je vois l’absinthe qui obstrue l’entrée du jour dans mon salon. Je vois le chat et l’herbe à chat bleue et verte illuminer ma soirée. Il  fait encore jour, et c’est la première fois depuis le début du printemps que je peux profiter de la lumière naturelle malgré l’heure. Il fait encore chaud. Pas de pluie, pas de nuages, un ciel bleu et le soleil qui continue de darder ses rayons avant d’aller se coucher. Plus aucun bruit dehors. J’ai le casque vissé sur les oreilles. Seuls les oiseaux se mettent à chanter. Je les entends par la fenêtre ouverte. Est-ce un merle ? Sentent-ils eux aussi le jour décliner ? Je suis allée dans le jardin chercher de la mélisse. L’ombre a gagné tout le terrain. Seuls les bouleaux du voisin sont inondés de soleil. Plein ouest, le soleil décline. Je reviens dans mon salon, j’allume l’unique lampe. C’est une lumière indirecte. Elle n’est pas incandescente. Elle éclaire juste assez pour  voir où on met les pieds avant d’aller se coucher. Il est 21h30 et il fait encore jour. Mes yeux commencent à se fermer mais je tiens le clavier bien en mains. Le soleil est maintenant au faîte des bouleaux, donnant une lumière rosée à la végétation. Maintenant, c’est la bibliothèque blanche qui est éclairée à parts égales par la lumière du salon et par la lumière du jour passant par la fenêtre, à ses côtés. La lumière de la lampe est plutôt jaune, d’un jaune pâle qui renforce le rose pâle du mur. Il est 22 heures, le soleil s’est fait la malle. Il est parti ailleurs, presque de l’autre côté. A l’intérieur, on a besoin de la lumière de la lampe pour ne pas être dans la pénombre. Le rouge-queue émet des petits sons. Je distingue encore le rouge de quelques cerises dans le cerisier. Le bleu de l’herbe à chat se fait grisâtre.  Le fauteuil club reçoit la lumière jaune de la lampe. Fenêtre fermée. Les  roses penchent vers la fenêtre. Les tranches des livres sont éclairées par la lumière artificielle. Le clavier de l’ordinateur est dans la pénombre. Je tape, j’écris, je me concentre et me recentre. Je me recroqueville sur moi-même. Il est 22h30, c’est l’heure bleue dehors. Mon salon est éclairé par la lampe, entre clarté et pénombre.

#08 La vieille

Je suis prête à aller me coucher. J’allume la lampe de chevet près du lit et y dépose mes lunettes avant de m’allonger. C’est là que je regarde face à moi. Je regarde ce miroir qui, habituellement, veille sur mon sommeil. Mais là, je découvre qu’il s’agit d’une fenêtre, et même d’une porte-fenêtre que je n’avais encore jamais distinguée jusqu’ici. Une drôle de curiosité. Je n’y vois pas très bien. Je suis dans la pénombre. Je décide de me lever et d’aller y voir un peu plus près. Je chausse de nouveau mes lunettes et remets mes chaussons dans mes pieds. Je me dirige vers cette porte-fenêtre aux verres fumés. De prime abord, je ne distingue pas très bien ce qu’il y a derrière. J’ouvre la porte-fenêtre et aperçois une vieille femme. Elle a l’allure d’une sorcière. Je ne m’imagine pas son âge. Peut-être quatre-vingts, quatre-vingt-cinq ou quatre-vingt-dix ans. Sa chevelure est longue, mais grise et épaisse. Ses cheveux semblent aussi secs qu’un balai de coco de paille. Elle a deux yeux gris délavés qui me regardent et les lèvres mangées par ses gencives. Elle n’a plus de dents visiblement. Est-ce une baba yaga ? C’est ce que je lui demande. Etes-vous une baba yaga ? Elle me répond aussitôt qu’elle n’est pas russe mais d’origine anglaise. Elle s’appelle Marguerite Talbot et ses ancêtres anglais sont venus ici faire la guerre de cent ans. Elle a un long foulard autour du cou. Sa robe ne ressemble pas à une robe mais à une blouse de grand-mère que l’on met pour faire le ménage. Sa blouse est verte et bleue, couleur lagon. Dans ses yeux, se reflète toute la méprise contre la nature. Elle me raconte qu’elle venait ici faire les foins. Elle me raconte qu’elle avait une dizaine de poiriers à proximité. Elle ne se rappelle plus si les fleurs des poiriers sont roses ou blanches, ou roses et blanches. Elle avait un pommier et beaucoup de mélisse. Elle cultivait la mélisse pour endormir les habitants de son village. Elle leur vendait la mélisse pour qu’ils en fassent de la tisane. Elle cultivait de la pimprenelle pour les afflux sanguins et de la sauge contre les coups de chaud. Elle avait de la benoîte urbaine dans tout son jardin. Elle se servait des racines pour aromatiser des plats, des gâteaux et des soupes. Elle en vendait aux habitants de son village. Elle avait quelques poules pour les œufs et quelques lapins pour avoir de la viande, faire des pâtés qu’elle vendait aux habitants de son village. Elle, elle ne mangeait pas de viande. Elle pêchait des écrevisses quand c’était la saison, des  anguilles qui passaient dans le Loir et de gros brochets qu’elle cuisinait au beurre blanc. Ça devait faire longtemps qu’elle était planquée derrière cette porte parce qu’elle avait beaucoup de choses à dire. Avec les orties qu’il y avait au fond de son jardin près des clapiers à lapins, elle faisait de la soupe et des quiches. Elle m’explique tout ça pour me raconter la vie, pour me raconter comment devrait être la vie, qu’on devrait connaître son environnement pour gagner sans prélever, pour gagner économe sans tout gaspiller, pour aller petit pour faire de l’essentiel, du grand et du généreux avec la nature. Je suis retournée me coucher mais je n’ai pas refermé la porte-fenêtre. Je l’ai laissée ouverte, pour qu’elle m’apporte de l’extérieur et veiller sur mes songes, comme une bouffée d’oxygène pour qui dormirait en apnée. Je retournerai voir Marguerite Talbot. Elle ne m’a pas tout dit.

#09 Gueule cassée

Un jour, j’ai revu Marguerite Talbot alors que je ne m’y attendais pas, c’est elle qui a été à l’initiative de notre deuxième rencontre, elle avait visiblement beaucoup de choses à me dire, comme si elle ne s’était jamais confiée à qui que ce soit ; elle avait envie de me raconter sa vie, enfin une partie de sa vie, celle qu’elle avait jugée fondatrice, celle qu’elle avait longtemps cachée jusqu’à l’oublier et la faire oublier ; ce qui lui était arrivé, plus personne ne le savait au moment de sa mort, même pas son neveu Bernard qui a hérité de sa maison et de son champ ; elle me raconta ainsi : j’ai eu une première vie dans une bonne famille, mon père était cheminot et m’a mère travaillait à la poste, ils étaient tous les deux fonctionnaires et avaient des valeurs, ils croyaient en la république et au mérite, ils étaient dévoués et disciplinés, jamais ils ne débordaient, jamais un mot plus haut que l’autre, toujours du respect pour l’autre, quel qu’il soit ; ils voulaient faire de moi une institutrice, que je sois quelqu’un dans la société parce que les instituteurs on les respectait, et moi je trouvais ça normal, si on m’avait demandé, j’aurais dit que j’aurais voulu être journaliste mais avec mes parents qui étaient si respectueux de la vie humaine, je ne trouvais rien à redire, ils m’avaient destinée à cette vie à l’âge de six ans, dès que je suis entrée à l’école, je me suis donc laissée faire tout au long de ma scolarité, j’essayais d’être appliquée et disciplinée, je travaillais sans me forcer ; j’ai intégré l’école normale de Chartres l’année de mes 17 ans, on était en 1915, c’était la deuxième année de la guerre et mes parents m’avaient incité à devenir correspondante avec un soldat dès la première année de la guerre, c’est ainsi que j’ai correspondu avec Pierre Beslay, un jeune instituteur de 20 ans, il n’avait encore jamais exercé avant d’aller au front, nous nous sommes beaucoup écrit, tous les jours, les lettres arrivaient parfois pas bloc ou au compte-goutte, nous nous racontions beaucoup de choses, nous avions tant à nous écrire, nous voulions absolument faire connaissance et nos origines anglaises depuis la guerre de cent ans nous a fortement rapprochés, nous étions intrigués l’un par l’autre, Pierre Beslay sortait de l’école normale de Rouen et était issu d’une famille d’instituteurs, au début de la guerre, il n’était pas vraiment au front, il était dans un hôpital de l’arrière, à Chateaudun, ce n’était pas très loin de Chartres et je connaissais un peu cette région de réputation, une petite ville de paysans beaucerons un peu reculée, il ne s’y était pas fait d’ami, il est resté là six mois puis on l’a envoyé du côté de Verdun, c’est alors qu’il a connu les tranchées, l’enfer des tranchées, il m’a longtemps écrit sa détresse, son désespoir et son espoir un jour de me connaître, j’ai perdu sa trace en 1917, je sais aujourd’hui qu’il a été blessé, je suis devenue institutrice en 1918 et j’ai connu ma première classe en pleine grippe espagnole, nous avons fêté en famille l’armistice le 11 novembre 1918 alors que j’exerçais pour la première année en tant qu’institutrice à Mainvillers, près de chez moi à Chartres, j’ai retrouvé la trace de Pierre Beslay en 1919, il m’a écrit de nouveau pour me dire qu’il sortait de l’enfer et qu’il en avait encore pour de longs mois de convalescence, il m’a un jour avoué qu’il était une gueule cassée mais je ne savais alors pas vraiment ce que c’était, il m’écrivait dans ses lettres qu’il brûlait un jour de me connaître, qu’il voulait absolument me rencontrer, qu’il voulait faire connaissance avec mes parents pour leur demander ma main, nous nous étions envoyés nos photos en 1916 et visiblement, je lui avais beaucoup plu, et je lui trouvais du charme dans son uniforme de poilu, nous avons ainsi correspondu jusqu’en 1920 en nous promettant de nous fiancer un mois après avoir fait connaissance, nous avions planifié de nous rencontrer le 15 avril 1920, le jour de son anniversaire, et nous avions planifié de nous fiancer le 14 mai 1920, le jour de mon anniversaire, c’était une union pleine de promesses, je lui avais envoyé plusieurs photos de moi plus récentes, lui m’affirmait qu’il ne pouvait pas m’en envoyer tant qu’il était à l’hôpital, il était en convalescence dans la région parisienne, j’aimais mon métier d’institutrice mais je m’ennuyais avec les enfants, je commençais à rêver de journalisme, j’écrivais parfois dans des  cahiers, je faisais des reportages de mes journées d’école, et là je m’ennuyais moins, et puis nous nous sommes rencontrés Pierre Beslay et moi, et j’ai tout de suite été effrayée par sa gueule cassée, je n’ai rien osé dire lorsque nous nous sommes parlés, j’ai fait comme si de rien n’était, il avait la mâchoire entièrement ouverte, j’ai fait comme si de rien n’était mais pour tout avouer, j’étais dégoûtée, j’étais tellement choquée que j’ai fait un rejet, de lui, de la guerre, de ces instants volés à ma quiétude et à ma profonde volonté d’être en paix avec moi-même et pour être en paix avec moi-même, j’ai eu la volonté de rester seule, de rester célibataire et de vivre autre chose ailleurs, je me suis débinée, je n’ai plus écrit à Pierre Beslay, j’ai fui ma vie d’institutrice et je suis allée vivre à Châteaudun, chez les paysans beaucerons, j’ai trouvé ma maison avec un champ, et j’ai bâti ainsi ma vie ici, en travaillant, en flânant, en observant mon prochain ;  en consignant dans des carnets tout ce que j’ai pu observer, tout ce qui m’entourait, les humains, les animaux, les plantes, tout ce qui faisait mon environnement et ma nature, et j’ai aimé ça.

