#nouvelles | Patrick B., chantier, pêle-mêle, amasser.

Sommaire

1.De l’art de ranger ses livres

2. Histoire de mes librairies

3. Inventaire de choses perdues

4. Les livres moins ce qu’ils disent

5. Relever la charpente

#01 Ranger les livres

  1. Difficile de donner une définition claire de cet endroit où l’on range des livres. Ranger c’est chinois dans le genre chinoiseries. La première bibliothèque dans le bureau du père, en faux acajou, de chez France Loisirs. L’odeur du feu de cheminée. L’odeur d’Amsterdamer. La collection de pipes ( il lit Simenon) La lampe Napoléon, le bureau Empire à sous-main vert olive. Le facteur, chaque semaine, ou peut-être deux fois le mois, livre les colis. Des livres brochés, à couverture rigide, lettres dorées , souvent, gravées dans ce qu’il faut sans doute imaginer être du cuir. Quelque chose qui fait penser au fer rouge. Il est interdit de toucher aux livres. En ôter un laisse une béance. Visible immédiatement. Donc pas touche.
  2. La bibliothèque de l’arrière grand père qui vit au rez-de-chaussée n’est pas visible au tout venant. Elle se trouve dans sa chambre à coucher. Limitée à deux ou trois étagères seulement. Tout François Coppée. Tout Alexandre Dumas. Tout Victor Hugo. Deux gros Bouillet. Ce sont des grands livres en cuir véritable avec des gravures. Ils sont peu pratiques à manier. D’ailleurs je ne les manie pas. On me les montre, parfois on en ouvre un sur la table de la cuisine. C’est une opération quasi religieuse. Tourner lentement les pages, lire lentement, regarder lentement. Parfois c’est seulement deux pages et pas plus. Puis on emporte l’objet pour le remiser à sa place. Ici la béance est seulement temporaire et vite rebouchée.
  3. La bibliothèque du père de mon père est succincte. Elle tient sur trois étagères dans un meuble en pin naturel . Ce sont des séries noires, des S.A.S. Et son Darwin : » L’origine des espèces » couverture rigide, usée car beaucoup utilisée.
  4. La bibliothèque de la mère de mon père est encore plus succincte: Un gros Tout en Un et quelques piles de Nous-Deux, Modes et Travaux, Rustica. Dans Nous-Deux il y a des romans photo en noir et blanc , pas très passionnant. Sans oublier, bien sur, le catalogue de la Redoute. Le tout tient dans la table de chevet. Le Tout en Un est près de la lampe , tout le reste est empilé sur les étagères en dessous.
  5. La bibliothèque de ma mère est grosso modo la même que celle du père. Elle peut emprunter tous les livres qu’elle veut. Mais elle les range une fois lus à leur place. Elle est ordonnée. Sur ce point elle est aussi vigilante que le père en matière de béance. Elle a conservé de sa vie d’avant leur rencontre 4 tomes dépenaillés d’U.H Tammsaare roman estonien , genre de saga intitulée « La terre des voleurs ». Chose étonnante je les ai encore avec moi.
  6. Je n’ai jamais eu de bibliothèque à proprement parler s’il s’agit d’un meuble où ranger des livres sur des étagères avant l’âge de 18 ans. Dans la chambre à coucher, les livres étaient empilés à même le sol près du lit. Et puis parallèlement j’ai fréquenté beaucoup de bibliothèques publiques. A partir de 8 ans, emprunter des livres me mettait en joie. Posséder un livre, l’idée m’est venue assez tardivement.
  7. A l’âge de 18 ans je bénéficiai soudain d’une occasion me permettant de me dire « j’ai moi aussi une bibliothèque ». Mais ce n’était probablement une chose que j’avais brigué intensément. Juste des pensées fugaces parfois. L’appartement que m’avait proposé un de mes oncles à la location était petit mais l’espace était exploité d’une manière incroyablement judicieuse. Dans ce qui faisait office de salon, des étagères avaient été construites dans des niches qui devaient être à l’origine des encadrements de portes menant d’une chambre de bonne à l’autre. Il y avait au moins 10 étagères de disponible. Ce fut l’occasion d’amasser plus que jamais. La plupart du temps des livres de seconde main, lors de promenades sur les quais.
  8. A l’âge de 20 ans je laissai soudain toute ma bibliothèque car je n’avais pas assez de place dans mon sac pour la transporter. J’errais de chambre d’hôtel en chambre d’hôtel. Les livres que je lisais à cette époque étaient empruntées aux diverses bibliothèques auxquelles j’étais abonné.

9. Ici il faudrait que je parle sans doute de mon rapport avec les bibliothèques publiques. Notamment la bibliothèque du centre Georges Pompidou. Mais n’allons pas trop vite. Inscrivons Beaubourg sur un post it

10. En même temps je ne peux pas ne pas noter sur un autre post it le nom de R. Et l’appartement de la rue Quincampoix, juste à côté. Dont les fenêtre donnent sur la façade de la maison de l’oncle de Molière ? Ce fut la première fois que je rencontrai quelqu’un qui avait lu tous les livres qu’il possédait. Il en avait des milliers et qui, chose extraordinaire, n’étaient pas rangés dans une bibliothèque, mais organisés par piles un peu partout dans les deux pièces que constituaient son appartement. Il fallait naviguer dans des ruelles étroites pour parvenir au salon, encombré tout autant, mais on pouvait s’asseoir pour grignoter et boire de petits verres de Payse. Néanmoins il savait toujours où trouver le livre qu’il cherchait, ce qui peut paraitre extraordinaire, mais ne l’est absolument pas de mon point de vue.

11. Lire ces pages de Perec sur l’art de ranger les livres m’a fait rire. Je crois qu’il s’en fiche tout autant que R. C’est à dire de cet ordre qu’il faudrait suivre pour bien ranger une bibliothèque. D’où viendrait un tel ordre ? d’un héritage probablement. Quelqu’un te montrerait un ordre qu’il aurait lui même hérité de quelqu’un d’autre et toi tu ne te poserais pas la moindre question pour emboiter le pas à tout ce beau monde. Non, bien sûr que non. Hériter d’un ordre c’est hériter aussi des dettes comme dans n’importe quelle succession. Et il y a toujours des dettes qu’on l’envisage clairement ou pas.

12. le fait d’emballer ou de déballer des livres s’est peu présenté comme évènement important dans toute mon existence. J’ai laissé derrière moi plusieurs bibliothèques, comme j’ai laissé des meubles, de l’électro ménager, de la vaisselle et des vêtements. La raison principale que je peux donner à cette habitude c’est la certitude d’être une sorte de juif errant. C’est ce personnage principalement qui m’aura hanté la plus grande partie de ma vie. Maintenant j’ai un peu changé, je préfère parler de dibbouk. Je suis hanté par une âme errante ce qui ne signifie pas pour autant que je suis moi une âme errante. Nuance importante.

13. C’est dommage que je ne sache fabriquer avec du code invisible au public un amas de post-il que je pourrais étendre dans l’espace de ce billet de blog. J’ai essayé bien sûr mais une partie du code apparait, car je n’ai pas les droits d’administration tout simplement. Mais je peux tout à fait imaginer un plancher avec tous ces morceaux de papier épars. D’ailleurs chose étonnante, mon bureau actuellement est complètement vide. J’ai ce week-end retiré tout ce qu’il y avait dedans pour refaire le parquet. Je suis tombé sur de vieilles planches à peine équarries. Il y a du changement dans l’air. Et peut-être aussi un peu d’organisation à venir. C’est un vœu pieux.

14. comme d’habitude je ne suis pas vraiment sûr d’avoir saisi le sens exact de la proposition d’écriture. Comme d’habitude je fais avec.

15. Cette bibliothèque familiale regroupant toutes les bibliothèques des uns et des autres est désormais chez moi. La plupart des livres sont encore dans des cartons depuis une bonne dizaine d’années, au grenier. Je ne sais pas si je rouvrirai un jour tous ces cartons. Sans doute pas. Pas plus que je ne me résous à m’en débarrasser. Ils sont là haut, au dessus de nos têtes mon épouse et moi. Comme ce monstre du grenier qui dans mes cauchemars d’enfant dévalait avec fracas le grand escalier. Parfois l’été je monte par l’échelle escamotable, je regarde les planches en acajou de cette bibliothèque que je ne me suis jamais attelé à reconstruire. J’hume le parfum des livres enfermés dans les cartons. ça me suffit pour me souvenir de tous les membres de cette famille désormais disparus. Un genre de cimetière.

16. Depuis le jour où j’ai rencontré mon épouse j’ai peu à peu reconstitué une bibliothèque. C’est une bibliothèque qui se trouve dans une pièce dédiée. Tout sur des étagères mais pas vraiment rangé. On a même fait deux rangées par étagère, ce qui fait que lorsqu’on cherche un livre on est souvent obligé de partir en exploration, d’ôter dix livres pour en trouver un. Comme Perec le dit à juste titre souvent on cherche un livre, et c’est sept qu’on trouve, c’est épatant.

17. L’idée de la bibliothèque comme celle du feu qui crépite dans une cheminée est un fantasme que j’ai conservé longtemps avant de savoir que ce n’était qu’un fantasme.

18. L’idée de trophée comme à la chasse me vient aussi quand je vois une bibliothèque. L’idée de posséder un livre comme on peut posséder un ou une autre aussi. Constituer une bibliothèque tout seul où je serais le seul à lire les livres qu’elle contient m’agace beaucoup quand j’y pense. Cela me renvoie probablement à des territoires d’enfance, à la notion de propriété, à la notion de savoir comme de propriété.

19. Le plaisir de lire un livre provenant d’une bibliothèque s’accroit en pensant que je ne suis pas le seul à le lire. Même si je ne le dis jamais à voix haute, même si je ne me le dis pas très clairement. Même si cela reste suffisamment confus pour que je ne disserte pas trop là-dessus.

