5. Livre disparu
Louise l’a acheté il y a longtemps ce livre. Il lui semble même qu’elle l’avait déjà lu auparavant. Certainement à l’école car il devait être obligatoire dans les programmes de l’Education Nationale. L’avait-elle aimé en ces temps-là ? Elle ne s’en souvient pas. Mais ce jour-là, elle regarde la couverture sans encore oser s’y plonger. Il est en poche, volumineux. Pourquoi l’a-t-elle acheté et où ? Peut-être à la librairie de sa ville car il ne lui semble pas si vieux que cela, pas si abîmé. Mais pourquoi diable l’a-t-elle acheté ? Elle ne va pourtant plus à l’école. Peut-être pour le conter en public, oui peut-être bien.
Il est chez elle, dans sa bibliothèque, sur sa table de chevet, dans son sac dans le train. Il raconte les métamorphoses des hommes en arbres et elle laisse son regard errer sur les paysages de forêt qui se dévoilent de la fenêtre tandis que le train roule.
Elle l’a usé de ses notes, annotations, post-it de toutes les couleurs. Elle a appris des pages entières de légendes, les a adaptés pour les porter à sa bouche, a plongé dans ces histoires d’injustice, de morale, d’inceste, de beauté et en a extrait la quintessence de la langue, l’accompagnant de divers instruments de musique. Ce soir-là, le public est nombreux et elle se tient prête à raconter la langue latine traduite en français. Le livre, colorié et fidèle est à ses côtés, posé au-dessus d’une cheminée éteinte, avec ses affaires personnelles.
Le spectacle commence.
Le spectacle s’achève et la soirée arrive à sa fin. Elle rassemble ses affaires mais réalise, stupéfaite, que le livre a disparu, s’est volatilisé. Qui dans la salle a voulu prendre un livre tout abîmé, corné et annoté ? Un amoureux des histoires qui, touché en plein coeur, l’a dérobé pour sa propre lecture ? Un geste malencontreux, fautif et rapide ? Ce que Louise ignore, c’est que pendant qu’elle racontait, le livre a glissé sur l’étagère, s’est faufilé sur le sol bitumé, a parcouru les quelques rues qui l’emmènent, non loin de là, dans la forêt et lentement, s’est métamorphosé en ronces, tronc, branches et feuilles. Chut…
4. Mes lectures
Mes livres suivent toujours le même trajet :
Achats en librairies, mon sac, mon appartement, ma bibliothèque, ma table de chevet, mon lit, mon sac, les trains, les hôtels et les gîtes des résidences artistiques. Toujours. Et ils sont cornés sans aucun scrupule, annotés sans aucun remord et emplis de post-it jaune, rose ou bleus et parfois verts qui vieillissent lentement mais sûrement. Le plus souvent, ce sont des livres de poche mais il arrive que je prenne un broché ou une jolie collection comme par exemple celui des Métamorphoses d’Ovide de Marie Cosnay dont la couverture bleue et dorée jaillissait au milieu du stand des Editions Le Tripode au Salon du livre de Paris. Suivi d’un essai intitulé Vieille peau de Fiona Schmidt dont le titre et l’autrice m’ont plu, m’a fait rire, m’a dédicacé son ouvrage, que j’ai emporté dans un sac kraft avec d’autres écrits et qui a fini sur ma table de chevet dès le soir même. Je l’ai dévoré en trois soirs me demandant terrifiée si je n’étais pas en train de devenir moi-même une vieille peau. Je n’y ai ajouté aucun post-it mais je sais déjà que je vais lui écrire. Il y a les livres, nombreux, que j’ai depuis longtemps et qui me servent pour travailler, qui croulent sous les annotations, les marqueurs fluos et bien souvent, je les rachète en double pour en avoir une version à lire tout simplement. Je pense à la Tyrannie de la réalité de Mona Chollet lu une première fois lors une résidence dans les hauts de France, adoré et dont quasiment chaque page est marquée. D’ailleurs, beaucoup de mes livres ont été lus dans ces moments-là, seule, dans un gite, entourée de livres, parsemés sur mon lit. Comme ceux parlant de guerre tel que Frère d’âme de David Diop ou Le jour d’avant de Sorj Chalandon qui m’ont suivi en pensées, lorsque je marchais dans les champs qui ont servi de tranchées et où on m’a raconté qu’on avait retrouvé tellement de morts que certains doivent y être encore. Je lis Un balcon en forêt de Julien Grach, Sumana Roy, Walden ou la vie dans les bois et d’autres encore pour préparer mes randonnées contées et littéraires les emmenant avec moi dans ma besace et les lisant à voix haute devant les publics. J’ai lu les livres de Jérémy Fel, après avoir travaillé avec lui en atelier d’écriture, sous ma couette, avec une petite lumière, le coeur noué par les frayeurs qu’ils me procurent, savoureux plaisirs de la peur au chaud. Et A la ligne de Joseph Ponthus qui m’a donné envie de le rencontrer et l’Ecriture ou la vie qui m’a étreint pendant des soirées entières à lire et relire, noter des passages que je m’étais promis de lire en public mais que je n’ai finalement pas osé. Et tous les livres de Sylvie Gracia, les uns après les autres, en quatre jours, sans m’arrêter, plongée dans son univers qui m’a donné la sensation de la connaître véritablement. Je ne prend jamais de livres dans les boîtes à livres, je ne sais pas pourquoi mais je n’y arrive pas. J’ai besoin de le sentir neuf dans mes mains et je finis toujours un livre même si je ne l’aime pas, il y a toujours un mot, une phrase, qui me parlent, à certains endroits.