#10 Pierre Beslay

Pierre Beslay se marie avec ma cousine Madeleine Talbot le 14 avril 1922. Ils ont tous les deux 28 ans. Ils partent deux jours plus tard en voyage de noces dans les calanques de Cassis. Ils m’envoient une carte postale, en tout bien tout honneur, comme s’il ne s’était jamais rien passé. Madeleine Talbot est une Talbot d’Arrou, comme beaucoup de personnes de ma famille. Il y a des Beslay aussi dans la région. J’en connais quelques-uns qui habitent Cloyes. Quant à Pierre Beslay, il est devenu inspecteur de l’éducation nationale. Avec son handicap physique, on lui a trouvé un travail de bureau, plus ou moins. Il n’est que rarement en contact avec les enfants et ça lui va bien. Encore aujourd’hui, il se rappelle mon refus devant l’obstacle. Cela l’a blessé mais il a vite rencontré celle qui m’aura remplacée. Aujourd’hui, il semble satisfait. Tous deux habitent Rouen. Il est revenu vivre dans son pays, la Normandie. Moi, jamais je n’aurais pu quitter la Beauce au fond. J’aime ces paysans malgré moi. Nous sommes le 14 mai 1942 et aujourd’hui j’ai quarante-quatre ans. Pierre et Madeleine Beslay ont quarante-huit ans. Ils ont deux enfants. Suzanne, qui a seize ans et Gilbert, qui vient de faire quatorze ans. Ils habitent Rouen, en pleine ville. L’année dernière, ils m’ont envoyé leurs enfants par le chemin de fer. Ils avaient juste oublié qu’il n’y avait plus de ligne ici dans mon village. Il y a encore une gare, mais les ponts ont sauté et la ligne a été déferrée par les Allemands l’année dernière. J’ai pris les deux enfants sous mon aile l’été, pendant deux mois. Ils m’ont aidée à la fenaison et à la moisson. En contre-partie, ils étaient bien nourris. Je me souviens de leur compagnie l’année dernière, moi qui vis toute seule et qui ai tendance à broyer du noir. En ce moment, les temps sont difficiles. Je ne parle plus avec personne dans mon village. Je me suis toujours tenue à l’écart des villageois. J’ai appris à les connaître en regardant par la fenêtre. Ils ne m’aident pas, à part Léon Testault qui a un pré près du Loir, à Saint-Avit. Il me donne du lait, moi qui n’ai pas de vache, et je me fais mon fromage de Beauce. Les enfants de Pierre et Madeleine ont apprécié l’an dernier. Certains, ici, font du marché noir. Moi, je ne touche pas à ça. Je vis en autarcie. On me donne quelque chose, je le rends en autre chose. A Léon Testault, je donne quelques herbes aromatiques et je lui pêche quelques sandres dans son pré car il n’a pas le temps. Moi, j’aime bien pêcher. J’ai appris quelques techniques aux enfants de Pierre et Madeleine. Mes cousins sont venus me voir cette année sans leurs enfants. Ils voulaient quelques denrées. Je leur ai donné ce que je pouvais. Ils étaient venus avec une automobile, celle de leurs voisins. Ils viennent de m’envoyer une carte postale pour mon anniversaire. Jamais ils ne m’oublient. Pierre et Madeleine disent m’envier de ma quiétude. En vrai, je vis dans la solitude la plus totale. Ma quiétude me vient de là. Je ne suis pas non plus sereine, loin de là, l’époque n’est pas à la sérénité. J’essaie d’apprivoiser ma quiétude avec mes activités agricoles, la pêche, et ma prise d’observations dans mes carnets. Pierre me dit que lui aussi note ce qui se passe dans sa journée dans des carnets. Il me dit qu’il m’a imitée. Pas une journée, semble-t-il, où il ne note pas quelque chose. Il griffonne. Nous n’aurions pas pu vivre ensemble s’il y avait eu deux observateurs dans la famille. Je n’ai ni frère ni sœur mais toute une ribambelle de cousins et de cousines. Ma famille est vaste, ma solitude est toute aussi grande. Je suis encore en relation tout de même avec Pierre et Madeleine qui n’habitent pas la porte à côté et avec les Talbot de Douy. Ce n’est pas très loin d’ici. Ils tiennent un petit café en haut de la côte. Un petit café avec une pompe devant. Il s’appelle le café de la pompe. C’est un café-épicerie tout ce qu’il y a de plus traditionnel dans nos campagnes. Ces Talbot là ont un petit Bernard. C’est leur unique enfant, ils ne peuvent plus en avoir. Bernard est intéressant mais il traîne déjà très souvent dans le café-épicerie de ses parents qui le destinent à cela. Bernard n’a, semble-t-il, pas d’imagination mais je l’aime bien ce gosse. Il écoute ce que disent les adultes toute la journée. Il est calme et placide. Ses parents me l’amènent de temps en temps pour qu’il joue à la mare des Roncettes et qu’il aille courir dans mon champ. Bernard a six ans. Il vient d’entrer à l’école. Il a des difficultés à lire et à écrire mais il sait déjà compter. Ce gamin-là aime les chiffres mais pas les lettres. J’essaie, tant bien que mal, de lui faire apprivoiser quelques syllabes, quelques mots mais il y a souvent des obstacles pour ce gamin un brin rêveur, un brin nonchalant. Pierre et Madeleine Beslay ne le connaissent pas mais il y a fort à parier que s’il était tombé chez eux, il saurait déjà lire et écrire, même avec des difficultés. Leurs deux enfants, Suzanne et Gilbert, sont plutôt futés et juste assez cultivés pour avoir des conversations intéressantes avec eux, malgré leur jeune âge. Suzanne veut être institutrice, Gilbert veut être ingénieur. Ingénieur de quoi ? Il ne le sait pas encore mais il trouve que ça sonne bien. Mais pour l’instant, c’est la guerre et les Allemands sont là. Pierre a dû mal à se faire à leur présence, lui qui est une gueule cassée de la guerre 14-18. Je ne l’ai jamais entendu les appeler les Schleus ou les Boches. Mais il a la rancune tenace et cette occupation lui déplaît fortement. Je crois qu’il les combat à sa manière. Il ne me dit pas tout. Il ne me raconte pas grand-chose à vrai dire. Officiellement, il vient chez moi avec sa femme pour prendre un bon bol d’air de la campagne et pour se ravitailler un peu en légumes et en victuailles. Officieusement, je crois qu’il a des contacts avec des gens ici. Il a gardé des contacts avec l’hôpital provisoire de la première guerre mondiale, avec ces dames blanches avec lesquelles il a commencé sa carrière de soldat. Il s’était fait un bon noyau d’amis, des personnes toujours prêtes à aider. Je ne les connais pas. On ne fait pas partie du même réseau et je ne sors pas beaucoup de Saint-Denis-les-Ponts. Je n’ai pas d’auto ni de cheval. Je ne vais jamais au marché du jeudi sur la place du 18 octobre. Je n’en n’ai pas besoin, j’ai tout ce qu’il faut à la maison. Parfois, je prends mon vélo pour vendre des lapins au marché de Brou, c’est plus lucratif. Au fond, je préfère les Percherons aux Beaucerons. Je pense que tout le monde me donnerait raison. Quant à Pierre, j’ai l’impression qu’il vient chez moi pour faire des affaires mais je pense qu’il fait bien de se taire.    

