— Et la brosse à dents électrique, vous en pensez quoi ?
— Vous avez une tendinite au poignet ? Au coude ?
— Mmmh… non.
— Eh ben alors ?
— D’accord, je voulais juste savoir…
— Voilà, vous savez.
Elle appuie sur ma lèvre inférieure pour ouvrir ma bouche et me faire taire. Plus grand. Tournez la tête de mon côté. L’assistante enfonce l’aspirateur à salive et le détartrage commence à coups de burin et de polissoir. Ça frotte, ça grince, ça dérape sur la gencive. Goût du sang sur la langue. Sursaut. J’ouvre les yeux. La dentiste ne s’arrête pas : récession gingivale, commente-t-elle simplement, comme un agent de police relève une infraction. Elle crochète de son index ma joue pour l’étirer et pouvoir ainsi accéder plus facilement à mes molaires. Je me pince la peau du ventre pour déplacer le centre de la douleur. J’essaie de penser à une forêt au printemps. Lorsque la dentiste a terminé, elle enlève ses gants, et quitte la salle de soins sans rien dire. L’assistante me tend un verre d’eau et une serviette, pour nettoyer le chantier. Je rejoins la dentiste dans son bureau. Elle tape sur le clavier de son ordinateur et sans quitter son écran des yeux me demande : Vous vous brossez les dents comment ?
— Euh, en faisant des petits mouvements circulaires.
— C’est ça, je m’en doutais. Vous appartenez à cette génération à qui on a râbaché qu’il fallait faire des petits ronds sur quenotes pour éviter les méchantes caries. Elle a prononcé la fin de sa phrase comme on imite avec mépris une mère gâteuse. On vous a donné du fluor aussi je suis sûre ? Et on vous a dit de boire du lait deux fois par jour ?
— Oui, c’est vrai. C’est mauvais ?
— C’est pas le problème. Vous avez massacré vos gencives à force de tourner, tourner, tourner. Ça au moins, on peut pas vous reprocher de ne pas y mettre du coeur quand vous frottez… Vous êtes gauchère je suis sûre ?
Je n’ai pas le temps de répondre.
— Vous vous faites vraiment plaisir sur la gencive supérieure gauche. Vous devez y passez un moment, tiens… Et vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi vous aviez eu autant de caries alors que vous vous brossiez les dents trois fois par jour ?
— Euh, si, mais je pensais que c’était à cause de mes grossesses.
— Ah ! Les grossesses ! Et pourquoi pas à cause de la pleine lune ? Ou peut-être que vous avez croisé trop de chats noirs, non ? Ah !
Elle ouvre le tiroir de son bureau et en sort une brosse à dents.
— Poil souple.
— Ah, je croyais qu’il fallait utiliser des brosses medium.
— Souples.
Elle attrape un dentier en plâtre qui sert aussi de presse-papier et commence à brosser les dents de la mâchoire supérieure, du haut de la gencive vers l’extrémité de la dent.
— On masse la gencive et on fait glisser les impuretés. Avec vos cercles, vous faites remontez les saloperies sous la gencive et vous dénudez les collets. C’est comme ça qu’on se retrouve avec une greffe de gencive à 40 ans. Je vous ai fait un devis. Je l’imprime. Je vous laisse le temps de réfléchir, mais plus vous attendrez, plus ce sera cher et douloureux.
(vous n’avez pas eu droit aux remontrances vis à vis du précédent (de la précédente) opérateur (trice)) (on vous a épargné le plain du fil à dents) (il y a comme ça quelques corporations…) (bon, après c’est aussi les turpitudes infligées par le temps – j’entends bien – eux aussi, tiens-enfin elles – les oreilles) (une bonne mutuelle, j’espère…) (pfff)(courage!)
Alors si, en effet, j’ai eu le démontage en règle (en mots et en actes) de ce qu’avaient fait les prédécesseurs! Ensuite, fil à dents ou brossette… Le débat est toujours aussi vif! J’en profite, même si ce n’est peut-être pas le bon endroit pour le faire, pour vous dire que j’ai beaucoup aimé votre texte sur la cure thermale avec la tante. Quel bel usage des tirets et des parenthèses, dans lesquels se glisse une distance à la fois touchante et facétieuse.
Merci (et content que ça vous ait plu…)
Il fallait oser ! C’est très réussi, bravo !
Merci !
incroyable! Merveilleusement mis en mots, ses gestes, sa cruauté,sa supériorité ( je la reconnais, elle est terrible, il y a un mois j’étais chez elle bouche ouverte )
Ah! Ah! Au plaisir de vous croiser dans la salle d’attente une prochaine fois! En attendant, je vais aller vous lire sur Tiers Livre. Bonne journée
sans doute efficace mais… un conseil : chercher aussi bonne praticienne en plus gentiment abord
(j’adore le ventre pincé pour couvrir la douleur dans la bouche)