20. La problématique du rangement, des textes, comme des livres. Ainsi celui-ci. Ces notes. J’essaie de comprendre la consigne et déjà je ne sais que mettre dans le titre à part « nouvelles ». Puisque le but est d’empiler les textes les uns sous les autres dans ce billet ( d’après la démo ). Du coup peut-être que tous feront pareil. Nouvelles, nouvelles nouvelles. Drôle. Finalement on ne distinguera plus que si l’on fouille. Distinguer n’est pas voir, c’est un peu plus qu’apercevoir. Et je ne parle même pas du point de vue. Sur l’ordre chacun semble avoir le sien si l’on y regarde à deux fois.

21. voilà, plein de papiers jonchent le sol. Et maintenant dans quel ordre les agencer, aucune idée. ça reste ouvert, ça peut encore changer, ça peut être aussi tout autre. On peut aussi laisser le hasard, le vent entrer dans la pièce, ce serait pas bien différent.

22. L’intention serait utile certainement. Une intention mais laquelle ? surement pas pour faire bien. Et l’intention arrive quand ? au départ ? au milieu ? à la fin ? Peut-être n’arrive t’elle pas, il faudrait aussi le prévoir. Le fait de ne pas avoir d’intention est-il aussi une intention ? l’intention de n’en avoir aucune; ça me rappelle Gide et l’acte gratuit qui ne trouve pas sa gratuité et pour cause.

23. Si je n’ai pas dit au moins mille fois : il faudrait que je range mes livres et de m’arrêter net sidéré, fasciné, par le désordre. J’imagine une bibliothèque akashique ou Borgèsienne. Tout serait là pêle-mêle et l’embarras du choix. Comment ranger les livres sans dépasser cette sidération et éviter Scylla. Filer entre deux, sans courroucer les dieux.

La bibliothèque nous cerne presque entièrement, trois murs sur quatre couverts de livres. C’est une bibliothèque France Loisirs, il y a une partie basse avec des panneaux coulissants que l’on peut ouvrir ou fermer pour ranger les papiers de la maison. Sa couleur générale est rouge acajou,mais je ne pense pas que ce soit réellement de l’acajou qui est un bois précieux. Trop cher pour le jeune couple. Le facteur passe deux fois par mois pour apporter des colis de livres reliés ; couvertures rigides, lettres gravées sur un genre de simili-cuir.

Cette attirance et cette répulsion pour les livres destinés à donner le change remonte à loin. Encore que l’effroi arrive plus tard, à l’adolescence.

Comment les livres sont-il rangés dans cette bibliothèque ? Par ordre d’arrivée des colis ? Par couleur de couverture ? Par ordre alphabétique ? Par genre ? Je ne m’en souviens pas. J’arrive devant cette barrière de livres, je vois les couleurs, les tailles, vaguement il me semble en reconnaître quelques uns, ce dont je me méfie car dans la reconstruction de ce souvenir la précision, le familier sont des dangers.

L’utilisation du mot barrière pour dire que nous serions derrière peut-être enfermés peut-être protégés par celle-ci ?

La bibliothèque nous cerne presque entièrement, trois murs sur quatre couverts de livres. C’est une bibliothèque France Loisirs, il y a une partie basse avec des panneaux que l’on peut ouvrir ou fermer pour ranger les papiers de la maison. Sa couleur est rouge acajou,mais je ne pense pas que ce soit réellement de l’acajou qui est un bois précieux. Trop cher pour le jeune couple. Le facteur passe deux fois par mois pour apporter des colis de livres reliés ; couvertures rigides, lettres gravées sur un genre de simili-cuir.

Confiné dans une prison dont les murs sont constitués de livres, une prison de papier, une forêt d’arbres abattus.

Et faire comme si de rien n’était, mettre un peu d’ordre dans tout cela. Classer, ranger, s’en trouver bien, rassuré, heureux ?

A côté de cette image presque aussitôt des alignements dans une grande cour l’hiver, un camp et des milliers d’êtres rangés comme des livres, par taille, par race, par genre, par plus ou moins bon état de santé.

A côté de ça des montagnes de lunettes, de dents, de cheveux. Bien rangés eux aussi.

L’idée que l’on puisse tenir à une bibliothèque comme «  à la prunelle de ses yeux » ne me fait plus sourire ainsi que mon cynisme, dans le temps, m’obligeait à m’en moquer ; Je peux concevoir cet engouement, et même cet amour pour les objets à présent même si, quelque chose en moi se refuse encore à le partager. Et ce n’est pas par mépris, mais parce qu’il est trop tard pour entretenir ce genre d’attachement. Pour y croire sincèrement. Avec quel ordre ont-ils été aux prises. Je me le demande seulement à présent. Et presque aussitôt un sentiment mitigé lié au mot collaborer fait irruption. Ils ont collaboré avec un ordre qui de toute évidence n’était pas le leur. Ils ont obtempéré, accepté sans broncher l’ordre quel qu’il fut.

Une fois ceci écrit mon réflexe aussitôt est de vouloir l’effacer. Et cette résistance de ne pas l’effacer, sa force est égale. Voici un immobile. Quelque chose doit se loger dans ce double mouvement. Et de revenir en arrière encore et encore dans cette quête.

Qu’on puisse m’avoir caché un secret aussi énorme durant toutes ces années jusqu’à ce qu’à la fin, à bout de force je puisse penser être complètement cinglé, que je puisse venir même à penser m’être inventé un tel secret. A quel prix paie t’on sa protection pour l’avenir, à quel prix ce bonheur cette innocence  comme s’ils valaient tout l’or du monde, plus que tout l’or du monde ?

Image inquiétante des livres s’alignant sur des étagères comme des gens emprisonnés dans un camp. Image exagérée pense t’on ? Qu’un ordre soit aboyé ou dit à voix douce le résultat est le même pendant longtemps. L’image d’un livre qui rentre ou sort du rang.

S’en suivra des alignements de fortune, des étagères branlantes, des tablettes fixées avec des équerres dans des parois. Peut-être des installations proches de celles d’un art contemporain, des totems. Mais, la plupart du temps des empilements près d’un mur comme des nécessités de contrefort, de contrepoids. Et comment penser un ordre dans l’organisation de ces piliers sinon qu’ils tiennent, qu’ils conservent l’équilibre, qu’ils ne s’affalent pas systématiquement victime de la pesanteur, de la gravité; des fois l’ordre est seulement contingence et rien d’autre.


Le mot bible; dans bibliothèque. La Bible arrachée au sable, c’est un des titres que j’ai retenu. Mais jamais lu, à peine feuilleté. Le fait que Werner Keller veuille prouver les déclarations de l’Ancien Testament. L’aversion pour la preuve. Celle par neuf ou par quatre, de tout temps.

Le livre est une tête coupée réduite que les Jivaro actuels conservent dans d’étranges cloisons pour se préserver de l’ennui plus que pour apprendre quoi que ce soit de nouveau sur le Dehors.

La collection de livres, un amas de bouquins, le trésor de l’oncle Picsou dans lequel on le voit plonger tête la première. Sourire béat, regard en biais, suspicieux.

L’idée de la bibliothèque proche de celle du cimetière. Les différences de formats, de matériaux, égales à celles des sépultures, et un regard ironique mais en dessous plutôt triste, désespéré sur ces deux idées qu’on joint par dépit.

R. me tint un long moment en haleine tout comme Shéhérazade son Sultan, chaque soir extirpant un nouvel ouvrage de son bazar me promettant qu’à sa mort j’en hériterai. Qu’allais-je donc faire de cette gigantesque amas d’encre et de papier, l’angoisse monte encore rien que de m’en souvenir. Rien. Dans l’impossibilité de choisir une hypothèse d’usage, bientôt je renoncerai à R. comme à ses livres. Ce qui est à rapprocher de l’image du renard prit au piège qui préfère se ronger la patte et s’en aller clopin clopant

( ou cahin caha )

L’homme affalé dans un canapé se tient devant ses livres comme un seigneur protégé par ses sbires et je suis toujours ce pauvre hère que l’on jette à ses pieds pour implorer une justice qui ne vient pas.

Le fait de désirer un livre et s’empêcher de le lire. Une sorte de volonté d’abstinence provoquée par un indicible malheur, l’obligeait à chercher une jouissance singulière pour se rendre singulier. Puis il se mit à acheter des livres par dizaines dans une frénésie incontrôlable. Les lisait-il ? non. Il les possédait et ça lui suffisait pour imiter le plaisir ou le pouvoir, pour effectuer une incartade dans la gabegie d’avoir

Ce type était tordu. Il imaginait qu’en possédant des livres il acquerrait un poids dans le monde. Quand sa bibliothèque s’écroula et l’ensevelit, il eut l’air fin.

Puisque cette femme de toute évidence ne l’aimait plus, il lui laissa ses livres. On se demande encore à quelle fin, pour quelles raisons, et comment continua t’il sa vie n’ayant plus le moindre livre à sa disposition. Il aurait pu comprendre à la première perte, au premier abandon qu’il ne servirait à rien de racheter des livres, de se reconstituer une bibliothèque. Peut-être que la condition dans laquelle il se trouva ne l’empêcha pas de le faire.

Jamais un livre lu ne mérita à ses yeux d’être relu. Il y avait tellement d’autres livres à lire. Mais, s’il avait su lire, il se serait rendu compte qu’il relisait toujours le même livre.

En mettant le nez dans un vieux livre on peut sentir parfois l’odeur d’un trèfle à quatre feuilles. Mais c’est une odeur plus désirée que véritable, la plupart du temps , en étant réaliste, on voit bien que les feuilles sont au nombre de trois.

La bibliothèque d’Alexandrie est une représentation réduite de la grande bibliothèque Akashique. Il faut trépasser trois fois minimum , comparer les deux objets de ce fantasme de bibliothèque pour se rendre compte de l’étendue vertigineuse et dérisoire de notre imagination.


