Un rapide coup d’œil à la Centauresse et Faune, basculer dans la course, deux tours au parc de la Tête d’Or, entraînement hebdo, bi hebdo si pas de déplacement professionnel. Partir en sens trigonométrique, comme les autres, le sentier sablé, un plaisir pour les genoux, file indienne étirée, on s’observe, pas de compétition… voire. Les purs, les durs, bouffeurs de kilomètres, tournent en sens inverse, sur la partie bitumée, en groupe, paquet d’une dizaine, rictus aux visages ; l’un se détache parfois pour un sprint, vite rejoint par les autres, rires forcés, n’apprécient guère la facétie ; les reconnaît, un petit noiraud, ressemble à Mimoun, un grand hâlé, tanné surnommé « le Brésilien », échange de sourires, encouragements des poings en aller-retour horizontaux à hauteur de poitrine ; combien de tours pour eux, adeptes du « fractionné », une voix dans le groupe, commandements brefs « on ralentit / petite foulée / on accélère ». A mi chemin de la boucle, une côte brève, pas plus de deux-cents mètres, il la connaît, se prépare, se rappelle les conseils de Michel J. entendus à la radio : « en montée, projeter les bras plus haut, en avant, petites foulées rapides, resserrées », les jambes obéissent sans protester, les bras, plus difficile, gestes pas naturels, forcer, douleurs dans les omoplates, hâte de retrouver le plat, de redescendre les mains fatiguées d’aller décrocher… quoi ? Dans la file qui s’étire, les positions changent, la montée donne des ailes, fin prochaine de la première boucle, ne pas sprinter, économiser, pour le tour suivant, il se fera plaisir en remontant la file à son rythme avant de donner le maximum, au risque de l’asphyxie.
On n’apprend pas à courir, on apprend à souffrir.
C’est dans la montée vers le col de L. qu’il prend conscience de ses limites. Ils sont cinq, dont trois inconnus. Ils se sont rencontrés lors d’un entraînement au domaine voisin, invitation lancée pour samedi prochain, un rien de défi… Il est le plus âgé, le parcours inconnu, le dénivelé, ils sont partis trop vite, d’emblée, une côte raide lui scie les jambes, l’air vif commence à brûler ses poumons, pourtant il mène, il mène longtemps, aussi longtemps que les cuisses acceptent. Derrière, ça suit, mais JL est en dernière position, le sentier étroit ne permet pas d’aller ensemble. Tout d’un coup, il s’est écarté, une seconde avant, il était en train de se demander – je continue ?- il n’a rien décidé, la tête n’est plus aux commandes, c’est le corps, son entité complète, muscles, articulations, souffle, qui a cédé. Déjà les quatre autres sont passés, ont pris dix mètres, l’écart semble en train de se creuser. Maintenant, tenir, ne pas laisser les copains s’en aller, on n’est sans doute qu’au tiers du parcours, faire confiance à l’entraînement, à l’endurance… Les cuisses acceptent, les poumons s’apaisent, l’écart se maintient, JL est passé devant, ralentit la cadence ; dans un faux plat, gratter quelques mètres ; si ce répit dure assez longtemps, il est sûr de recoller au train. La tête reprend les commandes, les bras le tirent vers l’avant, la foulée s’allonge sans douleur, le groupe perd deux participants qui optent pour la marche rapide, il les dépasse et se retrouve en troisième position.
A l’arrivée, discussion, commentaires devant la soupe aux choux offerte par le club local. C’est JL qui lance : « je crois qu’on n’apprend pas à courir, à souffrir, seulement ! » Je me dis que j’ai déjà entendu ça quelque part.