 

#11 partir si tard

… je ne pensais pas revenir si tard dans la journée J’étais épuisée j’aurais bien aimé rester où j’étais C’était un 21 juin c’est dire l’heure à laquelle je suis rentrée pour ne plus rien voir dans les chemins et les fossés J’étais partie de chez moi depuis cinq heures du matin j’étais partie vendre des lapins au marché de Brou avec ma bicyclette Ou mon vélo appelez ça comme vous voulez Je n’ai pas fait un bon marché J’ai fait vingt-cinq kilomètres à vélo avec un panier plein de lapins à l’aller J’ai fait de même le soir sur le chemin du retour mais je ne sais pas ce que j’ai fait j’ai traînassé à Brou après le marché du mercredi matin Je suis allée dans les cafés pour ne rien consommer je suis allée prendre un bain de gens moi qui suis seule du matin au soir et quand j’ai voulu rentrer il était vingt-deux heures passées je suis rentrée dans la pénombre puis dans le noir faisant marcher mon catadioptre Je n’arrivais pas toujours à bien définir les odeurs qui remontaient de la terre sur la route du retour Je ne distinguais pas toujours très bien les à-côtés J’essayais de m’éloigner du bord de la route pour circuler au milieu du chemin qui était tracé sur mon retour Heureusement, il n’y avait pas beaucoup de voitures à l’époque J’avais cinquante-deux ans et j’en avais plein les bottes de cette journée si longue la plus longue de l’année J’ai tout de même senti l’odeur des prés fraîchement coupés l’odeur des blés et des orges en train de blondir dans les champs il y avait ces odeurs de foin et de luzerne il y avait l’odeur de mes lapins que je ramenais dans une caisse avec des trous ils étaient bien vivants mais visiblement sonnés d’avoir été enfermés toute la journée dans cette caisse si petite pour eux Ils étaient cinq et c’était loin d’être des lapereaux Quelle idée aussi de faire tant de chemin avec des lapins à l’arrière de mon vélo à mon âge Je n’avais plus tellement la force de faire tout ça et cette soirée d’été était un peu venteuse on sentait l’air chaud arriver dans une nuit qui aurait dû être plus fraîche Le bord de la route était enherbé et j’avais parfois peur de tanguer et de tomber dans les fossés je ne sais si j’aurais pu me relever Je n’avais pourtant rien bu j’étais simplement fatiguée Arrivée à Saint-Denis-les-Ponts j’ai tout de même reconnu l’église face à moi Je n’avais plus qu’à tourner à droite et j’étais dans la traversée du bourg Je distinguais à peine le Marigny sur la gauche ainsi que l’épicerie Vallée le boucher et le boulanger sur la droite c’étaient mes magasins à moi et aujourd’hui j’avais voulu faire les magasins à Brou Mal m’en a pris il ne faut pas changer ses habitudes quand on vit en autarcie j’ai traversé le bourg à la seule lueur de mon catadioptre il n’y avait personne dans la rue puis j’ai monté la côte des Roncettes autant dire qu’avec des lapins à l’arrière j’ai dû descendre de mon vélo pour monter la côte à pied et ça m’a fait tout drôle de me retrouver comme ça à pied par cette soirée d’été j’ai regagné ma maison qui se trouve tout en haut de la côte près de la mare des Roncettes ça sentait un peu la vase quand je suis arrivée et une forte odeur de crottes de lapin j’étais épuisée et il fallait encore que je remette les lapins dans leur clapier au fond de mon terrain toujours de nuit et nettoyer un peu leur caisse ainsi que leur lieu de vie leur donner de la luzerne et de l’eau avant qu’ils ne meurent de déshydratation il fallait absolument que je les garde pour en faire des pâtés J’ai fait tout ça dans le noir, à la lueur de ma lampe de poche Il faut dire que je connais bien ma maison et ses contours J’ai pu rentrer dans une maison calme et tranquille qui m’accueille pour que je puisse enfin dormir.

#12 J’y suis allée

Marguerite Talbot n’a jamais quitté Saint-Denis-les-Ponts après qu’elle ait délaissé Chartres et Mainvilliers. En revanche, moi qui occupe désormais sa maison, je suis allée voir ailleurs si j’y étais, au moins trois fois, si ce n’est plus, mais trois est un bon chiffre.
Je suis allée à Moscou, capitale de Russie, en 2003. Nous avions pris un Tupolev et nous avons atterri sans trop d’encombre. Je ne me rappelle plus si le voyage a été long ou non mais le ciel était chargé, le Tupolev aussi. Je ne me souviens pas de l’aéroport non plus, mais de l’arrivée en bus à Moscou via un très large boulevard périphérique entièrement mangé et traversé par les fils et les poteaux électriques. Les immeubles sont hauts et vastes, de facture rigoureusement soviétique. Seules les églises orthodoxes donnent des allures moins rigoureuses à une ville qui commence à s’enrichir dans les centres commerciaux à l’occidentale. Des centres commerciaux avec des magasins identiques aux centres commerciaux qui dévorent les centres-villes des capitales du monde entier. On y trouve les mêmes marques, les mêmes articles, le même way of life à l’occidentale, dans un monde de blancs qui a suffisamment d’argent pour acheter. A Moscou, les boulevards périphériques qui ceignent la capitale sont gigantesques. Des voitures énormes et des camions plus qu’imposants les traversent sans pour autant arriver dans le cœur historique de la ville. Tout de même, on peut voir la cathédrale Saint-Basile, la place rouge et le Kremlin depuis un bus. Evidemment, on peut sortir du bus de touristes et s’approcher de loin de ces lieux stratégiques de la capitale. Point trop n’en faut. En revanche, le café Pouchkine existe depuis peu avec ses boiseries et ses chocolats chauds. Il est recommandé d’y entrer. Pas forcément pour y voir Nathalie. Quoique, certains ont l’air de croire aux apparitions.
Les églises sont surmontées de globes dorés, le soleil se reflète dedans. Leurs murs sont blancs. Parfois, on se croirait dans un film de Disney, Walt n’a rien inventé. On sait que Poutine est déjà là. On ne le voit pas.

Je ne me rappelle pas mon voyage en avion pour aller à Istanbul. Je me souviens de l’arrivée, de ces bidonvilles accrochés aux collines de la ceinture d’Istanbul. De toutes petites maisons de fortune construites à flanc de colline et dans la cuvette, en plein milieu des bois. A cet endroit, pas encore de building. J’ai appris plus tard que l’on fera place nette. Nous sommes en 1998 et le cœur historique d’Istanbul se visite comme si l’on était au pays des mille et une nuits, entre Sainte-Sophie et ses calligraphies d’un côté et le palais de Topkapi de l’autre. Se laisser guider jusqu’au Bosphore et le large estuaire de la Corne d’or, aller voir un cimetière, s’enfermer dans le Grand Bazar, se perdre dans les bleus et les dorés d’Istanbul. Se croire dans un autre espace-temps, figer les instants et toujours se fondre dans l’après pour ne pas interrompre les découvertes et un art de vivre. Rester dans ces instants pour une éternité sans forger d’histoire, se laisser porter par le courant, le courant de l’air dans une atmosphère baignée de possibilités et d’interdits.

Aller à Marrakech, ne jamais rester seule. Je me souviens de l’hôtel et de la Médina, on était en 1999 et on était arrivés par la place Jemaa el-Fna. Il y avait beaucoup de circulation, des chameaux, des chèvres et des deux-roues motorisés. Se souvenir d’une ambiance un peu anarchique et d’un endroit très vivant, bien loin de l’ambiance du bus du voyage organisé où chacun se limite à une discipline propre à lui-même. Les odeurs âcres dans les teintureries, les couleurs, l’ocre des architectures, le vert des jardins de la Médina, la fraîcheur de l’eau et des fontaines. Et pourtant, il fait chaud. On est en avril et le soleil donne le meilleur de lui-même. Un voyage avec des plombiers en goguette qui vérifient si les carrelages sont bien alignés dans les salles de bains de l’hôtel.  Si non, c’est du travail d’arabe. Le racisme s’insinue et s’assume partout. Le bruit et la rapidité des transactions dans le souk. Mille odeurs d’épices, de fruits et de légumes qui se mêlent. On est presque aux portes du désert. Pas loin, il y a des chameaux qui nous attendent. Les hommes qui nous font monter sur ces animaux se foutent de nous. Il faut reconnaître qu’ils ont bien raison, avec nos peaux rougies et nos tee-shirts mouillés par la sueur, nos sacs banane autour de la ceinture, nos bobs vissés sur la tête et nos lunettes de soleil qui ne fument plus rien.

