Un dimanche peut-être, le chemin est toujours le même, l’enfant monte dans l’automobile, la Fiat bleu marine le modèle poche, et ils vont au marché, prendre de la viande de cheval, la moins chère, mais aujourd’hui, on va en ville sans faire le marché. Elle a mis son tailleur bleu et remonté ses cheveux en un grand chignon, ses cheveux commence déjà à grisonner. Elle a toujours été coiffée comme ça, elle met un peigne de temps en temps et l’enfant s’amuse à chercher dans ses cheveux les épingles ou le peigne. Ses couleurs de vêtements : toujours pastels : du bleu, des chinés, où va-elle s’habiller ? Ses tailleurs élégants… elle qui ne sort presque pas en ville le soir, qui ne reçoit que ses enfants…les femmes de ses enfants… Une après-midi, peut-être grise, en hiver, elle dit : nous allons chez Matou. C’est une phrase sans équivoque, la décision auguste et sans appel, on va chez Matou un point c’est tout. Il a fallu s’habiller la regarder, essayer d’être… Comme elle…on est parti. On traverse la foret par l’unique route. Qui est Matou, sans doute, l’enfant brûle de le savoir. Quel est ce mystère…que cette dame est mystérieuse. L’enfant ne sais pas de quelle visite il s’agit. Une visite en ville, c’est surement important, on y va pourquoi, pour régler une affaire en cours, échanger des recettes de tricots ? Matou est-elle une amie d’enfance ?On roule, on arrive en ville, elle se gare : comme ça semble facile, les sièges en cuir crème colle un peu. Matou ouvre, dedans il fait sombre, très sombre, Matou n’a pas allumé les lumières, étrange, se dit l’enfant, elle ne nous attendait pas, peut-être, mais elle ne semble pas surprise, elle nous fait entrer. Par le vestibule, alors devant les yeux de l’enfant, une marée bleue s’étend : tout est bleu dans le salon, comme le salon bleu interdit de la maison. Il y a la maison un salon bleu interdit, prévu pour les grandes occasions, les réunions familiales, il y a des colonnes, une baie vitrée.
L’enfant avance dans cette atmosphère bleutée, elle ne voit aucun détail d’abord, c’est un sfumato, en se rapprochant elle croit rêver, la vielle dame, s’assoit et s’approchant, l’enfant réalise que la très vielle dame ridée est entourée de jouets. En face sur tous les murs de la pièce sur des étagères, des jouets, des peluches, des marionnettes, des arlequins, des poupées de toutes tailles, certaines vêtues à la mode, d’autres, revêtues de costumes d’apparat. Sur le moment, l’enfant accepte, elle ne cherche pas à demander à jouer avec les poupées, Matou se tait. Pourquoi ce sentiment de mystère, ? Les objets sont devenus chacun un espace, ces espaces s’emboitent les uns dans les autres, forment des mouvements ondulatoires, deviennent abstrait quand vu de loin, avec la perspective ces espaces sont une perspective dans la perspective. L’enfant cherche les poupées russes, celles qui logiquement devraient venir se loger ici quelques part. Les poupées russes, c’est le mot sur le bout de la langue, ce qu’on voudrait dire, comment dire ? …les poupées russes, c’est une série. Alors, je peux me souvenir que le grand-père aimait lire Blaise Pascal et que dans les Pensées il y a un des sections nommées « Série ». Entrouvrir la porte du salon défendu, s’allonger sur la bergère, rester dans la pénombre un moment seule. Respirer un peu l’odeur : ça sent une odeur de fleur, ils sont là, ils me regardent en souriant… La série des Babas, les poupées russes sont dans l’autre pièce, elles m’attendent pour souper. Je dresse la table, nous dinons en silence. Le grand miroir reflète encore des peintures peintes la veille, j’essaye de les voir, elles se dérobent à mon regard.