#02-Histoire de mes librairies

Les nouvelles librairies ( titre à mettre de côté pour mieux l’observer)

Je voulais reprendre cette histoire d’une façon chronologique, retrouver les premières librairies de mon enfance, mais je ne trouvai rien. Quelque chose d’opaque, un capharnaum d’images se mêlait, je voyais des rayons obliques de bandes dessinées cotoyant des magasines féminins, des fascicules de mots croisés, peut-être de mots mêlés également, encore que je ne soie pas certain que cette discipline existât à cette époque. ( Après avoir effectué des recherches il semble que les premiers jeux de mots mêlés datent des années 50, que leur inventeur est un certain Pedro Ocon de Oro) Mais ils arrivèrent tardivement blablabla

La librairie des îles

La librairie des îles– ce n’est pas son vrai nom- se situe à un jet de pierre du groupe scolaire dont j’ai oublié le nom, dans l’une des rues les plus étroites de ce quartier autrefois populaire; au nord de cette ville

Il faut que je me hâte d’écrire le peu de souvenir qui s’efface, se transforme, s’évanouit, bientôt tout n’aura plus que la consistance sibylline du rêve.

J’aurais voulu commencer par un souvenir biographique, bien sûr, et donc parler du libraire, qui fut mon ami. J’aurais commencé par décrire l’arrière boutique, cette petite cuisine où nous buvions du rhum en évoquant cet écrivain des îles qui révèle la beauté du créole comme de la langue française. Mais à l’instant même une fenêtre s’est ouverte brutalement sous l’effet du vent, notre région traverse des tempêtes ces derniers jours. Et cet incident m’a soudain semblé surgir de façon opportune pour que j’évite toute référence biographique. Parmi toutes les interprétations, j’ai préféré voir là comme un signe me privant de l’autorisation d’user de ce souvenir. Un peu comme on essuie une vitre embuée du plat de la main; j’ai bien senti qu’une image s’effaçait laissant la place à une autre. Encore que ce ne soit pas vraiment une image à proprement parler mais plutôt un prénom qui surgit : Adèle.

Adèle est une antillaise aux yeux verts, la cinquantaine, atteinte par la maladie de lire tout ce qui lui tombe sous la main, une main très élégante, comme peuvent l’être les colombes de Picasso ou de Matisse.

Me voici à la porte, j’entre dans la librairie des îles pour acheter un nouveau carnet Clairefontaine, je ne veux surtout pas des reliures à spirales que proposent les supermarchés, j’aspire ( j’implore) à obtenir le prochain carnet disposant d’ une reliure en tissu noir et il faut aussi c’est impératif, que la couverture soit verte, et très précisément du même vert que tous les autres carnets que j’ai l’habitude d’utiliser.

Ce serait un cliché évidemment de dire que dans la librairie flotte une odeur de vanille, ou encore une odeur fruitée, ou encore une odeur d’encens, ce serait même étrange que ce soit la marque d’encens Saï Baba et pourtant nous ne sommes plus à une étrangeté près. Le fait est que l’odeur soudain est là , une odeur indéfinissable qui me prend par les sentiments et à nouveau je peux entendre le grelot joyeux de la porte d’entrée qu’on ouvre pour entrer dans la librairie des îles.

Quel âge puis-je avoir ? , je ne m’en souviens plus peut-être entre vingt et vingt-cinq ans, moins de trente en tous cas ; c’est tellement jeune mon Dieu, et comme je suis exigeant et têtu ; il me faut ce fameux feutre à pointe fine, un FINELINER 0,5 mm de la marque STAEDTLER , car je fais aussi beaucoup de croquis.

Il n’y a personne dans la librairie à cette heure de la journée, je crois qu’il est quinze heures au clocher de l’ église la plus proche; désolé je ne porte pas de montre.

Adèle est assise à une table, elle est en train de lire lorsque je fais irruption avec mon obsession de carnet et de feutre; la voici, elle est désolée, elle sourit et ses yeux sont sincèrement tristes, pas de carnet Clairefontaine chez elle. Et je m’en serais retourné sans autre si elle ne m’avait soudain retenu pour me demander à quoi me sert ce petit carnet.

— et j’ai le feutre que vous chercher vous alliez l’oublier ?

question osée . Je me demande si moi-même j’aurais été capable de poser ce genre de question si j’avais eu le bonheur d’être libraire et celui de vendre de la papeterie et des livres. Du coup me voici déridé.

— Ce doit être vraiment chouette d’être libraire je lance pendant qu’elle me rend la monnaie et emballe le feutre dans un sac de papier. Je crois que j’ai un peu de mal à partir, elle est sympathique et, en jetant un coup d’œil aux tables et aux étagères je repère pas mal d’auteurs que je ne connais pas. Je ne suis que peu l’actualité littéraire. Chaque année, la multitude de bouquins qu’il faudrait lire absolument m’a toujours plaqué au sol. Et puis de toute façon, je n’ai même pas encore fini de lire tous les classiques.

— vous devriez lire les essais d’Alain Viala qui sortiront en 1993 me dit-elle en souriant.

— Comment font les gens pour lire tout ça je demande à Adèle, en éludant la proposition

— Ils choisissent peut-être de devenir libraires me réplique t’elle en riant

Je m’aperçois que je fais tout pour faire l’impasse sur la librairie elle-même. Allons , un petit effort, elle n’est pas bien grande, quelques tables, quelques étagères, au sol il y a du linoléum, et, dans un vase posé sur une console, de magnifiques lilyums blancs. Je me souviens maintenant du rapport exact, comme un accord parfait, du vert des feuilles et du blanc des pétales, (à noter).

— J’ai envie d’un thé, ça vous dit ? me demande Adèle en arrangeant quelques livres sur l’une des tables. Bien que je sois plutôt café je dis oui. Elle a l’air de lire dans mes pensées.

— J’ai aussi du café si vous préférez. On rigole, ça fait du bien.

— D’autant que ces derniers temps rare de rigoler j’ajoute.

Et de nous mettre à causer en buvant elle son thé moi mon café.

Je suis resté jusqu’à l’heure de la fermeture, nous avons parlé des livres qu’Adèle aimait, je ne me souviens évidemment plus des noms des auteurs, des titres non plus, mais ce n’est pas bien grave je crois que ce qui m’a fait le plus plaisir c’était sa chaleur, la passion qu’elle diffusait comme un phare sa lumière en évoquant tous ces livres, oui c’est cette chaleur et cette passion , cette étincelle dans l’obscurité qui m’est reste en mémoire, ainsi que son rire clair ricochant sur ses yeux, le nom de Chamoiseau et le parfum des lilyums.


La librairie Chez Gilbert à Saint-Michel

Il y a tellement de magasins différents tout autour de la fontaine Saint-Michel, et même plus haut sur le boulevard menant à Saint-Germain ou vers le Jardin du Luxembourg, que l’idée qu’il m’en reste est bien plus proche de celle d’une industrie du livre que d’une librairie.

Je me souviens aussi des différences d’espaces d’une exiguïté l’autre, ma présence flottant dans chacun de ses lieux à différents moments de ma vie. Un espace pour les livres scolaires, universitaires, un autre pour les livres que l’on revend, une planche fixée dans l’encadrure d’une porte faisant office de comptoir, afin de pouvoir acheter de nouveaux livres chaque année. Il règne ici une agitation tranquille, un silence quasi religieux, à peine dérangé par le trafic automobile de la ville à l’extérieur. Des escaliers étroits mènent à des étages qui eux-mêmes possèdent d’autres escaliers menant encore à d’autres étages. La lumière arrive ici avec effort à travers de vitres poussiéreuses. Les rayonnages se dressent et se confondent avec les murs; des alignements d’encre et de papier qui montent jusqu’au plafond. Il doit y avoir un système d’orientation cependant, même si j’ai oublié à peu près tout de celui-ci au moment où j’écris ces lignes. Gilbert ne reprend pas cher du tout les livres ça je m’en souviens très bien cependant. On vient ici avec une valise on ressort avec deux billets et encore , quand on a un peu de chance. Je m’aperçois que j’ai oublié le mot qui va souvent avec Gilbert- C’est le mot jeune et voilà ça me revient c’est ça, Gilbert Jeune.

Les marchés aux livres d’occasion.

ll aura été rare que j’achète mes livres neufs. J’en suis tout aussi honteux que fier si vraiment vous voulez tout savoir. Honteux car cette propension à acheter d’occasion indique une certaine indigence matérielle, fier car ce n’est pas à cause de moi que nombre d’arbres, de forêts seront mis à sac pour permettre à des chalands sans vergogne de se ruer sur les soi-disant pépites annuelles que nous exhorteraient à dévorer les critiques, les émissions littéraires. j’ai beaucoup acheté de livres au fil de l’eau, en me promenant sur les quais, en passant devant les boites de bouquinistes. Ce qui ne signifie d’ailleurs pas qu’ils sont toujours si bons marchés. Parfois il m’est arrivé de payer le prix fort pour une ou deux éditions originales je l’avoue. Sinon les marchés aussi offrent de réelles possibilités d’acquérir des livres pour de très modiques sommes. A certain moment de mon existence, je voulais lire des romans de science-fiction, Notamment José Luis Farmer et son cycle du Fleuve. Je l’avais plus ou moins cherché dans les librairies sans vraiment le chercher, c’était une sorte de tâche de fond, et il fallait je crois que le hasard me le fit rencontrer sinon rien. Je ne suis pas du genre non plus à commander des livres et à patienter quinze jours trois semaines pour les obtenir enfin. Je n’ai commis cette bévue qu’une seule fois, et j’avoue qu’en y songeant à nouveau j’en reste encore bien honteux. j’avais commandé deux gros tômes que je n’avais pas lus du Journal de Luis Calaferte dans une librairie que je ne suis jamais retourné chercher. J’imagine que si cette librairie exige des arrhes désormais pour les commandes c’est en grande partie de ma faute. ( mea culpa, flagellons-nous dix fois et reprenons notre souffle)

Donc les marchés furent mes librairies en grande partie. De la science fiction mais aussi des livres érotiques, voire même pornographiques. Le genre de livres par exemple qu’on serait bien embêter de produire à la caisse d’une librairie. Encore que le Marquis de Sade fasse partie des classiques bien entendu et que des gens bien sous tout rapport le lisent encore, et, probablement l’achètent dans des librairies, sans doute d’ailleurs désormais des librairies en ligne.

