Surpris
surpris par le jour se lever se laver se vêtir – surpris surpris par la température – par la lumière par la pluie – surpris par l’envie de ne rien faire ou de ne pas lire, de ne pas écrire
et puis (ce sera sans lien) (ceux qui nous servent à nous égarer et aller voir ailleurs autrement)
le geste d’écrire se prend peut-être dans le cahier rouge et noir acheté chez le pier import de la rue de Rivoli où revenant de l’armée (fin 77) se décida (sans trop savoir pourquoi comment et avec qui) d’entreprendre autre chose que ces études de maths qui gavaient considérablement – philo peut-être ? autre chose – la philo était enseignée à Tolbiac, j’y fus – un examen en entrée directe en licence de cinéma était proposé, je l’ai passé, j’avais sur ce cahier noir et rouge retranscrit ce qui me passait par la tête et dans ses marges les titres des films que je voyais en compagnie de mon amoureuse (je ne vais que jamais au cinéma seul) et j’écrivais, me disant qu’un jour sûrement je reprendrai ces notes pour en faire quelque chose – je l’ai déménagé, il était dans la bibliothèque derrière le bureau
en regardant l’image ce cahier à la couverture rigide cartonnée, n’y figure pas, le dos en était noir, ou rouge, les première et quatrième cartonnées rigides rouge bordées de noir, des lignes seulement horizontales d’un vague bleu des feuilles d’un vague jaune – entièrement remplies
l’important est ce qu’on écrit
le geste d’écrire change avec la machine à écrire bleue (j’en avais l’image), un cadeau d’elle qui ne s’en servait plus – elle avait alors retranscrit à la machine, celle-là même, le mémoire de maîtrise qui prenait pour héros Sam Fuller, lequel l’ayant lu dira « ça flatte mon ego ! » en riant – il (comme moi) aimait rire
il ne s’agit pas du sujet mais de la raison qui pousse à
apprendre à trouver l’emplacement des touches, des tirets des parenthèses, la formation place du Commerce (Paris quinze, pas Lisbonne) sténo-dactylo on était vingt-cinq, j’étais le seul type – j’ai lâché assez vite peut-être pour ça – depuis deux majeurs, deux pouces suffisent sans doute amplement (Török nous disait (à nous étudiant.es de cinéma) d’écrire à la machine pas à la main, ça prenait trop de temps et les idées venaient à mesure qu’on tapait et la pensée allait au même rythme que lorsqu’on tape et que ça vaut mieux pour partager et d’autres avantages qui nous paraissaient complètement fantaisistes) (80) (absurdes) (spécieux) à un moment on ne cherche plus les touches elles tombent ou viennent sous le sens et on avance comme on peut ce qu’on pense – on avance comme on peut ce qu’on pense – on s’arrête pour chercher une image qu’on ne retrouve plus mais qu’on voudrait poser pour donner plus de pertinence au propos on cherche encore, elle est là – tout dépend de ce qu’on cherche à retrouver, de la façon dont on imagine que le propos sera expliqué exprimera explicitera selon une certaine discipline comme le support – il n’en est pas ici, de propos
à un moment je me suis dit j’enlève les marques (puis je les ai posées laissées en italiques)
le même geste avec la grosse Underwood achetée au marché d’Aligre que j’ai entreposée avec les disques noires dans le garage et qui a été volée comme eux * – lesquels avaient été achetés au rez-de-chaussée (niveau zéro) de Jussieu, tombés du camion certainement, lorsque devant ce bazar s’en montait un autre à base de bijoux turquoises d’écharpes de soie (si je porte à mon cou en souvenir de toi…) de patchouli de merguez et d’autres choses encore de ce temps-là (premiers romans tous refusés, premières nouvelles publiées prix et autres accessoires)
encore avec l’Olivetti à boule et écran d’une ligne de 30 caractères achetée (neuve) place Vendôme – un marchand connue de ma mère à nouveau (elle travaillait sténo-dactylo-facturière sous les combles de la société), on y mettait une disquette pour sauvegarder les choses importantes non encore imprimées, elle se trouve peut-être encore dans le garage grenier qu’il faut que j’aille ranger – un sauvage a saccagé l’endroit durant le premier confinement de 20 – mais c’est tout ce qu’il peut bien rester des choses de ce passage sur cette planète tout le reste est parti sinon en fumée du moins dans des gros sacs d’ordures (une tonne ou un mètre-cube l’un) (il y en avait huit ce jour-là) le tout calciné recouvert d’une couche épaisse de suie
il reste une image du couloir et des bibliothèques
le duodock sur lequel ne fonctionnait pas le logiciel de traitement des données (je l’ai beaucoup aimé celui-là encore que, l’amour des objets, il arrive que j’en ressente la complète futilité)
l’imac de la même carence – il reste une image du bureau
