#anthologie #prologue | lent puis accéléré, pour trop d’années

Fus conçue. Me suis accrochée, suis née, ils ont souri de fierté et bonheur, ne m’en suis pas souciée, apprenais à respirer et à ne plus pédaler dans le liquide.

Ai senti que j’avais une peau et qu’elle était touchée. Ai senti autre peau, l’ai respirée, elle était chaude et douce, ai aimé être posée contre elle, m’y blottir, elle n’était pas moi ou n’était plus moi mais elle était pour moi.

Ai entendu des sons distincts de mon univers, n’étais plus dans le son, mais il était là. Ai entendu l’absence de son. Ai découvert le silence. L’ai brisé par du son qui venait de moi. Ai entendu une voix qui était musique, ai senti qu’elle entrait en moi pour faire sourire mon ventre. 

Ai respiré, respire, ne le sais pas mais parfois suis gênée un peu un instant pour le faire par un drap un petit bout de tissu blanc qu’on pose sur ma peau, proteste en pleurant sans savoir pourquoi, deviens rouge de fureur, m’élargit, ma poitrine se dilate, deviens cri, souri quand ça finit, tète l’air, un bruit doux sort.

Il y a eu la lumière qui entrait en moi et puis du flou, il y a des images, des choses que ne peux toucher et quand elles deviennent proches ne les vois plus, juste une lumière rose ; j’apprends qu’il y a des visages et qu’ils sont différents, qu’il y a qui me font ouvrir les lèvres et que c’est bon, j’apprends les sourires ; il y a les couleurs, il y a la violence plus ou moins grande des lumières, il y a la douceur, il y a le noir.

Il y a ce besoin qui me ronge parfois, crie jusqu’à ce qu’on le satisfasse ; il y a ces fois où avant que ce trou en moi produisent le cri suis soulevée, pressée dans la douceur, ouvre la bouche pour la téter. Il y a la force, les jambes, les bras, le dos qui bougent, il y a prendre, agripper, remuer, aimer cela, et parfois les gestes ont un but, un résultat et c’est bien mais j’aime aussi quand c’est juste du mouvement, le moi, même si ne sais pas encore ce qu’est ce moi, bougeant dans le monde qui bouge, en faisant partie, le faisant mien. 

Il y a la rencontre des obstacles, des que j’aime, des qui me rejettent, refusent, me font mal. Il y a ces grandes choses qui sont des mains, qui me touchent, qui me servent, qui caressent, qui vont avec des visages, des voix et des odeurs. Il y a aussi les odeurs oui. Il y a tant de choses, de présences dans ce tout que ne démêle pas vraiment, et dont ne sais si elles me  sont bonnes ou me refusent, si elles m’aiment, si les aime, moins ou davantage sauf celles qui m’appellent, m’attirent ; il y a celles évidentes qui me sont nécessaires, qui sont un moi extérieur, agrandi et fort.

Ai émis des sons, ai joué avec sons, ont prétendu que disais des mots, ai aimé les mots pour toujours, ai proposé mots, ai compris leurs mots ou l’ai cru. Ai touché, ai senti touchers, ai appris le léger, le rude, le fuyant, le râpeux, le brûlant, la pierre, les épines de pin, la fragilité des pétales, la douceur de la soie, la peau rude des mains de l’homme, larges rouges avec des cordages saillants et leur chaleur tendre, la douceur de la joue de la femme, l’agacement de la laine, le poisseux des bonbons, le sable humide coulant des doigts, les blessures de certaines herbes ou ce que j’appelais herbes. Ai découvert l’équilibre, la marche et puis la souplesse, le rythme, le bruit des pas tapés avec le souffle du vent dans les feuilles. Ai regardé, ai choisi, ai découvert des êtres de ma taille, me suis battue ou j’ai embrassé. Ai été moi et puis est arrivé une petite chose gigotante, ai appris que devais l’aimer et l’ai aimée, ai protégé, expliqué aux adultes ce que disait la petite, l’ai admirée, suis devenue la grande, ne l’ai pas voulu, suis partie de mon côté, ai été l’autre.

Pour la suite, reprends ce que disais en 2019, en gardant le début qui est un résumé rapide de ce qui précède.

Suis née.

Ai été un miracle. N’ai plus été un miracle.

Ai accueilli les miracles suivants, ai protégé les de moins en moins miracles suivants, ai trouvé qu’ils prenaient de la place mais c’était amusant. Ai été chef de file. Ne voulais pas être chef de file. Ai cédé les rênes au numéro deux.

Ai aimé avoir confiance dans les adultes. Les laissais décider. Les écoutais . Et souvent choisissais de ne pas. Disais non. Constatais alors qu’ils avaient raison. Souvent. Etais rassurée. Revenais et disais oui. Ou bien me taisais.

J’ai menti, j’ai aimé mentir, j’ai trouvé cela plus joli et drôle, je n’ai jamais menti utilement ou ne le voulais pas. J’ai imaginé des histoires pour les petits. Me plaisait trop. Les ai ennuyés. Ai gardé mes histoires pour moi.

Me cachais ce que n’aimais pas et de ce que n’aimais pas. Me cachais. Décidais de ne pas voir ceux que n’aimais pas. Fermais les portes. Me regardais. Espérais me voir autre. Avais peur des regards. Mais aimais les sourires et me moquais de savoir à qui ou à quoi ils s’adressaient.