Presque comme un marché normal, le marché aux Puces de Vanves, de Montreuil, celui de Clignancourt. Ce sont lors de ballades dominicales la plupart du temps, que j’ai acquis de nombreux livres ici. Notamment ce livre que je lis et relis à tout bout de champs Ce gros Cobra à la couverture verte et cet autre sur DE Staël dont la majeur partie des illustrations sont souillées de tâches de peinture à l’huile parmi tous ceux qu’il me reste de cette époque lointaine désormais.

Errer dans les librairies

Entrer dans une librairie et demander un livre ce n’est pas la même chose que d’entrer dans une librairie en n’ayant pas de livre à demander. Errer dans les rayons d’une librairie est un plaisir coupable sachant qu’il y a de grandes chances qu’on n’achètera rien. Certains font sûrement bien pire pour se dessaler, penser à cela quand le rouge monte aux joues au front.

Grands magasins qui font aussi librairies

La naissance des grands magasins qui, parmi tout un tas d’autres denrées vendent des livres, convoque des images douloureuses qui convergent pour la plupart vers le mauvais pli de l’anonymat. On devient anonyme comme client, mais les vendeurs aussi sont tellement interchangeables. En quelques mois à peine ce ne sont déjà plus les mêmes têtes. Ainsi je suis toujours pris d’une sorte de vertige lorsque je passe les portes coulissantes de la FNAC, rue de la République à Lyon. On ne sait où donner de la tête car dès l’entrée la promotion nous assaille immédiatement. On en perdrait facilement la tête, certains la perdent, moi je n’en ai pas les moyens, ou je ne me les donne pas. Montée de l’escalator depuis lequel au fur et à mesure que l’on monte on voit l’espace en dessous, la section informatique, téléphonie, télévision, hi-fi, on en a déjà comme un nouveau tournis avant même de parvenir comme propulser tête en avant dans les derniers jeux vidéos à la mode, les consoles, les game-boy, les prix sont astronomiques et des écrans diffusent des démos aguicheuses, tandis que des gamins bavent ou vocifèrent devant des grandes personnes mal à l’aise.

Rayon littérature française, littérature étrangère, littérature espagnole, italienne, turque, suédoise… Je ne rentre plus à la FNAC comme j’ai pu autrefois entrer dans une librairie, l’errance ici est mortifère. On en ressort vidé de toute sa substance.

Décitre

Chez Décitre de l’autre côté de la Place Bellecour, on retrouve une ambiance feutrée, d’ailleurs il me semble que l’on marche sur de la moquette. Il y a au rayon des nouveautés quelqu’un a prit la peine de créer une note pour chacun des livres exposés. On peut passer un bon moment à lire ces notes, à se faire des idées, puis les regarder s’envoler.

Flammarion

Chez Flammarion, à un autre angle de la place Bellecour, côté place Antonin Poncet c’est à peu près la même atmosphère qu’à la librairie du Passage, rue de Brest. Mais depuis février dernier la librairie ne s’appelle plus Flammarion , 20 employés licenciés, il semble que ce fleuron des librairies lyonnaises soit tombée dans l’escarcelle d’un fond d’investissement américain via le réseau des librairies « Chapitres ». Dommage, j’aimais beaucoup prendre l’ascenseur pour monter dans les étages, cela me rappelait un immeuble dans lequel j’ai habité enfant, sauf que là tous les appartements étaient tapissés de livres, on pouvait y rester là aussi très contemplatif des journées entières sans que personne ne nous adresse la parole, ou ne vienne nous interrompre dans nos rêveries.

Activités à faire dans une librairie

Il y a aussi cette librairie dont il faudrait que je parle, elle porte le nom d’une galerie d’art parisienne. Elle se situe entre deux villages, près de chez nous. Le libraire, un grand type sec atrabilaire organise des déjeuners ou dîners littéraires. Cela m’a amusé durant un temps. Mais c’est encore une occasion pour dire et écouter à peu près tout et n’importe quoi. Les grandes tables chargés des derniers best sellers à la mode sont débarrassées pour l’occasion et tout le monde s’assoit devant une assiette et un jeu de couverts Parfois un auteur vient se perdre ici pour effectuer une lecture. Il faut voir alors les visages tendus vers elle ou lui, surtout si par bonheur son dernier ouvrage à plu. Le plus amusant est d’observer la séance de dédicace à la fin, et le visage du libraire qui se détend, il lui arrive même de sourire en découvrant les dents, comme si l’événement l’avait plongé dans un bain de jouvence.

Les nouvelles librairies

Depuis que nous vivons ici, dans notre pays de vaches, nous ne nous rendons plus que rarement en ville, et encore moins dans des librairies. Et ça ne va pas s’arranger puisque nous ne disposons qu’une vignette critaire 3 sur le parebrise de notre vieille Dacia. En janvier prochain il faudra prendre le train pour se rendre à Lyon ou à Valence. Mais peu importe puisque désormais nous pouvons commander les livres sur internet. Bien sûr nous n’achetons des ouvrages neufs que pour l’occasion de faire des cadeaux, Noël, anniversaires en tout genre, car en ce qui me concerne surtout j’achète surtout des livres d’occasion sur Momox, Recyclivre, le Bon coin. Il y a aussi des sites comme celui de la BNF ou encore Gallica pour le cas où j’ai besoin de relire certains passages depuis mon ordinateur ou ma tablette, ce qui m’évite d’aller fouiller dans notre bibliothèque. J’ai récemment découvert aussi des sites pas très légaux où l’on peut trouver à peu près tout ce que l’on veut au format PDF ou EPUB que l’application Livre sur l’Ipad permet de lire. D’ailleurs à ce sujet, je m’aperçois que j’ai pris l’habitude de lire sur écran, ce qui m’apparaissait autrefois comme le summum de l’ineptie autrefois tant j’étais victime d’un certain fétichisme de l’objet livre. A force de télécharger des PDF et des EPUB il a fallu que je prenne un abonnement pour pouvoir stocker cette masse de livres virtuels sur un Cloud. Ma librairie comme ma bibliothèque sont donc en quelque sorte dans un nuage comme m

#03 inventaire des choses perdues

1. A propos

l’idée de l’inventaire. Au mot une image. Celui de cette entreprise de pièces détachées pour machines-outils. Des japonais d’une amabilité byzantine . Le bruit incessant d’un fenwick errant à vive allure d’une allée l’autre d’un entrepôt. Des colis confectionnés chaque jour un peu plus vite. Une difficulté à se souvenir d’emplacement, de l’apparence des pièces à faire correspondre à un code barre, une ligne de commande, qui s’aplanit de jour en jour. A la fin on y va les yeux fermés.

Est-ce que l’inventaire a quelque chose à voir avec l’invention, c’est la fin des mots qui change. Taire ce que l’on aurait inventé à un moment de sa vie, dans un lieu inventé lui aussi, avec des gens dont on ne peut se faire une idée que fictive en utilisant des outils qui ne valent pas mieux.

Quel discernement suffisamment aiguisé, et sur lequel on pourrait compter, qui ne nous trahisse pas ?

Parlons aussi des choses. Une image de livre presque aussitôt, un titre : Le petit chose. Et c’est comme on disait autrefois « machin chose » ou je l’ai sur le bout de la langue. Les choses sombrent ou surnagent dans le naufrage du temps qui passe,( inexorablement ) Et parfois, dans l’espoir de le ralentir car il passe de plus en plus vite, un vague souvenir de ces choses. En deux mots on réinvente ce qu’on a déjà inventé dans un but ( est-il louable ou au contraire peu avouable ? ) d’inventorier.

Quant à la perte elle est souvent ( toujours ?) irrémédiable. Est-ce pour cela que l’on voudrait se souvenir de choses perdues comme on remue le couteau dans une plaie ?

Sinon on peut aussi avoir un brin d’humour et se dire que nous perdons la vie petit à petit comme par inadvertance, qu’au moment où la prise de conscience nous arrive vraiment le sursaut serait de s’accrocher à un inventaire, mais qui serait loin d’être celui dont l’idée première nous vint au moment de penser au mot inventaire. On pourrait emprunter la vieille peau de Michaux, qui est comme une peau d’ours, fabriquer un rond de pierre dans une clairière, faire un feu, et au moment où l’odeur de bois brûlé atteindrait nos narines l’esprit ferait des étincelles, on pourrait inventorier tout ce qui ne nous appartint pas, ce qui jamais ne nous aura appartenu, ce qui jamais ne nous appartiendra.

inventorier alors comme on se jetterait à l’eau, dans l’imaginaire.

Il faut une force (incommensurable ?) pour évacuer en premier lieu la tentation d’effectuer un inventaire autobiographique. Car chez moi c’est une sorte de réflexe. ( une sale habitude ? ) La raison en est que lorsque j’écris, je ne vis pas ma vie, je la rêve ou je la cauchemarde. On croit que c’est autobiographique, mais en fait ce ne sont que des récits oniriques. Et comme je l’ai entendu dire il y a peu, rien de plus pénible à lire que ce genre de récit.

Il faut écrire à partir de la matière de ce rêve de ce qu’il déclenche au réveil, cet état second. Inventorier ces état seconds où l’on perd un peu de cette certitude d’être dans un rêve et pas tout à fait encore dans un autre.

A cet instant les choses s’éclairent ( un peu ) Elles luisent doucement dans une presque obscurité. On peut bien retrouver (si ça nous chante ) tout ce que l’on imagine avoir perdu.

Ce n’est pas si difficile d’en inscrire quatorze quand on en a aperçu un ou une. C’est même certainement en rapport avec la notion de dérivée mathématique, ou encore les fractales.

2. inventaire de choses perdues.