3. Perdu
Le roman le jardin secret de Frances Hodgson Burnett.
un gant de dentelle blanc.
des photos de Charlotte G.
une amie.
une histoire impossible à vivre.
un bracelet offert et porté deux jours seulement.
une liste d’illusions.
des chapeaux anglais achetés à Camden Town.
un sac à main sur une plage normande.
l’image de mes parents.
une robe à Saint Tropez.
le goût de mes rêves.
mes journaux intimes.
la mini série Les oiseaux se cachent pour mourir du roman de Colleen McCullough regardé chez ma grand-mère à Londres.
Jusqu’où la lecture d’un livre marque sa propre existence ? Est-il le signe d’une destinée ? Pourquoi l’ai-je rencontré ? Ce jardin secret que je n’ai jamais relu, jamais racheté mais dévoré enfant. La couverture dont le souvenir est encore présent. Des passages, les rêves que j’en ai fait, les personnages dans lesquelles je me suis perdue, cette histoire qui m’arrachait à la mienne. Qu’y avait-il dans ce livre pour m’y être tellement attachée ? Qu’est-ce qui en moi a été attiré, attrapé ? Est-ce un bon livre si bon livre il existe. Est-ce un livre que j’aimerais aujourd’hui ? Pourquoi ce livre vient-il de surgir des tréfonds de ma mémoire ? Je m’arrête là et garde intact ce que je viens de dévoiler.
2. Lieux de livres
Peu de noms me reviennent de ces endroits où je suis venue flâner ou glaner des ouvrages. Enfant, je ne me rappelle plus du tout et pourtant il y a en dû en avoir car je lisais beaucoup, tout le temps, mais qui m’achetait mes livres et où je les trouvais, je ne sais plus. Peut-être les empruntais-je à mon père dont la bibliothèque était impressionnante ce qui supposerait que je ne lisais que des livres d’adultes ? Il me semble avoir pourtant connu les contes d’Andersen, de Grimm, la bibliothèque rose et verte. Mais d’où venaient ces livres ? De l’école, des bibliothèques ? Je ne sais vraiment plus. Mais où en moi se cache mon enfance ? Plus tard, des bibliothèques, oui, beaucoup. Seule ou avec les enfants. Beaucoup, beaucoup emprunté, passé des heures, assise par terre sur les moquettes à ouvrir, refermer, ranger dans le sac avec les cartes, roses, vertes, grises de chacune d’entre elle. Des toutes petites bibliothèques de quartier, de villages et puis des grandes, des très grandes, les premières médiathèques de livres et d’ordinateurs, où j’ai beaucoup raconté et où j’ai connu les coulisses, les toilettes pour se changer, la salle pour boire un thé, la pièce où on poussait les livres pour avoir un semblant de scène et accueillir du public. Mais les librairies… quels premiers noms surgissent ? Shakespeare company ! Pas très original mais de véritables moments de jeune adulte à m’imaginer en Angleterre dans cet endroit à Saint Michel en plein Paris, à rêver d’être la libraire et ne vivre que là, au milieu des ouvrages, lire, vendre, discuter, partager. La librairie théâtrale de l’Arche à quelques pas de l’Odéon où je rêvais là aussi de la comédienne que j’allais devenir et les bouquinistes du long de la Seine, les Gilbert jeune, le Centre George Pompidou et son escalier, celle d’en face de la Maison de la Poésie aux Halles et puis les toutes les autres, les petites, les dans des coins, les celles dont les noms m’échappent, celles d’un weekend quelque part. A Marseille, je n’avais pas le temps, à Aix, une dans laquelle j’ai pris un thé, dans le Nord, à Lille, à Arras, j’en ai vu des belles et celles des petites communes où il n’y en avait pas, juste de minuscules bibliothèques, si bibliothèques il y avait. Celles que j’aime aussi sont celles où je rentre, j’achète, je ressors en sachant que je ne reviendrai jamais car je n’y habite pas mais j’emporte cet objet-livre et bien souvent, une petite carte que j’empile avec les autres. Hier, j’en ai découvert une, l’Empreinte, c’est joli non ?
