#versuneécopoétique #01 | Tyst !

« Le silence du monde avant Bach » Lars Gustafsson

Svenljunga, est à une centaine de kilomètres de Göteborg. C’est un village aux maison de bois enduites de Falu röd, entouré de forêts. C’est là que je vis, dans une « stuga » enfouie dans la verdure, visitée par les écureuils, les chevreuils, les élans. Seul un mauvais chemin de sable, coupé de rochers permet d’accéder à ma cabane rouge. La voiture est restée à deux kilomètres, il faut finir piéton, porter son sac à dos. Marche lente, progressive ; pénétrer dans un autre monde où chaque bruit coupe le nuage de silence, invite à l’écouter pour le reconnaître, l’apprivoiser.

Je quitte la stuga vers quatre heures du matin, grand jour sous cette latitude. Ils dorment tous, ronflent, rêvent sans doute, aspirés par le grand orgue de la nuit ayant suivi notre crémaillère. Je ferme la porte sans heurt, remets la clenche et sa ficelle ; je m’arrête un instant sur le perron de bois, si doux aux pieds nus, je descends les trois marches, me mets en chemin. La forêt bruisse de chants d’oiseaux, de courses furtives, de galopades vite interrompues pliant ou brisant sec les branches basses ; je devine la masse d’une élane presque noyée par le vert dans la pente où elle broute airelles et myrtilles, elle rote puis s’ébroue, je me demande si elle me reconnaît. Maintenant j’aperçois l’étang, je l’aperçois comme tous les matins, la même surprise se répète, le disque de métal bleui qu’un ponton de bois gris cisaille comme un rayon interrompu.

Au moment de monter sur les planches lisses, je m’arrête pour écouter le silence. Les bruissements se sont éteints à l’approche de l’eau ; à cette heure, pas de remue -ménage entre les joncs et les roseaux, ma présence au pied du ponton a été perçue par des milliers d’yeux, d’oreilles, de nez, d’antennes ayant besoin de se rassurer avant d’autoriser la reprise de cris, chants, vrombissements, stridulations qui reviendront habiter l’espace.

Chaussures à la main, goûter la tiédeur lisse du bois que les neiges, pluies, ultra-violets ont policé grain après grain ; amortir mes pas, faire durer ce temps hors du temps occupé par le rien, un rien fait des éléments naturels en repos. Les pins et bouleaux, les nénuphars et roseaux, l’eau immobile, à peine ridée par une brise ineffable. Au bout du ponton, la vieille barque est enchaînée au dernier poteau. J’hésite à rompre l’harmonie du moment en faisant tintinnabuler la ferraille, je m’allonge sur le ventre, je fais corps avec le ventre chaud de cette passerelle, je laisse pendre mes bras, déroule la chaîne dans l’eau froide, à peine entend-on un bref ploc !, puis descends dans le bateau.

Il a bien fallu ramer quelques brasses pour m’éloigner, gagner le cœur de l’étang, déployer mon matériel de pêche, réagir aux sollicitations des perches qui engamaient mon ver de terre. Je ferrais les poissons comme à regret, je violais, volais doublement la nature qui ne m’opposait que son silence.

10 commentaires à propos de “#versuneécopoétique #01 | Tyst !”

  1. merci de nous inviter à partager la paix de ce paysage qui n’est si étrange

    et puis « J’hésite à rompre l’harmonie du moment en faisant tintinnabuler la ferraille, je m’allonge sur le ventre, je fais corps avec le ventre chaud de cette passerelle, »

  2. « … qui ne m’opposait que son silence »… on ressent profondément
    l’interaction de ces deux corps (en mille), la nature et l’homme, qui se lient, s’étreignent, se craignent… les pas de l’un dans la respiration de l’autre. Le repli en silence .

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