  • Le dernier des Mohicans : Le Dernier des Mohicans (The Last of the Mohicans) est un roman historique américain de James Fenimore Cooper, publié pour la première fois en janvier 1826, notamment par un éditeur apprécié et diffusé à l’époque, nommé Carey & Lea. Deuxième des cinq ouvrages composant le cycle des Histoires de Bas-de-Cuir (Leatherstocking), il se situe entre Le Tueur de daims (The Deerslayer) et Le Lac Ontario (The Pathfinder). Le Dernier des Mohicans est une méditation nostalgique sur la disparition des Amérindiens, tout en étant une annonce de la naissance des États-Unis. Il eut un énorme retentissement en Europe, dès sa publication, comme en avaient les romans contemporains de Walter Scott. Le premier titre des Chouans de Balzac, paru trois ans plus tard, lui fait allusion : Le Dernier Chouan ou la Bretagne en 1800.
  • Pertes humaines durant la Seconde Guerre Mondiale Les statistiques des pertes de la Seconde Guerre mondiale varient, avec des estimations allant de 50 millions à plus de 70 millions de morts ce qui en fait le conflit le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité, mais pas en termes de décès par rapport à la population mondiale. Les civils ont totalisé 40 à 52 millions de morts, dont 13 à 20 millions de maladie ou de famine du fait de la guerre. Les pertes militaires s’évaluent entre 22 et 25 millions, dont 5 millions de prisonniers de guerre morts en captivité. Les statistiques ne donnent pas le chiffre du nombre des morts après septembre 1945 (et après mai 1945 pour l’Europe), sans doute élevé : un grand nombre de soldats grièvement blessés décédèrent, ainsi qu’un grand nombre de déportés rescapés, qui moururent des conséquences de mauvais traitements, de privations diverses, etc. Du fait du manque de services médicaux et hospitaliers, souvent dégradés, la mortalité était plus importante qu’avant 1939. Après 1945, la famine était très visible en certaines zones de l’URSS, dans les Balkans, et même dans l’Europe occidentale, sans oublier l’Asie. Aussi, il ne faut pas négliger les conséquences psychologiques, très importantes, avec un grand nombre de personnes traumatisées, souvent pour plusieurs générations.
  • Perte de la mère (et du lecteur) , chez Serge Doubrovsky : ( extrait d’article ) Serge Doubrovsky cède avec « Le Monstre » de nouveau à la tentation autobiographique. Il semble même qu’il n’ait pas la maîtrise de ce choix. Toujours est-il qu’il compte vingt-deux ans de plus que jadis, en 1948. Il est professeur, mari, père et… orphelin. La question se pose différemment, aujourd’hui : Comment se libérer de soi-même, comment s’écrire, quand il faut simultanément écrire l’autre. Comment écrire en même temps sa propre biographie et celle de sa mère, lui rendre son dû, sa vie ? Nous touchons là, sans doute, à l’essentiel de la douloureuse découverte de l’écrivain lors des années de psychanalyse : on ne s’appartient pas. Même quand on est seul dans sa chambre, devant une machine à écrire, et qu’il n’y a personne pour vous voir, on ne s’appartient pas. L’absurde recherche de soi. La révélation de l’absurde se fait généralement dans l’angoisse : l’angoisse de la dignité chez Camus, celle de la responsabilité chez Sartre. Celle de ne jamais s’appartenir chez Doubrovsky. Seul subterfuge : se reprendre à autrui en se créant dans un langage, remanier le matériau de sa vie, des autres vies, en remplissant le vide en soi par celui du feuillet. Plus donc encore qu’une « auto-contemplation », l’œuvre est auto-genèse dont le point de départ pourrait se formuler comme suit : étant donné qu’on ne peut pas naître seul, s’auto-engendrer, il faut faire parler la mémoire en la réinventant pour soi-même. « Le Monstre » est un excès de mémoire. Une orgie d’écriture. Ce terrorisme de l’écriture, de la conscience ex-jectant l’autre, s’inscrit non seulement dans les réminiscences des lectures de maints écrits sartriens (Érostrate, L’Âge de raison, L’Être et le Néant : tout se passe en-dehors de la conscience) mais aussi dans une période où l’expérimentation littéraire était à la mode, les figures de Joyce, de Queneau, de Ionesco, de Beckett donnant une image de l’écriture comme expérience dans laquelle le lecteur n’était pas nécessairement invité à entrer de plain-pied.
  • Perte de l’ouïe, la surdité de Beethoven : ( extrait d’article ) C’est à partir de la correspondance du compositeur (Brigitte et Jean Massin) que l’on peut retracer l’histoire et l’évolution de sa surdité. Dans une lettre datée du 1er juillet 1801, alors âgé de 31 ans, Beethoven évoque pour la première fois son handicap dans une lettre adressée à son ami le docteur Franz Wegeler : « c’est ainsi que depuis trois ans mon audition s’affaiblit… au théâtre, je dois me placer tout contre l’orchestre… je n’entends plus les sons aigus… j’entends les sons mais ne peux comprendre les mots. A l’inverse, si quelqu’un crie, je ne le supporte pas…» On y apprend que cette surdité évolue depuis quelques années déjà, s’accompagnant d’acouphènes permanents et d’hyperacousie douloureuse. Cette baisse de l’audition semble évoluer d’un seul tenant expliquant l’émergence d’un syndrome dépressif, signalé dans le testament d’Heiligenstadt en octobre 1802, et restreignant progressivement sa vie sociale, d’où son tempérament jugé solitaire et ombrageux. Il semble que la maladie auditive ait débuté à l’âge de 26 ans par des acouphènes, suivis de l’apparition d’une surdité deux ans plus tard (1798) prédominant sur les aigus, avec une perte de l’audition évaluée à 60% en 1801 (un chiffre soumis à caution quand on sait que l’invention de l’audiogramme se fera bien plus tard !), pour devenir complète à l’âge de 46 ans, en 1816, date à laquelle il n’entend plus la musique et utilise un cornet acoustique et des cahiers de conversation. En 1808, il donne son dernier concert public.
  • histoire de Zénobie , la perte de Palmyre (récente ) et de l’authenticité de l’ouvrage L’ Historia Augusta: (extrait d’article) : Si l’Histoire Auguste est aujourd’hui reconnue comme largement fictive (certains spécialistes lui donnent même le label de « fiction historique »), elle était considérée comme une histoire fiable à son époque et pendant de nombreux siècles par la suite. Le célèbre historien Edward Gibbon (1737-1794) l’accepta en tant que compte rendu authentique de l’histoire de la Rome antique et s’appuya largement sur elle dans son ouvrage en six volumes intitulé Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain qui, comme l’Histoire Auguste, est largement considéré comme inexact de nos jours. Ces deux ouvrages eurent toutefois un impact considérable sur les publics qui les lirent ou les entendirent. Plutôt que de considérer l’Histoire Auguste comme largement fictive, il serait peut-être préférable de l’envisager sous le même angle que le genre de la littérature naru de la Mésopotamie antique. La littérature naru commença à apparaître vers le deuxième millénaire avant notre ère en Mésopotamie et se caractérise par des récits mettant en scène un personnage bien connu du passé (généralement un roi) en tant que personnage principal d’un récit quasi-historique, qui vante les prouesses militaires du roi, raconte sa vie et son règne ou, plus souvent, utilise le roi pour illustrer la relation appropriée entre les êtres humains et les dieux. Le personnage principal (le roi) était toujours un personnage historique réel, mais l’histoire était soit fictive, soit orientée d’une manière particulière afin d’obtenir l’impression désirée.
  • La perte du téléphone et de la voix sur le répondeur ( deux fois ) que l’on pourrait traiter d’une façon plus générale ? comme la perte des disquettes, des disques durs, des photographies de vacances.
  • La perte de dignité ( mille fois avant de savoir qu’on en possède une ) dans le monde du travail, notamment celui des enquêtes par téléphone.
  • perte d’un appareil photographique Leica M42 dans un train ( irréparable) et un suicide quelques temps plus tard.
  • Perte de la volonté de ne pas écrire des choses autobiographiques ( et essayer de se raccrocher aux branches en extirpant le mot autofiction du bout des lèvres)
  • Perte du souvenir d’un rêve que l’on finit par réinventer parce qu’il nous manque trop. Puis on s’aperçoit que manquer n’est pas le bon mot. C’est tout le contraire, il nous révèle.
  • Perte soudaine d’orientation au volant d’un véhicule. Il se demanda tout à coup où il allait, d’où il venait, et durant quelques secondes il s’aperçut horrifié qu’il ne s’en souvenait plus. Puis l’impression s’évanouit, il en résulte un nostalgie de l’horreur. Et s’il dépasse cette fichue nostalgie, il découvre que l’horreur est un pansement, ou un réflexe, ni plus ni moins.
  • Perte d’équilibre. Le peintre regarde son tableau sombrer dans le chaos ( avec effroi ?)
  • Perte de cheveux. Suite à un traumatisme, cet adolescent perd ses cheveux, toutes les stratégies qu’il s’invente à partir de là pour ne pas subir de plein fouet cette singularité. Référence à ce roi mythologique qui s’empoisonne un petit peu tous les jours au cas où il serait un jour victime empoisonnement.
  • Perte des clefs ( ça irait bien avec la peur d’avoir oublié d’éteindre le gaz)
  • Perte de la mémoire d’un lieu où l’on a garé son véhicule.
  • Perte osseuse dans l’espace : Le remodelage est un élément clé de la compréhension de maladies osseuses comme l’ostéoporose. Il explique également le phénomène de la perte osseuse chez les astronautes dans l’espace. Dans l’espace, les astronautes sont sujets à l’ostéopénie du vol spatial. Ce trouble physique peut entraîner chez les astronautes la perte de un à deux pour cent de leur masse osseuse en moyenne chaque mois. Cette perte osseuse se produit habituellement dans les jambes, les hanches et la colonne vertébrale. Il faut compter de trois à quatre ans pour que ces os se rétablissent après le retour des astronautes sur Terre.

3. Choisir pour écrire.

J’ai un peu perdu le fil de la proposition ( comme d’habitude) Maintenant il faudrait que je choisisse un de ces items pour écrire un texte. Ce que je ferai peut-être, ou pas. Et en même temps je me demande si déjà ce n’est pas amplement suffisant.

