On y venait à pied, il n’y avait pas d’autre possibilité, personne n’avait le permis de conduire. J’entrais à la suite de mes grands-parents et madame Piou nous accueillait, elle quittait son comptoir et venait vers nous dans sa robe noire au dos voûté, en haut de ce petit corps plié en deux pour l’éternité, apparaissait deux grands yeux bleus pleins de bonté, elle souriait, elle aimait les enfants.
C’était peut-être le reflet d’un mauvais film et d’une peur mêlés. J’étais là, je le regardais discuté avec l’entraîneur, à chaque fois qu’il entrouvrait la bouche j’essayais de compter le nombre de dents qui lui restait, les cicatrices sur son visage formaient par endroit un quadrillage, chaque combat lui avait laissé un souvenir, le plus étonnant était qu’il semblait heureux d’être là, frappant un gros sac de cuir de toutes ses forces.
Est-ce qu’il avait un visage, il avait un chien, souvent quand il faisait les poubelles en bas de l’immeuble, j’entendais le chien couiner pendant que son maître le tabassait, puis ils partaient comme deux ombres noires, le chien content remuait la queue.
C’est exactement ça, des portraits concis mais denses de « matière souvenir » j’aime beaucoup et encore plus : à chaque fois qu’il entrouvrait la bouche j’essayais de compter le nombre de dents qui lui restait.
Portrait resserré, lacunaire et notre imagination de lecteurs fait le reste. Sensation agréable d’être projeté dans un ailleurs, dans un autre temps, celui de souvenirs qui ne sont pas les nôtres. Mais juste un petit coup d’ oeil, le simple plaisir d’observer à la dérobée comme le font les enfants, avant qu’on leur interdise de le faire, car il est impoli de dévisager les inconnus, çà ne peut pas faire de mal.
Ça fait mouche ! Merci pour ces trois portraits.