Je n’ai pas souvent été malade. Je jouis d’une bonne santé comme on dit. Pourtant j’aime ces jours où ce que j’appelle grippe, angine, gros rhume me cloue au lit juste assez malade pour me prescrire le repos absolu et me laisser assez de santé pour lire tout mon saoul. Le repos s’impose, nécessité, excuse, répit pour ne rien faire, jouir de la fièvre et lire jusqu’à plus soif en entendant un peu loin les bruits du monde, de la maison qui vit sans moi. Il y a du retour à l’enfance là dedans, de l’absolution de toute culpabilité, de la légèreté. Enfant, il y avait un tribut à payer : ventouses, cataplasmes, badigeons, eucalyptus en inhalation, suppositoires. Échapper à l’école se payait. Aujourd’hui, il n’y en a plus, ces médications bizarres ont disparu. Disparus aussi les deux remèdes souverains que j’avais gardés de l’enfance qui ne sont plus en vente libre. Je confie mon mal au doliprane et au repos forcé.
J’en parle avec légèreté parce que je mens. Chaque fois que je suis malade, je suis sûre de mourir, et que mon corps atteint, l’intégrité de mes capacités physiques touchée, c’est le rappel de la mort devant laquelle je suis sans aucun courage. Il y aura une fin, non seulement de la santé, de la pleine efficacité des membres, des viscères, des organes, du cerveau et tout s’arrêtera. Tout s’arrête déjà. Je ne peux plus me lever. Mes proches en rient, à chaque fois c’est la même chose. Moi-même, je sais bien que j’exagère un peu, j’en réchapperai cette fois encore, mais il y aura une fin. On a beau se bercer d’illusions, de vision de centenaires en pleine forme et pleine conscience, il y aura une fin. Il ne sera plus question de lire au lit, ni même de penser,ni de sentir, ni de voir ni d’entendre les bruits assourdis au loin de la vie des autres qui continue. Plus de fièvre, ni de frissons, ni de courbatures. Quand ça s’arrêtera.
J’y pense et puis j’oublie. Je ne suis pas d’un naturel pessimiste, ni particulièrement optimiste.
J’aime beaucoup le retournement, le doux repli déculpabilisé qui croise la mort… ces balancements entre repos cocon et mesure du temps compté
bien rendue notre ambivalence devant la maladie
Merci Brigitte