# 04 Les livres moins ce qu’ils disent

 Sergent ! interroge Camember, et la terre du trou ? — Que vous êtes donc plus herméfitiquement bouché qu’une bouteille de limonade, sapeur ! Creusez un autre trou ! — C’est vrai ! » approuve Camember.

L’apparence des livres, l’image des livres, leur alignement sage sur les rayons d’une bibliothèque, d’une librairie, ou, au contraire, l’accumulation de piles directement posées au sol, dans ce qui ressemble à un désordre, une anarchie, un chaos, c’est dans l’ensemble tout ce qui me viendrait le plus facilement sans le moindre effort, cette sorte de cliché issu d’un décorum plutôt que tout ce qu’ils pourraient encore me dire , ces livres, ou ne pas me dire;

Lorsque j’y songe, comme aujourd’hui, je les considère comme des choses, des objets, des éléments décoratifs, un mobilier, parfois chaleureux, parfois démodé, parfois inutile , encombrant même, bref : un élément indissociable d’un tout que l’on pourrait nommer « mon intérieur ».

Cependant, en creusant cette image molle , je tombe sur la dureté salvatrice d’un hiatus. Entre la chose, l’objet, l’apparence et le contenu. Une paille. Mieux que cela. Car si j’examine tout ces contenus je ne pense pas être si surpris qu’en grande partie, ils m’échappent. Et que par cette fuite semblable à l’air s’échappant d’un trou dans une chambre à air, tout ça me laisse dans un état d’abattement encore plus grand. Peut-être même une bonne vieille déprime.

( tout ça bien sûr si j’étais du genre à vouloir thésauriser un savoir, des souvenirs de lecture, une passion pour tel ou tel auteur, ce dont je doute désormais )

Donc, non, si je considère le pire, ce trésor familial qui me tombe dessus me plaque au sol m’étouffe , la surprise sans doute encore l’emporte sur mon éternel sourire de simplet.

Fut un long moment où je passe outre l’apparence des choses, où ce qui m’intéresse n’est pas tant l’apparence de ces objets, que ce qu’ils peuvent ou pourraient m’offrir alors que je caresse mécaniquement comme un babouin l’espoir de m’augmenter , d’une connaissance, d’une compréhension de l’âme humaine, ( si possible dans ses aspects les plus sombres).

Les urgences, la précarité, les déménagements, le peu de place que je peux consacrer à ces objets- si précieux sont-ils – m’entraîne à m’en défaire avec l’implacable régularité d’un coucou mécanique. Au début, avec cette saine répugnance d’un sauvage des années 80, ( hou hou vive le néo libéralisme, à bas les murs, bouffez des sushis ! hé mais Reagan c’est pas ce type qui jouait dans ce putain de film la fois où j’ai vomis sur les nichons de P. qui lisait le carnet d’or de Doris Lessing ? )

Pendant ce temps là la dure réalité rabote allègrement mes rêves de gosse Le genre de cliché qu’on nous implante dans les mirettes . Trouve une copine, un travail, reproduis-toi, prend un crédit sur 30 ans sois sage, ne réfléchis surtout pas trop…

Répugnance que l’on peut à loisir retourner comme un gant, d’où sa vertu roborative.

non, ce qui est dingue c’est que l’on peut tout à fait aller jusqu’à en éprouver physiquement la perte, la déchirure, l’absence, le manque. Des livres, du décorum, d’un amour de jeunesse et de toute la vie factice d’une époque. Cependant, il faut bien vivre et l’habitude de la répétition, l’usure arrondissant tellement bien les angles. Je prends vite l’ habitude de me séparer des livres, sur le même rythme que je me sépare des quartiers de la ville, de mes jobs d’intérim, de mes bistrots favoris, de mes voisins, et bien sur des filles et des femmes.

Encore que ce n’est pas tout à fait exact. A l’époque je m’accrochais tout de même à une poignée de bouquins. Voir de Carlos Castaneda, Le grand Meaulnes d’Alain Fournier, Plume d’Henri Michaux, Rebecca de Daphné du Maurier et Bourlinguer de Blaise Cendrars. C’était une sorte de bande. Ma bande. Absolument hétéroclite tout comme les trois quarts de mes pensées à ce jour.

Cependant encore, pour être honnête, il existe un lieu semblable au rocher de King Kong sur une île et auquel je m’imagine toujours devoir accéder tôt ou tard, un lieu inéluctable où tout me serait redonné où je retrouverai tout le temps perdu et la madeleine, une montagne de livres servant de protection de château fort pour m’installer à l’intérieur comme seigneur et récupérer toute mes billes enfin à la fin de la partie de Monopoly.

La fameuse bibliothèque.

et qu’avec les années mon imaginaire caresse, nourrit, entretient, gave, renforce. C’est la masse de livres amassée par la famille et dont on m’averti de bonne heure qu’elle sera un jour lointain mon leg.

Imaginez une vie entière à nourrir ce genre de pensée qu’un jour vous serez l’héritier d’un trésor

trésor qu’à force de l’attendre comme tout ce qui porte le nom de trésor vous avez cessé de briguer, vous ne le convoitiez plus, vous vous étiez à grande stupeur débarrassé de cette idée et c’est justement au même instant qu’elle vous revient en pleine figure comme un boomerang austral. Stupeur et tremblements, faites bonne figure au sort ainsi.

L’avalanche se déclencha au mois de mars de l’année 2013, au décès de mon père. Il fallait vider la maison. Je crois que je ne connais rien de pire dans la vie que de vider une maison de toute trace humaine familière, ça vous en flanque un sacré coup à la définition du mot. chaque trace déclenche une scène un souvenir. J’ai mis un temps fou à vider cette maison. Des mois. Et à la fin je crois que je l’ai fait dans un état second, comme si j’étais un autre pour m’en sortir.

L’une des premières choses que j’ai faites dans l’ordre chronologique ce fut d’emballer tous les livres dans des cartons, puis de démonter les bibliothèques. Il y avait beaucoup de livres policiers, des ouvrages brochés traduits depuis cents langues diverses en français. A la fin, mon père les achetait de façon compulsive sur internet, sur des plateformes de vente de livres d’occasion. Ils étaient en bon état, mais chacun pesait son poids car il avait coutume de prendre des formats extraordinaires écrits en gros caractères.

Je ne me souviens pas du nombre de cartons, mais mes amis oui, ils m’en parlent encore à l’occasion. Quand nous déménageâmes d’Oullins pour emménager dans notre nouvelle maison. De la sensation de remplir le tonneau des Danaïdes ou de compter les cheveux d’Éléonore. De plus, nous ne voulions pas encombrer les pièces en travaux, et nous dûmes faire un effort supplémentaire pour tout stocker au grenier dont le seul accès est un escalier escamotable.

C’est un très grand grenier, au moins 70 mètres carrés. Mais une fois tous les cartons entreposés il m’apparut exiguë. Et je me souviens très clairement d’avoir songé au risque que tout ça allait finir par m’étouffer. Mon épouse qui est aussi la voix de ma conscience m’avoua que j’aurais beaucoup mieux fait de tout refiler à un brocanteur, à une bibliothèque municipale, à Emmaüs. Mais quelque chose me retint. Malgré le danger c’est toujours ainsi : je n’hésite pas à me fourrer dans les pires situations incongrues. C’est plus fort que moi voilà tout. Et c’est de cette façon très exactement que je me suis installé dans le refus de me défaire de ce trésor dont j’étais l’unique dépositaire à présent. Sans doute parce que finalement j’en étais le seul dépositaire.

Mon frère m’avoua il y a de cela plus de 10 ans désormais qu’il avait sélectionné quelques bouquins qui l’intéressaient à l’époque. Il avait encore les clefs de la maison de mes parents à cette époque. C’était cette période où j’effectuais des allées retour entre Lyon et Paris pour m’occuper de notre père quand il tomba malade, puis une fois décédé, pour effectuer toutes les démarches avec l’entreprise de pompes funèbres, l’état civil, les banques, le notaire, puis à la fin avec les agents immobiliers, les assurances, et de nouveau le notaire. Je me suis surpris quand il m’avoua son forfait à considérer ce forfait comme une trahison sans trop savoir pourquoi. Dans mon esprit il avait entamé une chose inentamable. Quelque chose qui devait rester intègre. Une intégrité qui devait me revenir de droit. C’était idiot, ce n’était que quelques livres sans importance. et peut-être que ce que considérais comme un délit cristallisa à cet instant tout une collection de griefs gardés sous silence depuis la nuit des temps. Comme il est banal de le constater dans toutes les familles au moment des enterrements.

encore au jour d’aujourd’hui, je sens que je suis encore tiraillé par le fait de vouloir conserver ces innombrables cartons de bouquins ou bien m’en défaire m’en débarrasser. Ce qui me retient ? je l’ignore, peut-être une sorte de respect pour cette collection amassée durant toute une vie par la famille. A moins que ce ne soit ce rôle auquel je continue à vouloir tenir d’être en fin de compte le dépositaire, le gardien de quelque chose qui n’a aucun sens véritable d’être gardé. Cette somme de livres représente un coût sentimental qui n’est absolument pas en adéquation avec sa valeur réelle sur le marché du livre. Plusieurs vies y ont contribué dans ce que je peux imaginer être un rêve ou une illusion commune, car j’ai aussi hérité des livres de mes aïeux , Des livres énormes à couverture de cuir dont on tourne les pages dans la crainte d’en abîmer la moindre, dans la peur qu’elles ne tombent en poussière. Parfois j’y pense encore, je sais que je n’aurai probablement ni le temps ni l’envie de lire tous ces livres. Qu’en tant que nomade je ne lis plus que des eBook, des Epub, ce qui me permet de me trimbaler avec mon trésor personnel qui ne pèse qu’un poids dérisoire, quelques gigaoctets à peine.

