1. J’ai une passion : je collectionne tout ce qui peut recueillir mes sécrétions nasales. Les paquets de kleenex égarés me ravissent (au premier coup de froid la pêche est généreuse) ; les repas de famille, les auberges espagnoles, les sorties restaurant ne sont pas mal non plus : les convives abandonnent sans aucun état d’âme leurs serviettes de table à peine utilisées, parfois immaculées. Si la chose a servi, je déchire le bout de tissu barbouillé et le reste atterrit à portée de naseaux.
Comme toute habitude dont je ne suis pas fière, j’agis discrètement. Malgré mes précautions, mes proches ont bien fini par me percer à jour et me présentent hilares, comme un cadeau de prix, leurs mouchoirs usagés. Quand nous sortons manger, il me manque l’audace d’empocher les serviettes des tables avoisinantes, et c’est à la détresse que j’éprouve en ces cas que je dois la conscience du trouble compulsif dont je souffre en silence.
Compulsion sans nul doute, car aucun argument ne rend pleine justice à ma collectionnite: je ne suis pas fauchée : acheter des kleenex ne me ruinerait pas ; je suis pingre, sans doute, mais par intermittence ; je suis eco-friendly, comme tout un chacun, mais je l’oublie parfois, comme tout un chacun.
Il me faut donc me rendre à la nue vérité : je désire ardemment tout ersatz de kleenex, d’un désir sans pourquoi. Au moins cette addiction est-elle inoffensive, toutes ne le sont pas.
2. Pendant quelques étés, j’ai eu l’insigne honneur d’être litter-picker au grand Glastonbury, dans l’anglais Somerset, le plus hyperbolique des festivals d’Europe. On traduirait bien mal ces mots : litter-picker par « ramasseur d’ordures » : nous étions une sorte de tribu temporaire, un peu cour des miracles, son idiosyncrasie en valait bien une autre, et puis nous étions fiers. Fierté qui ne s’expliquait que marginalement par l’acte écologique que nous accomplissions. Nous étions orgueilleux d’être la face B du glorieux festival, bien plus cools en cela que l’immense troupeau qui payait à prix d’or l’entrée au paradis. Si d’aventure un membre du clan des nettoyeurs se joignait au raout, il se devait d’entrer en tant que clandestin, bénévole ou dealer : payer pour festoyer valait déclassement non-dit mais radical.
Canicule ou pluie dense, nous écumions les prés ravagés de Pilton, dégueulasses et rieurs, traînant nos sacs poubelle. La journée mûrissant nos besaces gonflaient du fruit de nos cueillettes. Au soir nous nous posions la question rituelle : « What is your best tat1 ? » : « Quelle est ta plus belle trouvaille ? » et tous de raconter les trésors amassés. L’honnêteté me force à confesser ceci : le tat le plus prisé, juste après les billets oubliés dans les poches de jeans abandonnés : tout ce qui défonçait, à boire ou à gober. Aussitôt la journée de travail terminée, les canettes, les flasques, sachets de LSD, acides et autres extas glanés ici ou là sortaient de nos besaces – type auberge espagnole. Le tout se consommait dans la jovialité autour de feux de camps jusque tard dans la nuit. Ce rythme soutenu n’était pas fait pour tous. Beaucoup, hors d’état de trimer ou ne pouvant attendre le soir pour picoler, étaient remerciés par Rob, chef des poubelles (qui, pourtant, magnanime, réintégrait bientôt les brebis repenties).
Ah ! Les joyeux étés dans les prés dévastés du cher Glastonbury ! J’en garde un lien de cœur avec toute poubelle, penchant que je m’applique à dompter en public – de même qu’en privé (on a sa dignité).
3. En Allemagne, on recycle les déchus. Partout dans le pays poussent des « jobs turbo », ces bourses du travail où des chefs d’entreprises rencontrent des migrants – plus si affinités. Ce pays tant envié a découvert penaud qu’il courait vers l’abîme, ses citoyens n’ayant plus le goût d’enfanter, et ses vieux ne vivant pas d’amour et d’eau fraîche. Oh ! Qu’à cela ne tienne, dirent les pragmatiques, dans nos parcs gît un stock de bronzés vagabonds, épaves échouées du monde malheureux. Moyennant quelque effort de remise en état, ils seront frais dispo pour retrousser leurs manches et cotiser fissa.
Ainsi fut dit, ainsi fut fait.
Ratisser les bas-fonds ne suffit d’ailleurs plus : l’Allemagne envisage de voir les choses en grand et de draguer au large: il s’agit au bas mot de sauver la nation, et de répondre au chœur lancinant des teutons : qui va laver le cul de nos propres déchus ?
1Exemple de terme endogène
la collection de kleenex, pas si facile, ont tendance je pense à accepter assez mal d’être entreposés avec le minimum d’ordre nécessaire pour être stable (sourire)
dure expérience je pebse (laus quele fiertéà celle de nettoyeur