les pc le petit rouge qui reste derrière la porte du couloir mais qui ne fonctionne plus
le noir dont la barre d’espace ne fonctionne que mal mais qui permet d’obtenir des tirets – d’une bonne longueur – sans trop de difficultés – les carnets multiples qui servent à retranscrire les paroles les mots qui parlent d’eux-mêmes que je n’arrive plus à lire – j’ai cherché longuement le menu de ce repas qu’on prît, un soir de 17, avec T. et M.- il y avait là un peu tout le monde, un des plus beaux repas de ma vie je suppose (c’était à Nea Lampsakos) (je ne suppose pas : un des) – je me souviens, des fruits de mer des olives de l’ouzo
ces jours-ci la pièce est constituée de deux groupes de tables et de chaises, trois par rangées, une vingtaine de rangées, séparées d’une allée, sur ces chaises les étudiant.es sont (ou presque tou.te.s) muni.es d’un ordinateur – iels consultent leurs mails leurs murs leurs groupes répondent cherchent regardent tentent de contredire – on s’en fout – papier crayon – il y a eu pour le travail dès 90 un ordinateur portable au maniement parfaitement abscons – les lettres en étaient oranges et le fond noir – on avait à écrire en dos (disk operating system : disque contenant le système d’exploitation – tout est dit) – on avait à rédiger une espèce de code – on était assis et on posait des questions
et ici le bureau
* : cette machine-là disposait d’un ruban bicolore (rouge et noir, comme dit la chanson) (Jeanne Mas mais c’est sans lien ici) (« je vivrais ma peine » disait-elle quand même) dont l’encre s’évaporait assez vite – on en remettait (de la noire seulement – le rouge ne s’utilisait que peu) à l’aide d’un petit pinceau – peu importe – mais cependant cette façon de faire (modus operandi) : les lettres anonymes (et non signées, fatalement) reçues par ce type (une trentaine quand même, conservées à l’Imec) étaient d’abord frappées sous un ruban non encré puis ensuite réinscrites sur le papier avec une plume à encre (le type : 2J2S – les lettres anonymes reçues après sa rupture (qui ne rompait en rien leurs relations professionnelles, semble-t-il) d’avec Françoise Giroud) (début 60 du siècle dernier) – cette façon de faire – on n’a jamais réussi à identifier le corbeau
l’image d’entrée me plaît simplement – aucun rapport avec le reste et après ?
quel cadeau ! merci
(et je voulais parler du ruban rouge et noir, l’ai oublié, tant pis, je le salue en passant comme un ami à ma mesure venu là après tout ce qui se presse, coule, éveille l »intérêt du lecteur)
merci à vous Brigitte
toujours cette foison d’images et d’événements, une vraie jungle, de quoi s’enfouir se perdre se blottir attendre que ça décante entre carnet retrouvé, couloirs et bibliothèques d’Université, regrets, séances de cinéma
ta foison de mots, de pensées sans doute aussi alors
toi caché dedans…
un peu caché (mais tout est vrai, comme tu sais) -merci à toi Françoise
Complètement mystérieux cette histoire de corbeau post Françoise Giroud (mais, bon, un peu une fixette aussi, cette animal…). Sinon, (je ne vais que jamais au cinéma seul), dans l’ordre ou sans le « que », ça ferait un bon titre de ton livre sur Piero au cinoche.
pour les lettres, « anonymes »donc, il semblerait que la thèse de l’auteure de la bio (Laure Adler) soit de pencher vers cette Françoise-là… sans doute avait-elle un caractère vraiment tourmenté (son histoire d’amour avec le 2j2s avait quelque chose de tragique…). Merci à toi
l’image d’entrée me plaît simplement – aucun rapport avec le reste et après ?
C’est exactement pour cette image que je me suis arrêtée sur ton texte que je t’avoue avoir à peine lu je mais je te suis reconnaissante de l’avoir postée, la photo, ils sont si beaux et me donne envie de te l’écrire. Bien à toi.
(on ne va pas se demander ce qui les fait rire de la sorte – les cigares,les coupes de champagne, enfin…) (bon, j’ai bien fait de poser cette image là, donc…) Merci à toi Clarence
Quel voyage! J’adore le passage Jussieu avec les tombés du camion et les merguez au patchouli . ( j’aime beaucoup Sean aussi il doit bien y avoir un rapport ). Être le seul garçon c’était vraiment si déplaisant? Longtemps restée seule « genre » dans les ateliers de décors ( et pas de vestiaire) c’était parfois un peu lourd mais matière à écrire …
(il était bien aussi dans « Le nom de la rose ») en vrai j’ai du suivre trois ou quatre cours de sténo-dactylo – mais ça m’a fait braire (j’agonis les contraintes) (surtout quand elles sont cons ce qui est une de leurs caractéristiques) – et oui c’était vraiment lourd (on ne mettait pas de blouse grise, remarque) – mais non, comme disait la môme « je ne regrette rien »… Merci à toi