#nouvelles#boucle2 I Betty Gomez

1-Ricard, Gitane et philosophie
2-Jean-Baptiste Caron

1 I Ricard, Gitane et philosophie

Être mort, c’est être en proie aux vivants (Sartre) 

Le professeur qu’on tutoie, tu fus d’abord cela. Pascal avait proposé d’appeler son ancien professeur de philosophie, nous avions déjà épuisé toutes nos cartouches, sollicité les nôtres. Et voilà que Pascal dit tu au téléphone, et que tu lui proposes de venir, que nous venions tous. Tout de suite, si on le souhaite. Le temps de prendre la voiture, l’autoroute, une heure après nous étions là, devant une villa de lotissement. Un bonhomme vieux, une barbe taillée en collier, vieux donc, pantalon ample, doublement vieux, des espadrilles aux pieds, un polo comme ceux que portait mon grand-père, une cigarette à la bouche, j’apprendrais bien vite qu’il s’agit d’une Gitane comme d’un Ricard et pas d’un pastis avant le repas, une Gitane donc et pas une Gauloise, quant aux anglaises n’y pensons pas, il nous accueille en charriant Pascal, d’une grosse voix, le ton est bourru et riant à la fois, comme les vieux sur la place du village quand un nouveau débarque. On s’assied autour de la table du salon, un piano, des bibliothèques qui grimpent jusqu’au plafond, des glissières pour accéder au rayonnages cachés derrière, un escabeau, il nous houspille, allez vous les sortez vos bouquins, et petit à petit, classeurs, paquets de feuille, livres recouvrent la table, et lui de saisir l’ampleur de notre ignorance, alors tranquillement de reprendre au début, tranquillement, clairement, s’adressant à nous, vérifiant que nous ayons réellement compris, et nous d’écouter, de noter. Et c’est l’épouse qui arrive, le repas auquel il nous invite, on pousse les feuillets dans un coin de la table, on l’aide à mettre les couverts, les cendriers sont pleins, l’air saturé de fumée de cigarette, j’ai oublié le repas, je sais que dès que possible nous sommes retournés à nos affaires, toi expliquant, nous notant, médusés par ton savoir, par où tu prenais l’explication, tellement en amont, et quand vers trois heures du matin, quand nous t’avons quitté, c’est trois plans différents de dissertation que nous avions dans nos piles de feuillets, et la certitude d’avoir fait une rencontre extraordinaire, fait l’expérience de la rencontre, celle de qui sait se rendre disponible, donner, partager une interrogation, penser en acte. 

2 I Jean-Baptiste Caron

Jean-Baptiste Caron est né à Nîmes le 22 novembre 1951 mort le 1er mai 2004 à Narbonne (à 52 ans). 
Biographie
Jean-Baptiste Caron naît à Nîmes, dans une famille bourgeoise catholique, d’un père avocat et d’une mère professeur d’économie à l’université. Il a un frère cadet, Fernand. Leur père meurt quand Jean-Baptiste a neuf ans, et leur mère deux ans plus tard dans un accident de voiture. Jean-Baptiste et son frère qui sont dans la voiture sortent vivants de l’accident. Ils sont alors élevés durant une année par une tante corse venue sur le continent pour s’occuper des deux garçons, puis l’année suivante ils sont envoyés en pension. C’est là que Jean-Baptiste découvre la pensée de Jean-Paul Sartre. Cette lecture est à l’origine de son engagement politique (marxiste) et de son athéisme, s’il faut expliquer par des causes et non des fins les comportements des hommes. « Si Sartre était encore en vie, je lui écrirais pour le traiter d’assassin » dit son frère Fernand, à la mort de Jean-Baptiste. Jean-Baptiste  épouse Denise Girard en 1971. Le couple a un enfant, Alexandre, né en 1990. « Quand l’enfant paraît, le couple se défait » constate Jean-Baptiste. Il quitte Denise en 1995. Atteint d’un cancer du pancréas quelques années plus tard, il meurt d’une crise cardiaque le 1er mai 2044 dans l’après-midi alors qu’il promène le chien de son fils. Le matin, selon son habitude et ses convictions, il est allé manifester. 
Engagement politique
Il prend la carte du parti communiste en 1970 et continuer d’y adhérer jusqu’à sa mort. 
En 1975, comme il quitte le café où il attendait l’heure de sa convocation à la leçon de l’agrégation de philosophie, il croise Jean-Paul Sartre, le salue. Sartre a ces mots : c’est l’épreuve. Jean-Baptise  trente plus tard se demande encore si le philosophe était conscient du  jeu de mots. 
Carrière
Agrégé de philosophie, il enseigne au Lycée de Narbonne et à l’université de Toulouse.
Oeuvre
Il découvre un dialogue inédit de Platon. D’aucuns ont pu soupçonner un texte apocryphe. 
Il est l’auteur  d’un texte sur la tauromachie découvert après sa mort et  édité à titre posthume.
Ses anciens élèves et étudiants se souviennent de lui comme d’un professeur érudit, passionnant, attentif, chez qui on était certain de trouver table et esprit ouverts. Jean-Baptiste Caron aimait cuisiner, manger, passer des nuits blanches à discuter, boire et chanter. Il était, tout à la fois et sans hiérarchie, philosophe, marxiste, helléniste, pianiste et aficionado. 

A propos de Betty Gomez

Lire certes, mais écrire...