La semaine passée les petits enfants sont venus passer quelques jours de vacances; J’ai timidement tenté de faire lire Jules Verne au plus grand, mais il était bien plus attiré par un jeu vidéo en ligne avec lequel il joue avec ses copains. Je n’ai pas insisté. Je suis victime de cette aura qui frappa des générations avant moi, l’aura des livres. Je ne me reconnais pas le devoir de la propager plus loin, je crois même que j’entretiens avec celle-ci une certaine méfiance, quand ce n’est pas une forme de haine. Il me semble que c’est la même méfiance, la même sorte de haine qu’avec ce que le monde est devenu désormais pour moi, cette chose complètement incompréhensible, cette chose qui jour après jour m’échappe totalement. Et en même temps il y a ce plaisir un peu malsain d’imaginer là haut au dessus de nos têtes, cette masse de papier et d’encore grignotée probablement par les souris et les rats du grenier. La nature sauvage et incompréhensible elle aussi reprend ses droits. Et à la fin ce n’est dans le fond que cela qui reste de toute une vie famille. tout ce qui aura été investi d’elle dans ce que recèle les pages,de ces milliers de livres, entre ses lignes, reste à mon sens complètement inaccessible.

cependant qu’elle a participé grandement à faire de moi un exilé, un paria. Je ne voulais pas m’attacher de trop aux jaquettes, aux couvertures, aux titres aguicheurs, à ce que l’on considère comme de grands auteurs. A toute cette illusion ou cette réalité fabriquée de culture comme de savoir. Tout ce qui m’a motivé dans ce long mouvement d’attachement et de rejet c’était d’en apprendre un peu plus sur les méandres de l’âme humaine, ses recoins les plus sombres, ses mystères ses gloires futiles autant qu’anonymes. De quel droit en serais-je déçu ?


Idées pour d’autres textes.

Elle lit Doris Lessing, Elsa Morante ce qui l’installe dans une certaine idée d’elle que je nourris justement en ne lisant pas Doris Lessing, Elsa Morante. Je me prive de ces lectures pour ne pas perdre cette idée que j’invente d’elle. A la fin la séparation advient, mais je ne me suis séparé que d’une idée, est-ce moins douloureux ? quelle idée de douleur ai-je encore inventée pour ne pas vivre la cours naturel des choses de ce monde ?

Il m’arrive souvent de prendre un livre au hasard comme il m’est arrivé de vivre avec une fille une femme au hasard. Ne me demandez pas la raison profonde de ce genre de comportement, je reste muet là-dessus. Ce n’est pas parce que je ne me suis pas posé la question des milliers de fois. J’ai simplement écarté toutes les réponses possibles pour me maintenir en train.

tout me convient au bout du compte dans ces livres ces aventures. Je crois que je n’y cherche rien à l’avance et donc quand il se passe quelque chose j’en suis surpris. Que ce soit une bonne ou une mauvaise surprise n’a pas d’importance.

Ce que je cherchais à l’avance autrefois était rarement sinon jamais ce que je trouvais à l’arrivée. Je me mis donc à l’ouvrage de refuser de chercher quoique ce soit à l’avance. C’est un vrai travail.

tout ce que je trouvai soudain dans le moindre livre correspondait étrangement à mon état d’esprit du moment. Je me souviens encore de mes errances dans les allées de la bibliothèque G. Pompidou. bon sang comme c’était une période difficile. J’étais sans dessus dessous. C’est à peu près à ce moment que j’ai découvert les bouquins de René Girard notamment Critique dans un souterrain. J’avais du mal à lire Dostoïevski avant ce petit livre. Après cela j’en raffolais et certainement qu’on devait me prendre pour un cinglé tellement je pleurais de rire assis dans un coin sur cette moquette qui puait des pieds.

Cette fille complètement bizarre avec des lèvres bleues. Une fois en longeant le parc de l’Isle Adam je me souviens encore de cette sensation électrique que l’on éprouve dans l’échine quand quelqu’un vous regarde. Je me retourne, c’était elle , le pire est que je savait au moment même que c’était elle. Elle avait un tee shirt sur lequel était inscrit le mot Nécronomicon. Elle explosa de rire en voyant ma tête. Je ne savais pas à l’époque que le Nécronomicon était un ouvrage inventé par Lovecraft. Je croyais évidemment qu’il s’agissait d’un vrai livre, que cette fille était une sorcière et qu’elle possédait bien sûr ce bouquin.

Ce livre des années 70 était culte, il suffisait de lire de titre et on imaginait qu’il était possible de partir sur les routes jusqu’aux indes, que la vie serait évidemment bien plus cool là-bas qu’ici près de Pontoise où coule l’Oise boueuse et fétide. Je l’avais finalement acheté pour lire dans le train. Au marché des livres d’occasion de L’Isle Adam en 1972. Le trouver m’avait procuré la même excitation qu’autrefois un Vampirella que je n’avais pas encore lu. J’ai dû lire une dizaine de fois le premier chapître, je m’endormais à chaque fois et me mettais à rêver des plages de Goa, de cheveux interminables, de saris colorés fleurant l’odeur de patchouli. Je ne me souviens plus où je l’ai perdu. Peut-être qu’il ne me fut nécessaire que pour ces aller retour en train afin de me rendre et revenir de la pension, jusqu’à la troisième.

Je viens de lire une centaine de pages de Un bon jour pour mourir de Jim Harrison. Puis soudain je suis pris d’un doute. Je cherche le titre sur Google, pour connaître l’année de publication du bouquin et je tombe sur le site lisez.com et une myriade de critiques négatives sur cet ouvrage. Ce qui me vient à l’esprit à cet instant c’est que j’ai certainement encore pris un coup de vieux. Que la plupart des auteurs que j’aime lire et relire n’intéresse plus un vaste public. Bref, je suis d’un autre monde que celui-ci. Est-ce que je suis mort et j’erre dans les limbes ? bien possible.

Très loin dans le souvenir, le livre du Sapeur Camember posé sur une étagère dans la classe de Madame N. Autour de lui flotte la musique de Pierre et le loup de Sergueï Prokofiev. Par delà les vitres les grands platanes de la cour de récréation dont l’écorce me fascine autant que les images de strates géologiques de mon manuel de géographie. Le titre réel est bien « les facéties du sapeur Camember ». Et cette histoire de trou qui me hante, Camember creuse un trou pour y placer la terre d’un autre trou qu’il a creusé, mais que faire de la terre déblayée depuis ce second trou ?

# 05 Relever la charpente

J'ai tout repris et tout mélangé les quatre parties précédentes 


Dans la pièce exiguë qui sera ma bibliothèque, je sais d’avance que chaque livre que je vais extirper des cartons sera un pilier de ma propre histoire, un recueil de moments encapsulés. Comme Walter Benjamin qui, dans son exil, déballait ses livres pour en inventorier les souvenirs, je m’apprête à ranger les miens, non pour les classer, mais pour redécouvrir le voyage de chaque acquisition.

Chaque ouvrage est un témoin silencieux d’une époque, d’un lieu, voire d’un état d’esprit oublié. En déchirant le ruban adhésif des cartons, en écartant les pans , j’ai un peu la sensation d’écarter mon thorax ou ma cervelle : chaque livre émerge comme une relique de ma propre Grande Dépression personnelle ou des minces jours de découverte joyeuse. Ce n’est pas simplement ranger, c’est revisiter et parfois réévaluer.

Je pense à Georges Perec qui définissait une bibliothèque comme un ensemble de livres pour le plaisir quotidien. Mon approche est semblable mais avec une intention plus introspective. Chaque livre est classé non par ordre alphabétique ou thématique, mais selon l’intensité des souvenirs qu’il évoque, formant ainsi une cartographie de mon passé littéraire.

Certains livres restent des piliers inébranlables, d’autres, jadis chéris, ont perdu de leur éclat, témoignant du changement de mes perspectives et goûts. Cet exercice de classement devient un dialogue intime avec moi-même, chaque livre me questionnant, « Pourquoi suis-je ici ? Que représente-je pour toi maintenant ? » « As-tu vu ce que tu es devenu ? »

À l’image de Benjamin, je ne retrouve pas seulement des livres, mais des fragments de moi-même éparpillés à travers les pages. Le livre sur Baudelaire acheté à Paris, un roman de science-fiction échangé avec un ami maintenant lointain, chaque volume porte en lui une histoire qui dépasse le texte imprimé.

Cette réorganisation est moins une tâche qu’une cérémonie, un acte de redécouverte où chaque livre est soigneusement dépoussiéré, feuilleté, parfois lu sur place, souvent replacé avec une nouvelle compréhension de son importance.

Je m’arrête, livre en main, souvent perdu dans les méandres de la mémoire. C’est dans ces moments de pause que je ressens le plus profondément le poids de ma bibliothèque, non en kilogrammes, mais en expériences vécues, en émotions ressenties.

Je conclue cette session de rangement par une réflexion sur ce que ces livres disent de moi, de mon parcours, de mes ruptures et de mes continuités. Comme les strates géologiques raconte les drames, les tragédies des sols , ma bibliothèque raconte une histoire complexe et multiforme, un récit toujours en cours d’écriture. Chaque livre rangé est-il une promesse de retour, je n’en sais rien à vrai dire, non en fait je sais que je ne crois plus au mythe de l’éternel retour.


Au cœur de cette quête littéraire, chaque librairie visitée est deviendrait une pierre angulaire de mon territoire de lecteur, un morceau de la carte de mon monde intérieur. Ces espaces, sanctuaires fragiles et tremblotant du savoir et de l’imaginaire, ont façonné ma perception des mots et de leur pouvoir.

Dans les rues pavées d’Angoulême, je pousse la porte d’une librairie ancienne où l’odeur du papier vieilli se mêle à celle du bois ciré. Les étagères, hautes et chargées, touchent presque le plafond, s’archant sous le poids des classiques et des nouveautés. Ici, j’ai découvert la gravité solennelle des textes de Victor Hugo, dont les mots semblaient résonner dans le silence respectueux de la boutique.

