#versuneécopoétique | Sans valeur

Bonjour mesdames bonjour messieurs excusez le dérangement entre vos stations de métro, que peut-être vous connaissez sans plus même les voir, en habitués, que peut-être vous ignorez encore, en touristes, mais peu importe, je ne fais pas de distinction. Je suis là devant vous sans travail et sans abri, situation que j’espère jamais vous ne souffrirez non plus, mais prudence les roues du destin tournent, un malheur dont je ne liste pas les suites est si vite arrivé, innombrables sont les exemples. Tranquillisez-vous ! Je ne suis pas l’exotisme misérable (et repoussoir réconfortant) du transport en commun de la ville, devant qui les têtes se baissent guettant par en dessous, parfois sourient avec le mélange d’embarras et compassion. Couchent les yeux pour éviter de montrer la gêne du rien à donner, mi closent la vue pour ne pas se faire repérer, se ferment soudain inexistants, ou parlent entre eux pour ne rien dire, édifiant le barrage biface (dedans-dehors) des mots pollueurs. Je ne suis pas comme le chanteur d’opéra tonitruant contre le mur de faïences blanches du souterrain pour artistes. Je ne suis pas comme à manger SVP assis miteux derrière la pancarte en carton. Je ne suis pas une silhouette supplémentaire des suppliants, brossée du pinceau dépoussiéreur de l’esprit et poussée sous le tapis d’excuses : quelle misère d’en arriver là passons à autre chose je ne peux rien contre toute la misère du monde et qui pour discerner le vrai du faux ?! Si vous regardez bien attentivement j’ai là les bras chargés de feuillets grands et petits formats, simples doubles ou plus, que vous achetez au prix qui sera le vôtre. Autant et plus encore dans la sacoche sur le côté. Des réserves en abondance. J’ai là sudoku – mots fléchés – mots croisés – dessins à colorier – d’autres à compléter en reliant les numéros mélangés – les jeux des différences entre les images – tout pour la distraction des adultes et des enfants, à votre disposition le temps du voyage et même après la remontée à la surface, vous choisissez l’échantillon qu’il faut, un ou plusieurs, collectés dans les journaux à l’abandon, laissés pour compte sur les bancs, oubliés sur les tables, sur les rebords des fenêtres et j’en passe. Également des cartes des quartiers, des guides des monuments immanquables des belles cités du monde, les présentes et les disparues pour la comparaison, pour voyager pendant la reptation grinçante du serpent de métal et les secousses telluriques des accélérations décélérations courbes. Je plonge avec vous sous terre avec la provision des jours récents. Je sors à nouveau. Je traîne les trottoirs à la recherche des papiers, des journaux, des revues… Je collecte de chaise en chaise dans les parcs, je guette les terrasses qui se vident les poubelles qui se remplissent. Je demande les surplus des colonnes Morris dans les tas qui s’accumulent, je récupère les prospectus donnés par poignées avec leurs hôtels leurs restaurants leurs musées numérotés dans les disques orange et l’index des rues. J’entasse dans les réserves sous les ponts. J’accumule dans les caddies publicitaires rouillés. J’enfourne dans la besace. Je descends les escaliers avec tout l’infini du monde, je porte les chiffres je porte les mots et leurs mystères je porte les dessins je porte les cartes jusqu’à vous tous les aveugles assoupis dans le bruit jaune et blanc, j’alimente vos rêves, vous donnez selon votre pleine satisfaction.

