Rudolf… Mon père aimait prononcer son nom, avec un u à la française, qui faisait comme un ü à l’allemande, qui faisait prononcer le début du prénom comme « rude », pas à l’allemande donc. Et pourtant il était allemand et c’était pas rien de le dire, à peine vingt ans après la guerre. Et en plus il était grand et même gentil, je crois qu’il m’a porté sur ses épaules quelquefois, ou bien c’était mon père et ça me permettait de le voir jusqu’en haut.
M. Chmer… On allait le voir au faubourg avec ma grand-mère, il était épicier, spécialiste de bon fromage et il avait une moustache. Ça allait avec la prononciation de son nom, Chmer, impossible d’être sûr de l’avoir bien écrit, même une fois que l’école a commencé pour moi. Il avait toujours le sourire, M. Chmer -la prononciation va bien avec le sourire- il était toujours enfermé dans son magasin, avec le sourire. Et normalement, il aurait dû être en Algérie…
Mme Laurent… Elle avait un fils qui ne s’appelait pas Laurent mais il y a des prénoms qu’on oublie. En tout cas pas le fait qu’on avait chanté pour lui la chanson des fleurs et du sifflet là-haut sur la colline dans le bus du voyage scolaire parce qu’il avait eu le droit d’y aller avec sa fiancée, lui qui était grand. En fait, Mme Laurent, c’était la toujours éclipsée. Une cantinière. Elle ne parlait pas beaucoup, on ne la voyait jamais entière, tant de fumée sortait de la cuisine de l’école !
J’aime beaucoup ces portraits évoqués depuis leurs noms et la savoureuse dernière phrase: Elle ne parlait pas beaucoup, on ne la voyait jamais entière, tant de fumée sortait de la cuisine de l’école !
ah monsieur Chmer, trsè bon !