Puis, à Strasbourg, je me retrouve devant une vitrine moderne, éclairée, qui expose des livres d’art et de photographie. La lumière douce et les couleurs vives des couvertures attirent un public éclectique, des étudiants en art aux touristes curieux. C’est là que j’ai acheté mon premier recueil de poèmes, un acte de rébellion adolescente contre la prose du quotidien.

Enfin, à Saragosse, je flâne dans une librairie spécialisée dans la littérature étrangère. Les murs sont tapissés de romans et de biographies en plusieurs langues, un babel de papier qui invite au voyage. C’est ici que j’ai compris la valeur de la diversité narrative, en feuilletant des œuvres traduites du japonais, de l’hébreu ou du suédois.

Ces librairies ne sont pas que des lieux de commerce, mais des portails vers des univers insoupçonnés. Chaque visite est une aventure, un pas de plus dans la construction de ma propre histoire littéraire. Elles sont des rencontres, des moments de révélation qui ont enrichi ma vision du monde et nourri ma passion pour la lecture.

Vincent Puente, avec ses librairies fictionnelles, nous rappelle combien ces espaces peuvent être des théâtres de la mémoire et de l’imagination. Inspiré par ses récits, je me prends à rêver de mes propres librairies, celles qui ont marqué les chapitres de ma vie. Peut-être un jour, à l’image de Puente, raconterai-je ces lieux avec une touche de fantastique, où chaque livre acheté serait une porte entrouverte sur l’infini.

Cette exploration ne se veut pas une fin en soi, mais une accumulation de matériaux pour des constructions futures. Comme dans un premier jet, je laisse les souvenirs et les sensations se superposer, formant une mosaïque de moments qui, une fois assemblés, dévoileront le portrait de l’écrivain que je suis devenu.

Ainsi, je continue ma marche, accumulant les expériences, me préparant à les recomposer dans mon écriture. Chaque librairie visitée, chaque livre acquis est un fil rouge dans le tapis complexe de mon histoire qui s’achèvera tôt ou tard. C’est une marche d’approche, certes, mais chaque pas est un pas vers la découverte de moi-même en tant que lecteur.


Dans la solitude de mon espace de lecture, je me penche sur une liste personnelle de neuf choses perdues, inspirée par l’œuvre épatante de Judith Schalansky. Cet inventaire commence non par une simple énumération, mais comme une exploration de ce que ces pertes signifient pour moi, chacune ouvrant un chapitre de réflexion et de narration.

Le premier élément de ma liste est une montre de poche appartenant à mon grand-père, disparue dans les méandres d’un déménagement. Ce n’est pas tant l’objet qui me manque, mais les instants qu’il a mesurés, les échos de conversations longtemps oubliées. Je lance ce récit par une description précise du tic-tac de cette montre, un son presque oublié, mais encore vibrant dans ma mémoire.

Le deuxième est une lettre jamais envoyée à un vieil ami, perdue lors d’une crise de colère. Cette feuille de papier, saturée d’encre et de regrets, devient le cœur d’un dialogue imaginaire entre moi et cet ami, où je tente de réparer les ponts jamais vraiment brisés, mais seulement négligés.

Le troisième élément est une photographie de ma première voiture, une vieille berline avec laquelle j’ai connu des aventures inoubliables. La photo, perdue dans un incendie, représente plus que du papier brûlé; elle symbolise la jeunesse évanouie. Je me lance dans une narration en mode road-trip, chaque virage de la route évoquant un souvenir précis de liberté et de découvertes.

Un vieux livre de cuisine de ma mère, usé et finalement perdu, occupe la quatrième place. Il n’est plus tangible mais persiste dans les parfums de mon enfance. Je narre les recettes comme des formules magiques, chacune capable de ressusciter des moments de bonheur familial.

Le cinquième est un billet de concert froissé, perdu dans la poche d’un manteau vendu. Ce billet revit dans une évocation lyrique d’une soirée où la musique semblait tout guérir, où chaque note jouée résonne encore dans les alcôves de mon cœur.

Ces fragments de récits, en détaillant les objets perdus et les émotions qu’ils éveillent, tissent une tapestry narrative personnelle. Chaque histoire est un fil reconnectant le présent au passé, un passé qui, bien que perdu, demeure vivant dans les mots que je pose sur le papier.

Cette démarche, inspirée par Schalansky, n’est pas simplement un exercice de style; elle est une quête de sens, un moyen de comprendre comment ces pertes ont façonné l’individu que je suis devenu. Ce ne sont pas seulement des objets disparus, mais des parties de moi, éclipsées par le temps, que je cherche à retrouver dans le récit.

La liberté narrative offerte par ce format permet une profonde immersion dans chacun de ces moments perdus, rendant chaque récit aussi unique que l’objet ou le souvenir qu’il représente. C’est un dialogue continu entre le passé et le présent, entre ce qui était et ce qui reste, une exploration de l’absence comme forme pleine et entière de présence.

Dans ce voyage littéraire, chaque chapitre clos n’est pas simplement la fin d’une histoire, mais l’invitation à en découvrir une nouvelle, à ouvrir un autre tiroir de la mémoire, à continuer de tisser le riche tissu de mon propre répertoire de choses perdues.

Dans cette exploration, je m’immerge dans la matérialité des livres, laissant de côté leur contenu textuel pour me concentrer sur leur existence physique. Chaque livre que je choisis est un artefact, chargé de souvenirs et de sensations qui transcendent les mots imprimés sur ses pages.

Le premier est un vieux roman de poche, sa couverture écornée témoignant des nombreux voyages dans mon sac à dos. Je me souviens de son odeur de papier vieilli, et de la sensation de ses pages fines sous mes doigts, souvent lues sous le doux soleil d’un après-midi d’été au parc. Ce livre n’est pas juste un objet de lecture, mais un compagnon de mes jours de liberté, son usure parallèle à mes propres expériences.

Ensuite, un volume relié, lourd et imposant, trouvé dans une librairie ancienne. Sa couverture rigide, embossée, était froide au toucher, contrastant avec la chaleur de la pièce lambrissée où je l’avais découvert. Lire ce livre était une expérience presque cérémonielle, nécessitant une table et une lampe de lecture, chaque page tournée avec un respect presque religieux pour sa majesté.

Je me tourne vers un manuel scolaire de mon enfance, dont les marges sont jonchées de graffitis et de notes écrites à la hâte. Ce livre, plus qu’un simple outil d’apprentissage, était un témoin de mon développement intellectuel et créatif. Sa matérialité évoque des souvenirs de salles de classe bruyantes, de récréations joyeuses, et déjà mon retrait, mes angoisses face à cette joie sauvage.

Un autre, un recueil de poésie, se distingue par son élégante simplicité. Sa couverture souple, d’un bleu profond, invite à la contemplation, et je me rappelle l’avoir souvent lu en écoutant la pluie battre contre les fenêtres de ma chambre. La texture de sa couverture, lisse et fraîche, contrastait avec la chaleur des mots qu’elle enfermait, chaque poème résonnant différemment selon le temps et mon état d’esprit.

Enfin, un guide de voyage écorné, témoin de mon année sabbatique. Les pages, gondolées par l’humidité des tropiques, portaient des taches de boue et des traces de café, chaque marque une carte du périple que j’avais entrepris. Ce livre était plus qu’un guide; c’était un journal de bord, un compagnon qui avait vu les mêmes paysages que moi, subi les mêmes intempéries.

Ces livres, dans leur forme la plus brute, sont des extensions de mes expériences. Ils ne sont pas simplement des conteneurs de texte, mais des objets imbriqués dans le tissu de ma vie, chacun portant les empreintes des lieux et des moments qu’ils ont partagés avec moi. En revisitant ces artefacts, je ne revis pas seulement des textes, mais des fragments de temps, des atmosphères, des parfums et des textures, tout ce qui constitue le fond sur lequel les mots prennent sens.

Il reste encore un carton, ce sont les livres que l’on m’a offerts, des cadeaux que bien souvent j’ai dédaignés parce que je jugeai alors qu’il étaient mal adressés. Peut-être est-il temps de leur trouver une place et d’en ouvrir quelques uns maintenant que le souvenir semble s’en être détaché.

A propos de Patrick B.

https://ledibbouk.net ( en chantier perpétuel)

2 commentaires à propos de “#nouvelles | Patrick B., chantier, pêle-mêle, amasser.”

  1. Un vif plaisir à te relire et à m’immerger dans ta bibliothèque d’âme errante plus ou moins ancrée dans le présent. Ce que tu décris me plait infiniment. Les livres nous ramènent sérieusement à nos désirs et à nos renoncements. Tu fais ici une sorte d’inventaire pop-up d’où l’on pourrait tirer à la fois tes propres fils de lecture ( fil à coudre et à découdre bien évidemment) et ceux des autres lecteurs ou lectrices aux prises avec leurs accumulations de savoirs ( savoir faire, savoir être, savoir devenir…) . Tu démasques toutes les vanités et les leurres du dispositif d’appropriation des mots écrits. Tes références à la bibliotthèque cosmique (akashique) et presque comique et au dibbouk puise pourtant loin dans le conditionnement culturel que nous partageons avec toutes les complications qu’on sait. Ce que tu dis s’écrit aussi et laisse une trace qui mène à d’autres traces, à d’autres pas vers les biblliothèques fantasmées … idéales…

  2. très beaux textes, que je n’ai pas fini de lire et relire.
    l’horreur qui se profile de l’ordre et le secret qui remonte. l’humour qui racommode… l’humour et le courage et le temps et les récits (si bien dits de ce qui veut dire et de ce qui ne veut pas)…

    un texte est écrit 2 x
    c. est peut-être voulu
    « La bibliothèque nous cerne presque entièrement, trois murs sur quatre couverts de livres. C’est une bibliothèque France Loisirs, il y a une partie basse avec des panneaux que l’on peut ouvrir ou fermer pour ranger les papiers de la maison. Sa couleur est rouge acajou,mais je ne pense pas que ce soit réellement de l’acajou qui est un bois précieux. Trop cher pour le jeune couple. Le facteur passe deux fois par mois pour apporter des colis de livres reliés ; couvertures rigides, lettres gravées sur un genre de simili-cuir. »