Images floues de ma mère arrivée à la caisse avec tous ces marmots collés à ses basques ouvrant son portefeuille et ne retrouvant plus les billets que je lui avais dans la semaine, volés. Images floues de ses mains qui triturent l’intérieur du petit porte monnaie en cuir tandis que sur son visage passent stupeur, colère et tristesse. Son regard errant au dessus de nos têtes ne sachant pas lequel de nous, il fallait disputer. Images floues de ma mère s’excusant auprès de la caissière de n’avoir pas assez pour finir de payer et qui, honteuse, doit remettre quelques articles sur le côté pour pouvoir repartir. Images floues d’elle, pleurant sur le chemin du retour en poussant le caddie et de moi, la trouvant ridicule.
Images précises de moi maman ayant rempli un caddie pour mes petits, me rendant compte, au moment de payer, que j’avais tout oublié, carte bleue, chèque, espèces dans mon appartement. Tout ce qui pouvait m’aider à sortir de ce supermarché était resté cadenassé. Images précises de la caissière me demandant de trouver une solution car il y avait beaucoup de monde qui attendait, Carrefour, un samedi, c’est rempli et que je lui demandais, gentiment, si je pouvais laisser mon caddie et retourner chez moi aller chercher mon argent et que, tout aussi gentiment, elle avait refusé. Images précises de moi, me rapprochant d’elle, pour que personne ne puisse entendre, la quémander, en lui promettant que j’allais vite revenir donner mon dû, mais déjà, ses mains avaient pris le téléphone caché derrière la caisse pour appeler le gars de la sécurité, et qu’en moi, l’idée de l’insulter commençait à monter. Images précises de moi prenant mes enfants dans les bras, par la main, sous les regards des autres qui se seraient bien gardés d’intervenir et de me retrouver dans la voiture, des années après, moi aussi, à pleurer.
Images d’une longue file de voitures dans un coin paumé, qui avance, petit à petit, à la caisse d’un péage, au milieu de nulle part et de me demander pourquoi cela n’avançait pas alors que l’on sait qu’aujourd’hui avec les T oranges, les pass, les cartes, les Bip, on pouvait tout griller, péage, barrière, sorties de parkings, juste en exhibant son code secret. Image de cette longue file dans ce désert territorial mais dont le mystère s’est résolu lorsqu’arrivée, non loin des caisses, j’ai vu, les mains sortir des fenêtres des voitures et faire tomber les pièces, une par une, dans la grande corbeille aux espèces. Et pas dans une voiture mais deux, trois, quatre et de deviner les gestes pour compter les pièces dans le porte-monnaie, les extraire et les mettre lentement, sans se tromper, pour ne pas rester coincé derrière la barrière automatique qui ne se relèverait pas.
Images de mon père dans un petit Intermarché de campagne sortant lentement ses affaires pour les poser sur le tapis roulant et de la caissière encore plus lente les passant devant le bip tout en commençant à discuter du temps et du café qui venait d’ouvrir. Images pensant que tout cela était bien trop lent ou que j’étais trop agitée.
Formidable ! chaque bloc tellement vivant/vu, et circulation entre eux: anastomose (je viens de découvrir le mot)
Merci Nathalie, anastomose !
Chaque paragraphe si révélateur et comme ils se répondent les uns les autres. L’universalité de ce qui est si bien raconté et la spécificité que tu donnes en l’écrivant. Merci, Clarence.
Merci chère Anne, j’espère que tu vas bien ? Plaisir de revenir parmi vous et de te lire.
c’est fou comme c’est flou et très clair à la fois
Merci Christine pour ta lecture, à vite.
Oui, cette construction par bloc d’images, de temps et d’espace différents, tout en restant fluide.
Merci Stéphanie, au plaisir de découvrir votre écriture.
quatre situations, quatre scènes dont je retiens les larmes…
oui, belle construction, chaque paragraphe avec son personnage et sa difficulté…
(merci Clarence)
Merci Françoise, à bientôt.
chaque scène d’une précision extrême comme ce compte des pièces pour ne pas rester coincé derrière la barrière. merci
Merci Françoise, c’est drôle comment des textes jaillissent de soi presque sans le vouloir ! bonne soirée.
Réussi ce fil qui circule dans ces textes, rien nest étranger à l’autre
Merci Huguette pour votre lecture.
la deux et l’attitude des autres dans la file (idées de meurtre, me souviens de m’être insurgée contre une phrase entendue et de la belle pagaille fangeuse que ça avait été)
oh la cruauté de la première (bon de toutes en fait)
et la merveille de la dernière (sauf le regard de l’enfant – pas honte ?)
Merci Brigitte, bon dimanche