Le buffet trônait imposant dans la salle à manger du même style, un peu lourd, d’un bois sombre, avec des pieds et piliers plus particulièrement travaillés. Plus tard, il m’évoquera l’Espagne entre Zurbaran et Velazquez, l’âge d’or, entre rigueur, austérité et flamboyance. Dans le champ de l’enfance, il m’impressionne.
Il se composait de quatre étages, plutôt quatre niveaux avec chacun son registre, d’objets, la vaisselle. Chaque dimanche, j’avais affaire au buffet. Nous recevions ma grand mère à déjeuner, souvent d’autres personnes. Ma mère faisait la cuisine. Il me revenait de mettre la table. Et c’est là la principale affaire entre le buffet et moi.
Pendant longtemps seules les parties basse, à hauteur d’enfant m’intéressaient. Au premier niveau, les assiettes, les assiettes d’apparat, les assiettes du dimanche, blanches avec un liséré or. Il y en avait pour l’entrée, le plat puis le dessert, éventuellement le potage. Selon le menu, je me servais, les disposais. Mais à côté des assiettes, le buffet était large et profond, se trouvaient les boites de biscuits réservées aux « invités ». Hors des invités de seize heures, il n’y en avait pas. Aussi, mon frère et moi menions séparément et sans concertation, des opérations de pillage. Notre seul souci, laisser l’emballage le plus intègre possible. Par scrupules, nous laissions quelques gâteaux aussi. Nos seuls soucis, ne pas se faire prendre, sauver les apparences et bien refermer la porte du buffet. Il s’agissait choisir son moment.
Poursuivant ma tâche dominicale, je remontais d’un étage où l’on trouvait deux tiroirs contenant chacun un coffret complet d’argenterie. Des cadeaux de mariage logeant dans de grandes boîtes de joaillier. Je prenais toujours le même, mais détestais manger avec ces couverts qui laissait dans la bouche un goût de métal persistant. Venait ensuite la partie médiane, à claire voie où étaient disposés différents objets en étain dont ma mère s’était entichée. Enfin venait le quatrième et dernier niveau du meuble, longtemps inaccessible parce qu’hors de portée. Les portes s’ouvraient alors sur un miroitement de cristal, verres à vin, verres à eau, flûtes. L’étage du fragile ouvrait sur l’âge adulte, sur d’autres usages dont celui du vin et, du haut de mes huit ou dix ans, mes responsabilités ménagères s’arrêtaient là.