#13 Sur sa chaise

Avoir le cul vissé sur sa chaise et ne pas en débotter. Ne pas regarder ce qui se trame autour de soi. Regarder devant soi, dire bonjour dès que quelqu’un entre, avec un grand sourire, préférer être chez soi, au pied du noisetier, sentir le chèvrefeuille, regarder les framboises dans les framboisiers, les cerises tombées à terre, picorées par les oiseaux ou piquetées par les mouches. Être dans un entre-deux, dans l’obligation de rester enfermée toute la journée, toujours afficher un grand sourire, jouer la carte du plaisir, alors qu’on préférerait être chez soi à observer la benoîte urbaine s’éparpiller sur le terrain. Se lever de sa chaise pour ranger des noms sur un livre, Aurélie Valognes, Virginie Grimaldi, Valérie Perrin, Delphine Giraud, Marie Vareille, Sophie Tal Men, A        gnès Martin-Lugand, Sophie Astrabie, Sophie Jomain,  Karine Lebert, Laure Manel, Tatiana de Rosnay, des noms que je ne connaissais pas, des noms que je ne maîtrisais pas, des livres qui filent entre les doigts, du feel-good pour qui ne file plus très bien, pour qui ne veut pas se prendre la tête, pour qui veut se faire du bien mais qui ne sourit pas dans cette future extase qui me laisse pantoise. Heureusement, il y a Michaux et Cortazar qui m’attendent en réserve. A l’étage supérieur qui est le rez-de-chaussée, peu de lecteurices, des fantômes qui glissent entre les rayons pour emmener avec eux un bout de saga, des histoires qui font chavirer les cœurs. Décidément, dans mon jardin, m’attendent mon chat et le rouge-queue. Le merle ne se moque de rien, il picore les cerises, cherche les vers dans le sol et s’envole pour s’accrocher aux branches de l’arbre. Dans mon jardin, il y a de l’herbe à chat pour le bourdon roux, cette népéta bleue qui pousse à côté de l’absinthe qui sera bientôt en graines pour les oiseaux. Regarder l’ordinateur, les réseaux sociaux, lire Libé et télérama.fr. Attendre mieux que ça mais se contenter de ce que l’on a. Il n’y a plus d’argent, on n’achète plus de livre. Retirer ce qui ne sort pas et faire de la place pour la connerie, le futile, l’inconsistant et l’insipide. Dans le fond, les étudiants se regroupent pour discuter de leurs devoirs mezzo voce. Quant aux mémés, elles arrivent à pas feutrés et papotent bouches grandes ouvertes. Les entre deux âges ont l’air de souris qu’on vient de prendre au piège. En même temps, vu ce qu’elles lisent mais comme on dit, il n’y a pas de mal à se faire du bien. Surtout, pas de prise de tête, pas de gros chagrin, les soucis, c’est dans le quotidien. Essayer d’échapper à l’ennui avec si peu de choses mais pour moi, me transporter au pied des ronces et voir le syrphe voltiger au-dessus des fleurs du chèvrefeuille, le bourdon roux a atterri dans la fleur bleue de la sauge. Eviter le sedum spectabile, le buddleia et ses fleurs en grappes violettes, l’aubépine Paul Scarlett et le mahonia parce que le pittbull et le Malinois d’à côté observent tous mes faits et gestes. Ne pas s’approcher trop près du grillage. Se contenter de peu, regarder tout ça de loin, s’approcher des pieds de tomates qui poussent, voir les fleurs et les fruits se former. S’enfermer 7h30 dans la journée pour avoir le cul vissé à une chaise, ne pas en débotter, regarder le manège de celles et ceux qui lisent encore, dans un club très fermé, mais qui ne lisent pas très fort. Se dire que Marie-Bernadette Dupuy ne doit pas écrire toutes ses sagas. Constater qu’elles aiment ça avec une passion qui me laisse dubitative. Trouver ça drôle au fond. Ne pas se moquer, éprouver une joie enfantine à leur faire plaisir avec ces petits riens qui remplissent des instants de bonheur et de félicité. Elles s’ennuient. Dans mon jardin, il y a des pots cassés à même la terre sous lesquels évoluent des cloportes qui iront manger des cerises et des framboises, si les fourmis ne sont pas là. Mais elles sont là, et bravent le miscanthus qui recouvre la terre. Se dire qu’entre tenir un carnet dans une bibliothèque ou dans un jardin, la faune n’est pas la même et il manque la flore à un endroit.

#14 ça marche

« Ah oui merci ça marche ». Pourquoi elle dit ça ? Pourquoi elle finit ses phrases comme ça ? Elle ne l’a jamais mis sur un piédestal. De lui, elle sait qu’il faut se méfier. Bleu blanc rouge aux fenêtres. Qu’est-ce que cela veut-il bien pouvoir dire ? Liberté égalité fraternité ? Travail famille patrie ?

« Ah oui merci ça marche ». C’est ce que dit tout le temps sa secrétaire. Lui, il s’appelle Roger Navet et il n’a jamais fait la guerre. On lui a mis un boyau de chat dans l’intestin à cause du coup de sabot d’un cheval dans le ventre. Il n’a jamais fait la guerre mais il va à la chasse. Il fait la guerre au gibier sauvage.

« Ah oui merci ça marche ». On est dans les années soixante. A la radio, ils disent que ce sont les yéyés. Roger Navet se voit envahi par les renards et les sangliers. Il veut faire la peau à ces renards qui lui mangent son paon, dit-il, et à ces sangliers qui ravagent ses blés, dit-il. Moi, personne ne vient manger mes poules.

« Ah oui merci ça marche ». Elle traine sur les a, les e et les i. Lui, il ne traîne pas pour aller au café refaire son monde avec un blanc cassé. Il est inquiété par les renards et les sangliers. Il sait comment s’en débarrasser. Il n’est pas inquiété par ma pauvreté, ma suffisance et mon abondance ? Pourtant, je lui inspire de la peur. I est vite agacé quand il est questionné. De moi il voudrait se débarrasser. Mais il ne sait pas comment s’y fier.

« Ah oui merci ça marche ». C’est le maire de Saint-Denis-les-Ponts. Roger Navet est un pauvre hère comme on dit chez moi. Un jour, il a dit travail famille patrie. C’était dit dans un souffle. C’était à peine perceptible, mais il l’a dit quand même quand je suis passée. Je l’ai noté dans un carnet. Monsieur bleu blanc rouge est un agriculteur aisé. Il engrange tellement de blés qu’il ne sait plus sur quels marchés les lâcher. Il a des terres et plusieurs pieds à terre avec des paons et une mare. Il n’aime pas les renards. Il les aime morts, empaillés dans son ancien hangar qui lui sert de salle à manger. Et pour moi, ça ne marche pas, non merci.

#15 Les voyages

« Vous aimez les voyages ? »… Je ne sais qu’en penser. Je ne sais pas si c’est fait exprès. Partir, voyager, aimer. Braver. … S’en remettre aux souhaits.

« Vous aimez les voyages ? »… Je souhaite. Je ne sais pas ce que je souhaite. Tout cela me laisse indifférente. Je ne sais si cela m’est autorisé…. Ai-je le droit de braver mes interdits ?

« Vous aimez les voyages ? »… Ai-je le droit de jouer ? On m’a toujours dit que c’était pour les garçons. Je n’ai pas joué à la poupée, j’étais une maman. C’est pour ça que je n’ai pas d’enfant…. Je n’ai jamais aimé les enfants.

« Vous aimez les voyages ? »… c’est pour ça que je ne suis plus institutrice. Je n’aimais pas assez les enfants pour enseigner. Je me suis promis de ne pas aller très loin, histoire de ne pas me perdre… Je ne me suis jamais perdue.

« Vous aimez les voyages ? » Je ne vais jamais très loin. Je ne prends pas de risque. Pour l’instant, je vais très bien… j’ai demandé l’avis à mon médecin. Il m’a prescrit un somnifère, pour que je puisse m’endormir sans penser à trop loin…  Je suis peut-être lobotomisée… Je ne prends jamais de risque. Je ne m’aventure pas… je ne recherche rien. Je ne suis en quête de rien… « Vous aimez les voyages ? » Ne me fait aucun effet. Car oui, les voyages forment la jeunesse et moi, je suis vieille.

#16 Rencontre

Il ne s’assoit pas, il n’aime pas ça. Il préfère se tenir debout même s’il est mal à l’aise face à elle. Il est devant son entrée. Il a le dos voûté et la tête baissée à moitié penchée. Lui qui a 42 ans, il s’excuse d’avoir fait ça, comme un enfant pris à la faute. C’est son locataire à elle qui a 52 ans et il a coupé toutes les marguerites alors qu’elles n’étaient même pas fanées. « Il aurait fallu me prévenir avant de couper. On en aurait discuté.  « . Lui, très gêné, rougissait déjà quand elle a ouvert sa porte. Il savait qu’elle allait lui parler de ça alors que ça fait trois semaines qu’il a fait ça. Qu’il a coupé toutes les marguerites.  « Elles étaient penchées et affaissées. Moi aussi j’aime les marguerites. J’aurais dû vous en parler c’est vrai je n’y ai pas pensé. J’aime bien désherber, ça me fait du bien. » Il se frotte les mains l’une contre l’autre comme dans un tic, il frotte son coude qu’il a retourné d’un air gêné. Elle aime ses marguerites et il lui en a privé avant l’heure. Elle ne sait pas s’il est sincère. Il a quand même un air gêné et il s’excuse tout le temps. Il parle à peine, c’est elle qui s’exprime. Elle lui fait comprendre qu’elle est chez elle et qu’elle a aussi son mot à dire. Elle ne l’aide pas. Depuis il se tient tout droit. Il a le front rouge et les tempes blanches. Autour des yeux, plus de sang. Il sait bien qu’il n’avait pas le droit de faire ça, de couper les marguerites de sa propriétaire, devant, dans la cour. Il sait que ça ne lui appartient pas mais il n’a pas pu s’empêcher de désherber, comme si c’était une mauvaise herbe. Elle pourrait lui dire : « les mauvaises herbes, ça n’existe pas. Il n’y a que de mauvaises intentions ». Mais elle s’est retenue, elle n’avait pas envie d’être impolie et lui se serait encore excusé. En la regardant, il se balance d’un pied sur l’autre. Il semble navré mais elle n’a pas envie de l’aider. Elle aurait préféré voir danser ses marguerites sur pied.