1 – Désordre littéraire
Il y a tous ceux que j’ai donné.
Tous ceux que j’ai prêté et que je n’ai jamais revu et que je ne reverrai jamais.
Tous les autres que je ne prêterais plus jamais parce que je déteste devoir les réclamer.
Il y a ceux tout en haut que je garde car ils sont inclassables, mais le souvenir d’un lieu, d’un moment de sa vie, (une méthode de massage pour bébé, Le périnée féminin, la demeure du chaos près de Lyon, un Mark Rothko…).
Il y a ceux dont je me sers pour les interventions théâtrales, Ed. théâtrales, l’Arche.
Il y a les anthologies des contes aux Ed. Corti et le conte populaire Français de Paul Delarue et M.L Tenèze du temps où je racontais beaucoup plus que maintenant.
Il y a ce satané « Le nouvel esprit du capitalisme » de Luc Boltanski et Eve Chiapello que l’on m’a offert il y a quelques années et que je me promets chaque nouvel an de lire, 800 pages dont je comprends les mots mais pas toujours les phrases.
Et il y a tous les autres, tous les autres, les Annie Ernaux, les Jim Fergus, les Mathieu Belezi, les Nicolas Mathieu, les Léonor de Recondo, les Mona Chollet, les David Diop, les Ed. Gallimard, Verticales, Tripode, Iconoclaste, Actes Sud, Du Faubourg, de la Contre Allée, de Minuit, etc.
Rien n’est rangé, tout est à sa place, à portée de mes doigts, de mes yeux et de mon coeur.
Bonjour Clarence, J’aime beaucoup ce langage simple et direct, sans coquetterie. C’est quelque chose comme ça que je recherche.
Merci Natacha pour ces mots qui me vont droit au coeur. A vous lire à mon tour. Bonne journée.
c’est beau : « rien n’est rangé, tout est à sa plac
et
ces « 800 pages dont je comprends les mots mais pas toujours les phrases »
Merci Françoise pour votre regard. A bietntôt.
C’est vivant, leger et juste :
Il y a tous ceux que j’ai donné.
Tous ceux que j’ai prêté et que je n’ai jamais revu et que je ne reverrai jamais.
Tous les autres que je ne prêterais plus jamais parce que je déteste devoir les réclamer.
Tous ceux là oui ! Merci Laurent.
Eh oui, on dirait que les livres, c’est autant de rencontres et de confrontations à eux… et à soi !
Merci Philippe pour votre regard, à vous lire.
Oui oui, tous ces livres prêtés qui ne reviennent plus, et cette chute : rien n’est rangé, tout est à sa place !
Merci Stéphanie, à bientôt.
Et il y a une lectrice qui est passée te lire. Simple et fluidité trouvée dans un cadre d’il y a serré. Merci
Merci Nolween pour ce passage, à bientôt.
Simple et efficace, tout est à sa place. J’adore le « rien n’est rangé, tout est à sa place ». Merci, Clarence. Il y a tous ceux…, c’est beau.
Merci Chère Anne, bonne soirée.
j’adore aussi et ces livres dont on comprends les mots et pas les phrases. Merci Clarence
J’y arriverai peut-être un jour qui sait ?! Bises.
« Rien n’est rangé, tout est à sa place ». J’adore.c’est ce que je me dis en contemplant le chaos sur mes étagères. Merci Clarence. Et aussi pour la liste des perdus. A Camden j’avais aussi acheté quelque chose, mais impossible de me souvenir de quoi il s’agissait.
Merci Ugo pour ces mots, à bientôt.
ni scrupule, ni remords donc… Eh ben… (pour « L’écriture ou la vie »qui est un livre magnifique, fais un effort…) (merci Clarence)
Un livre magnifique, oui, oui, oui, j’ai tellement pleuré parfois.
o
oh quel livre merveilleux ! mais qu’elle se console il a laissé dans sa mémoire une trace; espérons le, des notes dont elle l’avait chargé… comme des traces qui lui permettront de recomposer les contes
(plus simplement… vaut certainement le coup de se mettre en quête de son semblable)
Chère Brigitte,
C’est fait la semaine dernière, j’ai repris le poche et j’ai trouvé la version de Marie Cosnay au Salon du Livre aux Editions le Tripode. J’étudie les deux ! Merci pour vos mots.
#5 – et voilà le livre qui s’en est retourné sans rien dire à personne à sa matière d’origine
beaucoup aimé cette histoire
(hello Clarence)
Je suis touchée Françoise que tu sois venue me lire et cela ne m’étonne pas que cette histoire t’ait plu…moi aussi, je l’aime. Merci.
« Chut… »
ou plutôt chute (j’aime beaucoup cette chute)
ou plutôt remontée vers l’origine de la matière
la matière du livre et celle des mots