Bougeais peu. Savais ma maladresse. Cassais ce que j’aimais. Mais lançais mon esprit, avec enthousiasme, trop vite. Croyais comprendre ce que voulaient les gens. Me trompais souvent. Le savais. En fait me trompais très souvent sur les gens. Aimais qui il ne fallait pas. Aimais qui ne m’aimait pas. Aimais bien ou aimais vraiment mais en silence. Me contentais de ce plaisir. Ai grandi, un peu. Ai vieilli surtout. Ai appris à aimer la solitude. Me voulais quiète. L’étais parfois.

Ai appris à lire. Ai voulu savoir lire pour découvrir ce qui était écrit. Ai aimé lire. Mais ne comprenais pas. Lisais en attendant. Me moquais un peu du sens. Goûtais la musique muette sous mes yeux. Ai grandi ou vieilli pour cela aussi. Ai relu. Ai choisi au fil des ans qui comprendre à travers la musique de sa langue. Griffonnais en cachette. N’osais montrer que ce qui était devoir ou plus tard travail. Ai été absurdement fière d’avoir rédigé les lettres types du Cabinet. Aime toujours les mots plus que le sens affiché.

Avais peur des autres. N’en ai plus peur pour moi depuis longtemps. Regardais, regarde l’humain avec effarement, pour le mal ou le bien. Détestais et redoute les indiscrets. Me reprochais ma lâcheté quand j’aurais pu aider et me reproche ma maladresse quand je le peux. Refusais de me pardonner, fais avec.

Pensais différent. Pensais contre. Ai vécu un temps dans un monde de pensées muettes si pensée y avait. Avec le temps ai trouvé avec qui penser en accord. M’en inquiète un peu.

Voulais avoir oeil innocent, sauf pour travail. Me méfiais des idées. Ne voulais pas penser. Ne pouvais que penser. Détestais, non déteste le mot raison. N’aime généralement pas ce que je comprends.

Ne croyais pas au mot bonheur. Ai décidé d’en ignorer l’idée. Il m’a ignoré, m’a laissé les joies. Pense que c’est bien.

Vivais à côté de ma vie. M’étonnais de la vie. M’étonnais encore un peu de moi. Voulais pourtant être vue. Choisissais le ridicule.

Avais décidé que je n’aimais pas la vie ou ma vie. Jouais avec l’idée, juste l’idée de la mort.

Mais c’est ainsi, chaque fois qu’il l’a fallu, jusqu’à maintenant, me suis cramponnée à la vie..

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

17 commentaires à propos de “#anthologie #prologue | lent puis accéléré, pour trop d’années”

  1. « Ai touché, ai senti touchers, ai appris le léger, le rude, le fuyant, le râpeux, le brûlant, la pierre, les épines de pin, la fragilité des pétales, la douceur de la soie, la peau rude des mains de l’homme, larges rouges avec des cordages saillants et leur chaleur tendre, la douceur de la joue de la femme, l’agacement de la laine, le poisseux des bonbons, le sable humide coulant des doigts, les blessures de certaines herbes ou…. » c’est très beau …merci Brigitte

  2. Oh que vous êtes gentils !
    moi qui me laissait (qui me laisse tant pis) jusqu’à demain matin pour commencer à ronger toute le masse des contributions…
    bon vais céder ce soir à l’impatience de découvrir (là bein d’un moment d’écoute yeux fermés)

  3. Je ne lis pas tout ce que tu écris. Pas toujours, pas toujours le temps, mais toujours le regret. Lisant ce nouveau texte (et l’ancien), je comprends à nouveau pourquoi toujours le regret. Tu vas si profondément dans le geste, toujours fidèle à toi-même, tu te laisses être paumée (tu le sais, tu l’auras deviné, Malice te dois beaucoup dans ces errances pleines de grâce et d’abandon). Je reviens au texte nouveau : l’élision du sujet, qui est ta marque, elle me semble essentielle, un outil essentiel, pour dire l’enfance. La c’est particulièrement brillant pour la sensation, la sensation devant le sujet, plus grande que nous… Il reste un seul « je » pour « j’embrassais », si c’est une erreur d’inattention, je ne la corrigerais pas. Si c’est voulu, ça marche. Dans les deux cas, chapeau bas, ma chère Brigitte.

  4. Je découvre cette vie à hauteur de bébé… si bien explorée… à tel point que je me suis demandé si tu avais des souvenirs vraiment de cette vie-là… Et puis ce texte, le premier, qui poursuit le précédent, et comme le dit si bien Emmanuelle, où l’élision du sujet prend tout son sens. Quel plaisir de te lire, toujours !

  5. un très grand mercu Marlen et Jean-Luc … suis confuse (vais avoir de moins en moins le temps | me noie dans un dé à coudre | de lire et commenter. (surtout sans faute de frappe.. mais vous me remontez le moral 🙂

  6. « Ai émis des sons, ai joué avec sons, ont prétendu que disais des mots, ai aimé les mots pour toujours, ai proposé mots, ai compris leurs mots ou l’ai cru. »
    Vous voilà déjà au cœur des mots… merci !

Laisser un commentaire