#17 Ces messieurs-là

 44, rue Hamelin

Un jour de décembre 1920, je me suis présentée au 44, rue de l’Amiral Hamelin à Paris. Il était 14 heures. J’ai demandé à voir monsieur Proust. C’est une dame qui est sortie de l’appartement. Elle parlait tout bas et m’a demandé de ne pas élever la voix. Elle m’a dit : « que lui voulez-vous à monsieur Proust ? » «  Je voudrais le rencontrer, le féliciter pour son roman et sa légion d’honneur. J’ai beaucoup aimé A l’ombre des jeunes filles en fleurs et j’aimerais tant lui parler. » « Monsieur est souffrant et ne reçoit jamais personne. A cette heure-ci, il dort encore. Il ne faut absolument pas le réveiller. Monsieur a le sommeil si fragile. «  «  A quelle heure se réveille-t-il ? » « Il émerge à 16 heures ». « Je peux attendre jusqu’à 16 heures. Il n’y a pas de problème. J’attends qu’il finisse sa sieste. » «  Ah mais à cette heure-là il ne finit pas sa sieste. Il commence sa journée. » A cette réponse, j’ai été complètement abasourdie. Moi qui voulais tellement rencontrer monsieur Proust. Mais je ne me suis pas découragée. J’ai insisté. Je n’ai pas voulu me désarmer. Il m’en fallait plus pour me décourager. « A quelle heure monsieur Proust est-il visible ? » « Monsieur n’est absolument pas visible. Monsieur ne reçoit jamais ». « Monsieur Proust ne reçoit pas ? Est-ce que je pourrais seulement lui laisser une lettre ? Prendrez-vous une lettre de ma part et la lui donnerez-vous ? » « Je peux bien sûr prendre une lettre. Je ne suis pas sûre qu’il la lira. Je vous ai dit que monsieur Proust est souffrant. C’est à peine s’il peut supporter l’odeur du café au lait et du croissant tout chaud à 16 heures. Monsieur est très fragile. Il a son œuvre à écrire. Je ne peux absolument pas vous faire rentrer. Monsieur ne souffre que la solitude ». A cet instant, j’ai eu envie de pleurer. J’ai fini par renoncer. J’ai descendu les escaliers, je suis sortie de l’immeuble. Je l’ai regardé une nouvelle fois en me retournant. J’ai vu une fenêtre haute. J’ai vu une silhouette tirer un peu plus les rideaux. Ce devait être cette femme qui m’a reçue sur le palier. J’ai imaginé monsieur Proust dormir dans cette pièce. Il était 14h30. Une occasion ratée pour moi la petite institutrice de Mainvilliers qui voulait rencontrer un écrivain prometteur.

Rue Fortunée

C’était un beau palais, la folie Beaujon. Balzac et madame Hanska étaient mariés depuis trois mois lorsque je me suis rendue rue Fortunée à Paris. Le palais était meublé avec beaucoup de goût. Du grand luxe, comme je n’en avais jamais vu. Des tapisseries aux murs, des meubles en noyer et en acajou, de nombreuses grandes pièces mais une odeur fétide, à la limite du pestilentiel. Balzac était alité. Visiblement il souffrait le martyr, madame Hanska était à son chevet, elle osait à peine se nourrir. Elle portait un mouchoir à son visage, cachant son nez et sa bouche. Et moi, je n’osais à peine y croire. On était le 9 juin 1850. Honoré de Balzac allait-il mourir ? Tout ceci me coupa l’appétit. Pourtant, on m’offrit du fromage et des fraises, des asperges et du vin. Mais je me trouvais face à Balzac et ne pouvais supporter ce qui ressemblait à une agonie. Balzac ne s’exprimait plus, il gémissait tant il avait l’air de souffrir. Je lui dis que j’avais beaucoup aimé Eugénie Grandet et Les mémoires de deux jeunes mariées. Mais il n’avait plus l’air de m’entendre. Il semblait tout à ses gémissements. Il faut dire que tout son visage était un masque de souffrance. Il n’en pouvait plus. Et moi non plus. Je souhaitais beaucoup de courage à madame Hanska et m’éclipsai comme j’étais apparue dans ce palais au décor très riche, mausolée d’une mort suppliciée.

A Médan

Je suis allée à Médan, chez Émile Zola et sa femme Alexandrine. Nous étions en 1893. Nous avons bien mangé, des asperges à la crème et un pâté de viande qui m’ont rassasiée. C’était le printemps et nous avons mangé dans le jardin. Nous sommes restés à l’extérieur et Zola m’a parlé de sa passion pour la photographie. Je n’osais lui dire que je n’y connaissais rien, que je n’avais jamais tenu un appareil photographique en main, que mon salaire d’institutrice ne pouvait se permettre une telle acquisition. Lui, aisé et menant une vie confortable, en avait plusieurs. Il était intarissable sur chacun de ses appareils et me donnait quelques conseils de prise de vue. Je ne savais pas ce qu’était le cadre ni le contre-champ. Il m’a montré quelques-unes de ses photographies, principalement des autoportraits pour lequel il se trouvait très doué. Et c’est vrai qu’il était doué, beaucoup plus doué que les photographes de Chartres qui n’ont jamais réussi à me tirer un portrait correct. Lui, Émile Zola, était un portraitiste né. Il a voulu prendre quelques photos de moi, mais la nuit avançait. En revanche, j’ai vu Maupassant, Huysmans et Cézanne sur quelques clichés. C’est Zola qui me les a présentés. Je ne les aurais jamais reconnus, je ne connaissais pas leurs visages mais je les ai trouvés si vivants que j’ai regretté qu’il fasse trop sombre pour faire de moi un portrait.

Rue de Rivoli

Robert Desnos m’a invitée à entrer dans sa chambre de bonne au 9, rue de Rivoli à Paris le 12 mai 1923. Il ne m’a pas invitée à déjeuner, il n’y avait rien dans son garde-manger. Je l’avais rencontré par hasard dans une librairie dans laquelle il travaillait. Je lui avais parlé de mes carnets. A cette époque j’avais déjà tout plaqué pour devenir petite cultivatrice à Saint-Denis-les-Ponts. Il a voulu me montrer ses carnets. Ceux qui étaient dans sa petite chambre de bonne et qui avaient une couverture en carton grise. Ils étaient tout fins, ses carnets, et puis à un moment, il me dit, Rose, c’est la vie. J’avoue que tout de suite je n’ai rien compris. Et puis il m’a montré Rrose Selavy, c’est comme ça que visiblement il signait ses petits poèmes. Enfin, je ne sais pas si on pouvait appeler cela des poèmes. C’étaient de courtes phrases mystérieuses, je n’avais jamais lu quelque chose de pareil. Il m’a parlé de choses que je ne connaissais pas, d’écriture automatique et d’aphorismes. C’est alors que je me suis dépêchée de partir, j’ai eu peur qu’il me prenne pour Rrose Selavy. Je n’aurais jamais supporté la comparaison.

Au théâtre

Il n’avait visiblement pas de chez lui. Je l’ai vu une fois dans son théâtre. Nous étions en 1927, et il était très beau Antonin Artaud. Mais je n’étais pas intéressée par sa beauté. J’ai été déçue par cet homme-là, je n’ai rien compris à ce qu’il me disait. Je crois qu’il se droguait. Moi qui n’avais jamais été confrontée à cela, comment imaginer qu’on puisse entrer en transe ainsi ? Il n’était pas clair, ses yeux étaient aussi fiévreux qu’ils étaient plongés dans le vide. La représentation était finie. Je voulais voir l’acteur dans sa loge. Et je suis tombée de haut. Je suis tombée sur de l’insaisissable, de l’indomptable, de l’incompréhensible, de l’inaudible. Bref, c’était l’anarchie dans cette loge où il y avait des gâteaux et beaucoup de vin. Je savais que je n’étais pas à ma place. Je n’ai pas voulu l’accompagner dans ses étourderies. Antonin Artaud a eu l’air de perdre totalement la tête, elle s’est renversée. Je me suis mise de côté, je l’ai observé. Il faisait des grands gestes. On aurait cru un acteur de cinéma mais il n’était pas muet. Il a même gueulé. Je ne l’ai pas rencontré en fait, je me le suis pris de plein fouet. Moi qui venais de ma campagne, il m’a fait penser à l’idiot du village sur lequel tous les regards étaient concentrés. Puis il a fait diversion. Il a remis un bouchon sur une bouteille de vin. J’ai su que toute entrevue était terminée. La loge s’est refermée. J’ai été décontenancée. Moi qui ne montais que très rarement à Paris avec mes carnets. Je suis repartie en train. J’ai retrouvé mon quotidien. J’ai tout écrit dans mes carnets mais j’ai un peu tout oublié.

#18 photographies

Téléphone
Plantes
Couleur
Nature morte
Lumière
Flou
Paysages
Autoportraits

Téléphone : mon appareil-photo, c’est mon téléphone. Certains diront que ce n’est pas de la photo de bonne qualité. Moi, je ne suis pas d’accord avec ça. J’aime beaucoup les photos de mon Samsung A51. Je laisse l’IA et le correcteur automatique s’exécuter, ce qui me libère d’utiliser un logiciel de retouche de photos ainsi qu’un ou plusieurs filtres. C’est peut-être de la photo au bouillon cube instantané, mais pour moi, ça fait de l’effet. Le téléphone, je l’ai tout le temps en poche. Il est facile à dégainer pour prendre une photo n’importe où, n’importe quand.

Plantes : depuis deux ou trois mois, je ne prends que des plantes en photos. Je n’ai pas le temps de me promener, je prends en photos ce qui me tombe sous la main. Pour identifier certaines d’entre elles, les plus sauvages, j’utilise Plantnet. Et j’ai remarqué que les photos que je prenais avec Plantnet étaient plus précises qu’avec l’appareil simple de mon téléphone. Parfois, pour prendre en photo une fleur, même si je la connais, j’utilise Plantnet. Elle me fait toujours meilleur effet.

Couleur : j’aime les photos en couleur. Je n’apprécie que très modérément les photos noir et blanc. J’aime les photos où il y a beaucoup de couleurs, des photos où la couleur aura beaucoup de contraste. Pour moi, la vie ne se voit qu’en couleur.

Nature morte : je n’aime pas les natures mortes, je n’en prends en photo que très rarement. Je préfère les photos où il y a du vivant, des fleurs, des arbres, des arbustes, des bourdons roux butinant l’herbe à chat, des chats faisant la sieste au soleil, des syrphes passant dans le chèvrefeuille. Pour moi, la photo, c’est l’expression même du vivant.