C’est peut-être les services sociaux, à cause des rats, des plaintes, des voisins… Peut-être d’avoir enfermé l’infirmière, sympathique mais insistante, n’écoute rien, qui voulait porter les sacs poubelle à la déchetterie, après avoir enjambé les cartons, glissé sur les immondices, trébuché sur les boîtes… Peut-être aussi la nuisance des vociférations tous les soirs sur le balcon, accablant d’insultes les jeunes du quartier sur le terrain de skate, eux bien sûr d’en redemander, on va te faire gueuler plus fort vieille folle. Chez elle c’est le capharnaüm indescriptible, l’accumulation invraisemblabe de tout puisqu’elle ne peut rien jeter, rien laisser disparaître, elle ne sait pas ce qui pourra servir, ce qui viendra à manquer, comme le vieux poêle à bois du père, un gros FAR rouillé, embarqué soi-disant pour réparation, jamais revu. C’est crassiers de carton, nuées de papier, coulées de métal, gravats de prospectus extraits de la boîte aux lettres, abandonnés sur le sol, répandus sur les tables, une véritable décharge confinée entre les murs, bouteilles, emballages, enveloppes, sacs plastiques, papiers gras, indigne, malsain, faut l’hospitaliser et pendant l’absence faire venir une entreprise, nettoyer les écuries d’Augias. On l’a retrouvée morte sur les escaliers devant la maison enfin débarassée. Peu de jours après sa sortie. L’enterrement a été minable sous le ciel gris du cimetière pelé et maladif en bordure de nationale. Les croix comme des pieux blessés autour du tas de terre. Sur le cercueil pâle les deux urnes descendues du sommet de l’armoire bancale. Droites. Comme des cheminées du paquebot de la dernière traversée.

            Kim du pays des képis plats galonnés a ordonné de conserver les déchets les plus infâmes. Mégots de cigarette, excréments humains et animaux, restes de nourriture pourrie, plastiques, papiers souillés et autres immondices. Kim n’a pas encore pensé à l’utilisation de cadavres – essentiellement animaux – dans différents états de putréfaction et dissection ou peut-être n’a-t-il pas encore réglé tous les aspects techniques ? Kim a prononcé la mise en place de lieux de collectes dans les villes et les campagnes. Chaque citoyen les alimentant récompensé de points de mérite sur sa carte de contributeur volontaire à la défense nationale. Régulièrement les équipes de ramasseurs équipées de leurs uniformes kaki procèdent au ramassage des ordures, ensuite rassemblées dans les zones de largage contigües de la frontière. Un dispositif ingénieux permet de transporter ces cadeaux sincères à l’aide de ballons festifs et colorés. Il est possible d’en admirer une cinquantaine par heure, de toutes les couleurs, naviguant paisiblement de concert dans l’air pur, une joie pour l’œil, avant qu’un habile système d’auto destruction à retardement n’en précipite la chute chez l’ami Yoon. La livraison des présents reste cependant tributaire des conditions météorologiques, principalement la direction et force des vents. Il serait sans doute possible d’avoir recours à des drones, ou encore de motoriser les ballons, mais pourquoi gâcher ainsi une délicate cérémonie empreinte de subtile douceur, ce gracile témoignage de l’amitié viscérale entre les peuples ?

10 commentaires à propos de “#versuneécopoétique | Sans valeur”

  1. La réalité, même pas déguisée, d’un monde qui ne sait que faire des ses désespérés et de ses déchets, même transformés en « larmes de sirènes ». Les ballons merdiques et pourrissants de l’enfant fou mégalomane sur ses frères du Sud montrent à quelle perversité la haine peut se hisser… L’histoire de la femme Diogène me parle intimement; car j’en ai rencontré des dizaines et beaucoup réfléchi au sort concret que la société ( nous tous et toutes) leur réserve. La folie hamster, n’est pas que de la misère, c’est aussi une maladie psychotique que les êtres les plus démunis d’entre les plus démunis s’offrent sans le vouloir. Les regarder de haut et les mépriser est un mauvais calcul; leur angoisse est contagieuse , ne serait-ce que par le sentiment d’impuissance qu’ils déversent sur nos pauvres vies de plus riches . Nos déchetteries sont des boomerangs. Bravo pour ces textes sans concession. On peut mourir dans le giron des poubelles provocantes.

    • Ah oui, bien d’autres situations et exemples me sont venus, qu’il aurait été possible d’ajouter à ces trois là… Frappant de constater – en lisant des articles sur le « précieux cadeau » Nord Coréen, que l’agressivité anale a de fort beaux jour devant elle ! Et oui, sont inoubliables les modernes Diogène… Merci de la lecture et du retour !

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