#nouvelles | Laurent Peyronnet.

#01La bibliothèque comme objet d’archéologie personnelle.


D’abord il y a le temps sans bibliothèque car, bien sur, elle n’apparaît pas tout de suite. Ne serait ce que parce qu’il faut pour cela plusieurs livres et la volonté de les ranger, classer, organiser. Ce n’est pas ce qui vient en premier. Ce qui vient en premier, c’est le désordre. Désordre en soi, que n’organise pas la lecture mais qu’elle apaise. C’est d’abords cette découverte : Le livre, ce livre les livres apaisent le désordre à l’intérieur de soi, séparent et organisent le chaos. C’est bien d’abord de cela qu’on est occupé. Chaque livre, une fois lu, trouve la place qu’il peut dans l’espace autour. Sur et sous la table, sur et sous le lit, au sol, sur le rebord de l’unique fenêtre de l’unique pièce qui constitue notre logement. Ils grignotent peu à peu l’espace à mesure qu’ils se font de la place en nous. Ce qu’ils amènent, on souhaite le protéger. Vient le besoin de les rassembler, de les réunir. Deux briques, deux planches, une dessous, une dessus et les livres entre les briques, ensembles, les uns aux autres collés, épaules contre épaules, un peu solennels, pour vous soutenir, pour vous protéger aussi, pour prier peut être, même si on ne sait pas quoi. Il y a là quelque chose qui, sans qu’on se le formule, est en train de faire famille. C’est là la genèse. Les jours, les semaines, les mois passent, les planches et les briques se multiplient à mesure que les livres transforment le paradigme de notre chemin de vie, à mesure que l’on existe moins dehors et plus dedans. Et puis un jour une bibliothèque est là. Les livres ont fait corps. On découvre qu’ils racontent une histoire, toute neuve, la notre. Elle occupe un mur du sol au plafond d’abord sur une faible largeur puis va en s’étalant. Le mur nu et brutal contre lequel on se heurtait avant est devenu une porte qu’on va désormais transporter avec soi au fil des déménagements. La bibliothèque est devenue notre « porte dans le mur», elle ne nous quittera plus. Au fil du temps, de nos déplacements, d’une vie qui change souvent de direction naissent et se développent d’autres bibliothèques. La première, celle qui naquit dans la chambre de bonne tient aujourd’hui tout un mur du salon de notre grande maison, elle témoigne de ma vie de dix huit à trente ans. Ce sont nos enfants qui souhaitent qu’elle se tienne à cet endroit. Dans d’autres pièces sont réparties d’autres bibliothèques : de guidage, où sont rassemblés les ouvrages sur les cultures du grand nord et mes voyages; de santé qui contient des armes de lutte contre la mort; celle des écrits en cours, qui se remodèle à chaque nouveau projet d’écriture; celle de notre atelier commun avec François, chère lecteurice qui parcourez ce texte en ce moment précis. Et dans un petit coin de l’une de celles qui se trouvent dans mon bureau, mes propres livres dont le seul roman que j’ai écris, qui se situe dans une bibliothèque. Ainsi, la bibliothèque et ses pluriels, constitue-t- elle le socle géologique dans lequel à tout moment, je puis lire le cours de ma vie.

A propos de Laurent Peyronnet

Depuis une vingtaine d’années, je partage mon temps entre le nord de la Scandinavie et la région lyonnaise où je réside. Je passe environ cinq mois sur douze sur les routes de Laponie ou j’exerce le métier de guide touristique et le reste du temps, j’essaye d’écrire. J’ai publié trois romans jeunesse, quelques nouvelles et contes. Je fais aussi un peu de musique et de dessin. Je n’ai pas de site internet mais vous trouverez l’actualité de mes romans jeunesse sur la page Facebook : "Magnus saga" J'anime également de façon intermittente la chaine Youtube « Quelque chose à vous lire » ; vous y trouverez actuellement une soixantaine de lectures vidéos dont : Raymond Carver ; Bob Dylan ; Joyce Carol Oates ; Selma Lagerlöf... et plus modestement, quelques uns de mes textes.

2 commentaires à propos de “#nouvelles | Laurent Peyronnet.”

  1. Vraiment beau ! Merci Laurent. « Ce qui vient en premier ce n’est pas classer. C’est le désordre » je trouve cela très juste ! Et comme progressivement se dessine la bibliothèque jusqu’à y voir , pluriel, « le cours d’une vie ».

  2. le titre déjà, tout un monde…
    et puis bien vu la bibliothèque qui prend corps peu à peu, qui devient un corps en propre « pour y lire le cours de la vie »
    (merci Laurent)