Lumière : je prends rarement des photos à la lumière électrique. Je les prends de jour, en général, et je n’ai jamais utilisé de flash qui écrase les couleurs de la photo. Et, plus généralement, je prends plus facilement des photos en extérieur que des photos d’intérieur.

Flou : je n’apprécie pas le flou en photo. Je ne trouve pas cela artistique. Cela n’exprime rien. C’est vide de sens. C’est juste un effet qui me met mal à l’aise, trop utilisé par David Hamilton qui a abusé des photos de jeunes filles. Je ne trouve pas cela joli.

Paysages : je prends exclusivement des photos de paysages. Les êtres humains traversent rarement mes photographies, peut-être parce que j’ai été obligée, pendant longtemps et professionnellement, de prendre en photo des habitants de ma région. Je n’aime pas les photos posées. Difficile d’être discret dans la rue et de prendre en photo des gens à la sauvette. Ce n’est pas ma pratique. Je n’ai pas assez d’audace pour cela. Je me rabats donc sur les paysages, et j’aime ça.

Autoportraits : je ne prends pas beaucoup de photos de moi. Il m’arrive, parfois, de prendre quelques selfies pour voir où j’en suis physiquement. Je ne me regarde pas assez dans le miroir. Je n’aime pas mon reflet. Mes selfies, je ne les montre à personne, je ne les expose pas, je les garde pour moi.

#19 Bouillon instantané

Je me fixe un objectif. Je me plante sur le talus qui remonte la côte plus bas que chez moi. Sur ce talus, il y a mon garde-manger. Je prends chaque plante en photo et j’imagine son évolution au cours des saisons. Tout ce que la photo que je prends dans l’instant ne verra pas, ne montrera pas.

Il y a le chardon. Il est recroquevillé sur lui-même. Il montre ses piquants. Pas de fleur encore, pas de bourdon pour le butiner, donc pas de graines. Et si pas de graines, pas d’oiseaux. Pourtant, j’aimerais photographier le chardonneret qui viendrait se poser pour manger, le tarin des aulnes pour se rassasier et la mésange viendrait se nourrir elle aussi. Ça, je ne le vois pas encore. Et je ne le verrai peut-être pas. Le chardon, pour l’instant, n’est qu’à l’état embryonnaire avec ses tiges et ses feuilles verdâtres tirant sur le bleuté, légèrement violacées.

La pimprenelle. Elle est insignifiante. Quand on passe à côté, on ne la remarque même pas. Elle n’est pas très photogénique, avec ses longues tiges crénelées de petites feuilles dentelées, et, au cœur, une tête ronde qui tire légèrement sur le rouge. Ce que la photo ne montre pas, c’est que la pimprenelle se mange. On mange ses feuilles qui ont un goût de concombre, on boit ses feuilles séchées en infusion. Je pourrais prendre tout ça en photo plus tard. Pour l’instant, je montre la tête ronde si bizarre.

La campanule raiponce. Des clochettes violettes sur une longue tige, des feuilles longues et des racines qui ne se voient pas. Je pourrais manger la campanule raiponce s’il y en avait si peu. Il y en a peu sur le talus, ça ne souffrirait pas un repas. La campanule raiponce est encore timide ici. Mais dans quelques années, je pourrai photographier les plats que je ferai avec ces feuilles si délicates. Je me contente du charme de ces fleurs violettes. Bien entendu, je ne les mangerai pas.

L’églantier. Pour l’instant, je prends en photo les feuilles et les tiges. Il n’y a pas eu de fleurs cette année. L’églantier est encore trop petit sur ce talus. On ne l’a pas laissé grandir. Il est nanifié. Je ne pourrais donc pas avoir le loisir de photographier les cynorrhodons qui pousseront à l’automne. Des cynorrhodons que les oiseaux mangeront ou que je cueillerais une fois blets pour les manger en confiture. Je pourrais prendre en photo ces confitures translucides à la couleur rouge. Mais maintenant, l’églantier ne pousse pas assez pour envisager tout cela.

#20 Ton portrait

De toi. J’ai cette photo de toi. Tu n’es pas seul sur cette photo mais c’est toi qui es au premier plan. On te voit bien avec ton tee-shirt clair. Moi aussi j’y suis, mais je suis à l’arrière, comme d’habitude. Toi, c’est toi le premier. Ta photo, je l’ai mise de biais. Tu fixes l’objectif avec ton regard plein d’appréhension. Tu ferais presque méchant sur ce cliché. En fait, tu ne sais pas comment poser. C’est une photo de voyage. Nous étions partis en Russie.  Une photo d’intérieur à Moscou. Ce n’est pas le Kremlin, c’est le souvenir fabriqué de Gilbert Bécaud que tu avais vu sur scène. La Russie, c’est aussi parce que tu étais communiste, il faut bien le dire. Tu politisais ta vie. Moi aussi, je crois que je politise ma vie maintenant que je vieillis et que j’ai un mode de vie plus affirmé, bien que discret. Tu affirmais haut et fort tout ce que tu faisais. Tu étais une forte tête, et même une tête brûlée qui s’est retrouvé la tête à l’envers sur un coup de tête. C’est comme ça que tu as disparu. Au fond, c’est toi qui as gagné. Il est vrai que je ne pense jamais à toi. Je ne vais que très rarement au cimetière. Mais dans tout ce que j’entreprends, je sais que tu es là. Je sais au fond de moi qu’il y a l’absent, celui qui a préféré, pour une fois, se taire. Tu as laissé des traces sur ton chemin. En revanche, je ne me souviens plus vraiment de ta voix. Je sais qu’elle était grave et chaude. Une voix virile, comme tout ce qui émanait de toi. Que cachais-tu papa ? Ça, je ne le sais pas. Peut-être déjà cette volonté de fuir un présent exaspérant. Ne jamais montrer que tu étais épuisé. Même à Moscou. Cette année-là, tu ne nous as pas lâchés. Tu voulais refaire ce qui n’a jamais été fait. Te faire une vraie paternité. Passer du temps avec tes enfants, toi qui as toujours travaillé pour qu’ils soient élevés. Déjà, quand j’étais enfant, tu étais absent. Mais sur cette photo, c’est toi qui es au premier plan. On te voit même très bien. C’est dire si l’on ne voit en réalité que toi, toi qui fixes l’objectif avec appréhension parce que tu ne sais pas comment te mettre. Je pense à toi quand je suis au bord de la mer, parce que c’est là qu’on t’a lancé. Tu t’es échappé. As-tu repris ta liberté ? En fait, tu es resté prisonnier de mes faits et gestes, de la manière que j’ai de penser à l’infiniment petit. Je ne sais pas qui a pris la photo où tu n’as pas su comment poser. Sans doute un employé du café où on s’était posé pour boire un chocolat chaud. Ou un touriste. Mes souvenirs ne remontent pas jusque-là. Là-bas, tu n’étais pas chez toi. Mais dans mon salon où tu figures désormais, tu es chez toi. J’ai devant moi le cerisier que tu as planté. Il ne s’est jamais aussi bien porté.

#21 J’y pense

Je n’y pense pas tant qu’il ne se rappelle pas à moi. Mon
corps, je ne pense pas à lui. (1)  Je me
dissocie de lui. (2) J’ai les pieds en avant, mon index glisse. Il passe du
téléphone au contour de mes lèvres. C’est un tic. J’ai des tics mais pas de
tocs. (3) Je ne pense pas assez à ce que je pourrais faire avec lui. Il faut
qu’il m’accompagne, qu’il soit le prolongement de mon âme. Je pense trop à mes
sentiments, j’oublie mon corps. (4) Il ne me fait pour l’instant pas de mal. Je
marche, je m’assois. Je déambule, je m’assieds. Je reste allongée. Je n’entame
de dialogue avec personne. Fera-t-il assez beau pour aller faire les foins ?
Les foins seront-ils de qualité malgré la pluie ? Je n’en sais rien, je ne
ressens pas la fatigue dans mon corps d’aller faire les foins. Elle ne
m’appartient pas. (5) La fatigue, elle vient de la guerre qui s’amorce, qui
fait que je tourne ma tête pour regarder à la fenêtre. Ma nuque est raide. Elle
se rappelle à moi quand je pense à la guerre, celle qu’il y aura quand tout le
monde sera là. (6) Je ne pense pas aux prévisions, mon crâne est plein de mon
cerveau empli d’une vision du monde négative. Je pense à mon chat. Bientôt elle
ne sera plus là. Je ne sais pas ce que mon corps me dira. (7) Une araignée
remonte ma main. Je ne la sens pas. Elle n’a pas de prise sur moi. (8)

(1) En fait, ce n’est pas vrai. Mon corps, j’y pense de temps en temps. Je crois même que c’est mon carburant. C’est ce qui m’emmène un peu partout.

(2) Je pense que ceci n’est pas vrai non plus. Ma tête fait marcher mon corps. Ceci n’est pas exact.

(3) J’ai ce tic car mes lèvres se rappellent à moi tout le temps. Je ressens le besoin de les humidifier et de les toucher pour me sentir un peu exister, comme si je voulais me prouver de l’existence de mon corps. J’ai besoin de me ressentir.

(4) Faux et encore faux. Ce texte est bourré d’inexactitudes et d’approximations. D’abord, je pense rarement à mes sentiments et je n’oublie pas mon corps en réalité. Je sais qu’il existe. Il se rappelle à moi en ce moment. Il me fait mal à un endroit précis. Je me tâte pour voir s’il n’y a pas quelque chose d’anormal. Mon corps, je ne l’oublie pas.

(5) C’est vrai que la fatigue de faire les foins ne m’appartient pas. C’est la fatigue de Corinne, une dame de mes connaissances, qui, à 57 ans, est fatiguée de faire les foins et dit qu’elle n’a presque plus l’âge de faire ça. Elle sent son corps, Corinne.

