L’un des premiers lieux à pédaler, avec la stabilité du tricycle mais la difficulté des virages serrés. Il y avait une petite remorque. Un peu de sable dedans rajoutait à la difficulté : ne pas en perdre au tournant ! Alors, quand on ne fait que ça autour du gros tronc d’un acacia -on les appelait comme ça à l’époque, ces arbres, avant de pouvoir faire le malin et de dire « robinier »… Premier entraînement au maintien d’une allure malgré un possible déséquilibre. Le truc à l’époque, c’était de regarder vers le haut de l’acacia, la diversité des feuilles rendant le mouvement insensible. A condition de ne pas laisser glisser les courtes semelles des nu-pied hors de l’appui de la pédale, gare alors au choc en retour sur le mollet tendre. Or, la ramure me distrayait de toute préoccupation potentiellement inhibante, comme je voulais en voir toujours plus, mon cou était tendu vers l’avant mais la forme des arbres taillés en grossière boule obligeait malgré tout à tourner insensiblement, toujours dans le sens inverse des aiguilles de la montre -oh ! Tu es sûr de ça ?…
Au passage vers le véritable deux-roues, il y eut encore une cour, celle de l’échappement des rats par les bouches d’égout, premiers compagnons d’échappée. Mais il y avait aussi le passage vers le terrain de sport et le petit dénivelé de quelques mètres, occasion de la petite frayeur de descente dans un sens mais obligation de la montée dans l’autre. Découverte des avantages de l’élan ! Et entraînement au fondu enchaîné entre le moment déjà proche du haut de pente mais où l’on profite encore de l’élan et les tous derniers décimètres où il faut, pour atteindre le sommet, que ça pousse d’un coup à gauche, d’un coup à droite et on se lève sur les pédales pour ça et -ah, ce plaisir d’y arriver, ça ne s’oublie pas… on savoure, quand on n’a pas eu besoin de mette pied à terre. La danseuse s’est inventée pour moi entre deux passages de rats. Nécessaires sans doute au maintien de la cadence. Et de la pression du pied sur la pédale aussi. Là, le risque du glissement de semelle entraînait celui du coup de potence à l’estomac, du coup de genou à la pédale et ensuite, possiblement la chute sur des gravillons perfides -tu crois vraiment que le risque de moquerie des rats a joué un rôle ?
Mais pour le col de la Core -j’habite sur ses pentes vingt-cinq ans plus tard, ça c’est un souvenir sûr, la danseuse ne peut servir qu’à des moments de reprise de pente particulièrement vive. Elle est presque sans danger, je vais si peu vite pour pouvoir tenir jusqu’au bout. Pour rester en bonne cadence, dans les lacets du Balam, ce qui marche, c’est le déhanché mesuré et, pour l’accompagner, il faut trouver bonne musique, bon tempo à se mettre en tête et le tenir tout au long de la montée, quitte à laisser tomber syllabes de chanson, notes de rengaine, jusqu’à ce qu’apparaisse les crêtes vers Massat, les nuages de l’autre côté qui disent toute la lumière du versant Languedoc, la permission aussi d’enfin mettre un peu pied à terre…