(6) Je ne vois pas pourquoi j’ai écrit ça. Il est vrai que la guerre me fatigue et que faire les foins fatigue Corinne. Mais les deux ne peuvent pas être mis en corrélation. Peut-on mettre en corrélation fatigue morale et fatigue physique ? Parfois, les deux peuvent être liés, il faut le dire. Mais là, dans ce texte, c’est un non-sens et c’est absurde. En revanche, il est vrai que j’ai la nuque raide. Moi aussi je vieillis.

(7) Mon corps se rappelle à moi parce que je sens bien que mon chat s’en va. Même si elle paraît en forme, je sais qu’elle est en sursis et que je la prolonge. Mon corps et ma tête le savent bien. Ils le sentent bien. J’ai des petits maux un petit peu partout

(8) L’araignée, je l’ai sentie quand elle est montée sur une de mes phalanges. Elle a fait guili comme on dit chez les petits. En fait, elle a eu prise sur moi. Je l’ai laissée partir comme elle était venue, par surprise.

#22 cette rue-là

Plus loin, au numéro 14, il y a une vieille maison inhabitée depuis cinq mois. Suzanne est décédée. Les herbes folles ont envahi la cour. Les hortensias ont poussé. C’est l’été. Ils ont fleuri. Suzanne est décédée en février. Mon voisin l’a appris au mois de mai. Elle est partie en toute discrétion. Plus personne ne la voyait remonter la rue. Elle restait enfermée chez elle. Qui a découvert son corps ? Est-elle morte à l’hôpital ? Ça, je ne le sais pas. J’ai juste vu un avis de décès écrit par la paroisse affiché dans la boulangerie. Suzanne est partie en toute discrétion. Qui viendra la remplacer ?

C’est une rue que j’habite actuellement. Je l’ai toujours connue, la rue des roncettes. Il y a eu quelques mouvements dans les maisons et les pavillons, quelques changements de nom, les voitures qui dorment dans la rue le soir et les chiens qui aboient, mais ce ne sont pas les mêmes qu’avant. Il y a cette maison bourgeoise, une très grande maison, presque un château avec un grand jardin pour faire courir un Jack russel. Dans le jardin, presque un parc à la française, il y a beaucoup d’arbres régulièrement taillés pour laisser passer la lumière dans cette grande maison habitée par des sexagénaires qui viennent de Paris. Beaucoup de voitures sportives se garent à l’intérieur du parc dans les allées gravillonnées.
Dans cette rue, les portails ne sont pas les mêmes. Chacun vit calfeutré chez soi et ne sort que pour aller dans son jardin qui donne à l’arrière de la rue. On vit caché de ses voisins. Exception faite des gitans qui habitent au 10 et qui vivent les fenêtres grandes ouvertes. Ils boivent toute la journée et on les entend hurler toute la soirée, jusqu’à 22h30. Après, ils  ont un chien, un Malinois, qu’ils laissent attaché à une courte chaîne toute la journée. Le chien a un collier électrique anti-aboiement. Ils le contrôlent à distance. Devant, le portail est cassé à plusieurs endroits. Il y a un salon de jardin en métal avec des fauteuils bas dans lequel ils ne vont jamais. Il y a un tas de palettes en attente sur le côté, à côté des poubelles aux couvercles cassés.

Au n.25. Une grande et haute maison avec des volets bordeaux. Je ne sais pas qui habite désormais cette maison. La cour de devant à été dévégétalisée pour ne pas faire de l’ombre aux nouveaux propriétaires. Le tilleul du jardin a été coupé. Habitants anonymisés même lors des barbecues d’été.

Au n.13, l’ancien couvent est inhabité depuis deux ans. La maison ne se vend pas. Faudra-t-il baisser le prix ? A côté, la Maison de la Vierge est occupée par un couple et deux enfants. On ne les voit pas mais on les entend.

Cette rue là, je la prenais pour aller au lait. Je la remontais doucement ou la redescendais plus rapidement. Cette rue là, je la connais depuis tout le temps. Je m’en souviens un peu quand j’avais huit ans. Il y avait déjà cette grande maison bourgeoise, presque un château, avec beaucoup de fenêtres et un grand parc. Je ne me rappelle pas y avoir vu des habitants. Il n’y avait aucune voiture dans le parc mais beaucoup d’arbres tourmentés lors de la tempête de 1999. A côté de cette maison bourgeoise, il y avait un pavillon construit à la fin des années 50. Elle portait une enseigne auto-école et je me rappelle de beaucoup de bagnoles devant ce pavillon. Il y avait aussi un berger allemand qui aboyait tout le temps et qui montrait souvent les dents. Les propriétaires de la maison se portaient tous les soirs sur les marches de leur entrée. Elle avait les cheveux raides et longs. Aujourd’hui, ils sont courts et blancs.

Il y avait des habitants dans la Maison de la Vierge, des grands-parents, une mère de famille divorcée et deux enfants, Tania et Vincent, qui allaient à l’école du village.

En face, au n.10, habitait un menuisier avec sa femme et ses deux filles. A côté, il avait bâti son atelier de menuiserie qui est aujourd’hui habité par un retraité. Je me rappelle la haie de troène qui était petite et basse.

Un peu plus haut dans la rue, il y avait une grande maison haute, avec des volets noirs. C’était la maison de la mémé Goussu, la mère d’une famille nombreuse du village. Devant, il y avait beaucoup d’arbustes, des seringats et des lilas,  et à l’arrière, il y avait un grand tilleul. Le portail et la porte étaient toujours ouverts. La mémé Goussu discutait avec tous les passants.

#23 Au Marigny

Le toit est en ardoise. A quoi ça sert de le savoir puisqu’on est à l’intérieur ? Les gouttières sont en zinc et les persiennes sont en fer. Les fenêtres sont en bois, un bois peint en gris. Mais tout ceci, on le voit de l’extérieur. Le Marigny, c’est le bar-tabac-presse du village. Il est le premier commerce dans le bourg, celui qui est même ouvert le dimanche à la sortie de la messe. L’étage supérieur, puisqu’il y a un étage, est consacré à l’espace intime des propriétaires. Les Béaur, on les appelle. Un couple avec trois filles. A l’étage, il y a une salle de bains et trois chambres. Les toilettes sont dans le jardin. C’est une petite cabane au fond du jardin. En revanche, à l’étage, il y a la chambre des parents, la plus grande, la rectangulaire. Il y a la moyenne, pour les deux filles aînées, et la plus petite chambre pour la petite dernière. Il n’y a pas beaucoup de meubles dans ces chambres, juste un lit, une armoire et des tables de chevet en bois surmontées d’une lampe en onyx. Aux plafonds de chaque chambre, juste une ampoule électrique qui pend. Pas de suspension, pas de commode, des voilages aux fenêtres mais pas de rideaux. Rien que le strict minimum. Aux murs, des papiers peints fleuris déchirés dans les coins. Un tapis tout de même sur le parquet, une sorte de moumoute orange qui prend toute la poussière. Ici, on n’y vit pas. On vient juste pour dormir, se poser un peu avant de repartir au rez-de-chaussée.
Pour aller au rez-de-chaussée, il y a un escalier sur le côté de la maison. Il part du couloir de l’étage pour arriver dans la cuisine, c’est la partie privée du rez-de-chaussée. Une cuisine avec une gazinière, une table, quatre chaises, un buffet. C’est une cuisine en enfilade. On s’y pose un peu, surtout les filles pour faire leurs devoirs le soir. Le couple Béaur se relaie au moment des repas. Comme ça, le commerce est toujours ouvert, de 6 heures à 21 heures. Seul le dimanche après-midi est chômé. C’est le moment de faire les comptes dans la cuisine avec les filles. A l’avant, il y a le commerce dans lequel on n’a pas d’intimité. Le commerce est grand et vaste. Il y a un grand comptoir derrière lequel se tiennent les patrons. Devant, les assoiffés du coin qui se relaient toute la journée. A côté de la cuisine, il y a huit tables pour quatre personnes, des chaises et une banquette en simili cuir marron. Les tables et les chaises sont en bois. On n’est pas encore passé au formica. Quelques affiches aux murs avec du Byrrh et du Bo du Bon Dubonnet. Les journaux sont à côté des tables, un peu au-devant de la boutique, sur le côté droit. Il y a un grand présentoir sur lequel on dispose des journaux et des magazines, les grands quotidiens nationaux, les quotidiens régionaux sur un petit présentoir à part et des hebdomadaires et des mensuels, des magazines féminins et ce que l’on n’appelle pas des magazines masculins. Il y a le Chasseur français et ses petites annonces, l’Echo de Brou et ses annonces légales, Rustica et ses plaisirs jardiniers, Paris Match pour le choc des photos, l’Echo Républicain en bleu et la République du Centre en rouge. Derrière le comptoir, des étagères avec des verres, des tasses et le percolateur. Près de la caisse, des rangées de cigarettes. Et au comptoir en zinc, des pompes à bière qui ne sont pas très utiles. C’est pour faire style. Ici, on boit du vin. Les jours légers, on boit du cidre. Les boissons, on va les chercher à la cave. Il y a une trappe au milieu de la boutique et un escalier qui part en colimaçon. Il n’est pas très large, mais Tribouillet arrive à y déposer les caisses de vin que les Béaur font venir pour satisfaire la clientèle. La cave est faiblement éclairée mais Roland Béaur arrive à trouver la bonne bouteille. Seul Roland Béaur descend à la cave pour le ravitaillement. Elle est en terre battue, fraîche et humide. Les murs suintent un peu, les araignées ont pris possession des lieux. Parfois, un crapaud arrive à se faufiler mais personne ne sait comment il peut entrer. Y’aurait-il des ouvertures dans les profondeurs du Marigny ? Quelque chose qui remonte par les égouts ? Un filet d’eau qui se jette dans le Loir qui est à proximité sans pour autant penser à inonder le bac-tabac-presse du village ?

#24 Dormir

Un jardin. Un appentis. Un fauteuil en osier avec un coussin jaune passé par le soleil. Elle dort à l’ombre de l’appentis, tête sur le côté. Elle a quatre-vingts ans et son masque de vieillesse sur son visage. Elle dort assise dans son fauteuil. Elle dort dans la journée parce qu’elle ne peut pas le faire la nuit. Elle dort la bouche ouverte. On imagine son squelette. Elle n’est pas grosse mais elle n’est pas mince non plus. Pourtant, on imagine son squelette quand elle articule son visage autour de son sommeil. On imagine le squelette de la bouche et de la mâchoire. Elle a des mouvements de bouche quand elle dort. Elle la referme un peu et l’ouvre grand quand elle respire fort. Elle ne ronfle pas vraiment. On entend sa respiration et on voit tous les mouvements du haut de son corps. Elle referme sa bouche. Respire-t-elle encore ? Les yeux sont fermés. Ils tremblent un peu. La poitrine se soulève parfois, le ventre se gonfle. Les bras, repliés à demi sur le ventre, sont soulevés eux aussi dans le mouvement du ventre. Elle dort profondément. Elle n’a pas encore le masque de la mort sur elle. Pas comme son mari dix-sept ans plus tôt et qui dormait sans presque donner signe de vie. Il avait la tête en arrière, la bouche grande ouverte, les yeux totalement fermés. Rien qui ne donnait un signe de vie. Il semblait à peine respirer. Et pourtant, il vivait encore, silencieusement, inlassablement fatigué d’être lui-même et des autres qui ne le comprenaient plus. Il est décédé huit mois après cette journée de Noël où il avait passé toute son après-midi à dormir plutôt que jouer aux jeux de société. La mort l’avait déjà envahi. Personne ne s’en était rendu compte. Seule sa fille avait eu l’impression de voir son père mort alors qu’il ne faisait que dormir. Elle n’a pas voulu le voir, huit mois plus tard, alors que la mort l’avait emporté. Elle n’a pas voulu voir son cadavre. Elle s’était simplement rappelée ce sommeil de Noël et ça l’avait suffisamment glacée. Désormais, lorsqu’elle voit quelqu’un qui dort, elle ne peut s’empêcher de se demander s’il est mort. A moins que le sommeil ne soit sonore.

#25 La ronde des odeurs

Tenir un carnet ou faire un inventaire ? Tourner autour de soi, autour de son célibat. Ne parler que des odeurs que l’on reconnaît. Avoir le nez dessus, ne plus humer avec le même flair. Le nez a fini par absorber les odeurs et les laisser filer. Ne reconnaître que ce qui est proche du nez depuis quelques années. Faire le tour de chez soi et en connaître les odeurs par cœur sans se laisser surprendre par une agréable ou désagréable odeur. Râler parfois quand on sent l’odeur des crottes des chiens des voisins qui passe à travers le grillage. C’est l’odeur de la peur.
Sentir le chèvrefeuille par habitude. Se remémorer l’odeur de la racine de la benoîte urbaine, une odeur de clou de girofle mêlée à de la terre mouillée. C’est l’odeur de la bonne cuisine, du goût fin et délicat. C’est l’odeur de la concorde et de la paix retrouvée. L’odeur cuite de la framboise écrasée au sol, l’odeur aigre de la cerise qui pourrit dans l’arbre. Les feuilles de tomates, de la mélisse, de la sauge, de l’origan, du thym citron qui éclatent sur les doigts et que l’on met sous le nez avant d’en connaître le goût. C’est l’odeur des saveurs. L’odeur de la pivoine comme un parfum d’ambiance d’extérieur. L’odeur de la mélancolie. L’odeur des êtres extatiques.
Continuer à faire le tour de chez soi. Reconnaître l’odeur de la poussière et des toiles d’araignée au plafond du salon. Est-ce l’odeur de l’ennui ou du jemenfoutisme ? L’odeur du chat, de son poil parfumé aux odeurs de l’été. Elle porte en elle comme un parfum d’éternel. Il n’en est rien. C’est l’odeur du déclin.
L’odeur du froid, l’odeur du chaud. L’odeur des sensations, l’odeur de l’analyse, l’odeur de la polémique. L’odeur des idées, celles que l’on a conçues, c’est l’odeur de la fierté. L’odeur de la précaution qu’on utilise dans ses relations sociales, c’est l’odeur de la retenue et des idées préconçues. Pas d’odeur sur le lieu de travail, rien de définissable, juste l’odeur entêtante d’un savon à la rose. L’odeur de l’arnica quand on a mal, l’odeur de la sueur des autres qu’on sent avant la sienne. C’est l’odeur de l’altérité. ’odeur de la pauvreté, c’est l’odeur de la richesse mal acquise, une odeur de soufre et de j’ai trop compté. L’odeur de la maladie, du laisser-aller et de la folie. L’odeur de la démence, l’odeur de la psychose, ce sont des sensations exacerbées, des odeurs démultipliées.

Comment reconnaître l’odeur de l’écriture sans stylo ni crayon ?


A propos de Elise Dellas

Court toujours. Ou presque... La retrouver sur son compte Instagram.

56 commentaires à propos de “#anthologie #25 | Bifurcation”

  1. Dans cette déception réciproque est tout de même »advenue » cette tentative de votre part, de relecture de votre mise au monde par l’écriture ( et sans doute autre chose). Merci Elise pour cette évocation sans brouillard d’une possible naissance ratée et reconnue comme telle. La nuance entre « naître » et « exister’ est au coeur de votre propos.

  2. Merci Élise, c’est fort, sincère. « je suis née à la place des résignés »,
    « je ne suis pas née je me suis confondue »
    Cette écriture puissante est une preuve de la conclusion « Je me suis déterminée pour l’écriture. C’est pour ça que je suis née. »

  3. Je découvre ces deux textes , le premier est très fort, parait si emprunt de vérité. Ces formules : » je ne suis pas née , je me suis confondue … je suis advenue… heureusement l’écriture est là et vous la servez si bien.

    La routine du deuxième texte montre combien le narrateur veut s’épargner d’images polluantes qu’il a trop l’habitude de croiser… Nous partageons l’évocation d’un lieu lié aux livres…

    • Pour le deuxième texte, je me rends compte que je me mets des œillères au lieu de regarder les choses. Je n’arrive pas à casser la routine qui peut être sécurisant d’une certaine manière. Merci pour votre passage.

  4. Un stylo bic quatre couleurs, ça me parle à moi aussi.
    J’aime beaucoup comment le texte évolue vers la série de questions jusqu’à la dernière : Le stylo Bic quatre couleurs aura-t-il une fin ?
    Merci

  5. Un beau rythme avec cette succession de phrases courtes pour la proposition 5 autour du corps.
    « Je n’y pense pas tant qu’il ne se rappelle pas à moi. Mon corps, je ne pense pas à lui. Je me dissocie de lui. »
    J’ai relu les autres textes. Je trouve qu’il y a un univers qui vous est propre qui se révèle de texte en texte. J’aime beaucoup,

  6. … je n’ai plus que le rose qui marche sur mon bic quatre couleurs, j’en fais quoi? de l’utilité de ce genre de préoccupations…qui aère le cerveau quand la peur de la guerre s’approche d’un des hémisphères… Merci beaucoup!

  7. salut Élise, je te retrouve là un peu tardivement mais je suis dans les parages
    viens de lire ta #7 et ta foule de détails à l’arrivée de la nuit
    j’espère qu’elle a été douce et belle
    à te retrouver vite

      • Bonsoir,

        J’ai les 12 ou même 13 textes avec le préambule, et plus on avance mieux on prend la mesure épaisse des lieux, de la narratrice et ses hantises, de ses ancêtres possibles via les Talbot et Beley, j’attendais les trois villes, comment ouvrir le village ? Et bien avec cette écriture si captivante des petits et grands détails, changement permanent d’échelle, narration intérieure et oeil critique. Merci pour ces déjà treize magnifiques fragments d’une fresque colorée et sensible, qui n’évite pas les difficultés.

      • Merci Catherine. Oui, je me rends compte que je commence à accumuler de la matière pour faire une fiction même si parfois la fiction a des petits accents de réalité. Merci d’être attentive.

  8. Marguerite Talbot m’a beaucoup plu, je n’ai pas encore découvert les autres textes, je papillonne au gré des propositions, mais j’aime ces histoires du soir derrière une porte fenêtre le personnage et la chute « elle ne m’a pas tout dit » on a envie de connaitre la suite …

    • Bonjour Caroline. Merci de me lire. Marguerite Talbot est aussi dans la dixième proposition et sera dans la onzième. Après, je ne sais pas. Ça dépendra des propositions à suivre. J’irai lire ce que vous avez déjà écrit

  9. .. contente que les lapins soient rentrés sains et saufs avec elle, dont on sent la fatigue jusqu’à l’épuisement… dans un décor bien loin de celui citadin d’où ce soir j’écris, merci pour le voyage!

  10. J’aime beaucoup cette façon d’attraper la mémoire des villes : lacunaire et riche. J’aime beaucoup cette façon tellement directe d’attraper ensemble ce qui relève de la visite guidée incontournable des trésors arrachés au temps et la ville telle qu’elle surgit, sa modernité en rupture, ces relations humaines tronquées… ) .., Merci

  11. #16 mais comme je comprends cette histoire de marguerites… elles dansent dans ma prairie et dans des recoins du jardin bien que ce soit bientôt la fin, mais c’est tellement simple et beau… tout comme cette histoire qui laisse un garçon navré…

  12. C est très intéressant comme certaines occurrences se répondent dans nos textes respectifs , flou et autoportrait par exemple et les attaques en j aime , j aime pas très agréable. .. on se sent moins seule !

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