elle dit maison à moi maison des grenouilles elle grimpe sur son tricycle les sandalettes en cuir appuient sur les pédales ça bouge elle rit pédale pédale sur l’allée bétonnée qui longe le canal au revoir maison pédale longe le canal où chantent les grenouilles hop galope petit poney bouche ouverte au vent joues gonflées cheveux aplatis comme les saules sur le bord du chemin un chat roux traverse elle s’arrête descend du tricycle au revoir tricycle bonjour chat attends-moi elle le suit t’es où chat bout de queue éclairé par le soleil entre les saules là-bas elle court attends-moi chat t’es où boule rousse près de l’eau elle court langue rose qui lape en trois bonds le chat disparaît parti elle regarde l’eau fait les gros yeux dit non répète non non et non comme maman l’a dit non l’eau c’est interdit immobile elle regarde les libellules si belles au revoir chat bonjour libellules à la surface la bouche ouverte d’une grenouille au revoir libellule bonjour grenouille une autre là encore une autre des grenouilles partout elle rit les grenouilles se parlent elle écoute c’est longtemps le chant des grenouilles les sandalettes eu cuir s’enfoncent dans la terre humide elle ne bouge plus j’ai froid appelle maman mais rien appelle encore maman toujours rien appelle plus fort maman t’es où t’es où maman elle crie maman rien ne se passe gorge serrée elle murmure t’es où elle se tait attend c’est long elle pince la bouche les yeux humides papa a dit si tu te perds tu ne bouges pas compris elle ne bouge pas c’est long quand même le soleil qui monte entre les saules les grenouilles qui se taisent au revoir grenouilles elle se roule en boule dans la terre humide ne bouge pas entend des voix qui appellent mais pas celle de de papa regarde passer le bateau de pompier de l’autre côté du canal elle ne dit pas bonjour pompiers bonjour bateau elle ne bouge pas papa l’a dit tu ne bouges pas compris elle a compris elle est grande elle écoute elle ne bouge pas elle attend papa regarde je ne bouge pas c’est long d’être grande elle se met à pleurer appelle maman à l’intérieur voit les hommes en noir qui plongent dans le canal des voix crient partout et les sirènes elle se bouche les oreilles ferme les yeux les larmes coulent elle grelotte le chat roux est revenu lèche les joues de l’enfant endormie qui ouvre les yeux bonjour chat un jappement fait fuir le chat bonjour chien une voix appelle c’est bon je l’ai trouvée elle est là maman la prend dans les bras la serre papa pleure elle dit pleure pas papa j’ai pas bougé
Un texte qui chante. Merci Françoise
merci Élise !
C’est très fort et l’absence de ponctuation est très bien vue: on se trouve pris dans un halètement et on ne lâche pas jusqu’au bout.
merci pour ce retour, pas simple cette absence de ponctuation, je m’interroge
Quelle aventure! Et la retranscription de ce dialogue intérieur si entier et si naïf de la petite enfance. On se laisse prendre par la main et aller du chat à l’eau aux libellules … distances disproportionné, tout est jeu, tout est nouveauté. Chaque image comme instantané du présent. Le seul temps où vivent les enfants en somme . Bravo d’avoir su le retranscrire !
merci !
Un titre s’impose : Au revoir grenouilles !
Une immersion — j’allais écrire « submersion » et puis non : le glissement des mots nous maintient à la surface, dans la lecture haletante, le papillonnement des au revoirs et des bonjours (hello goodbye) : c’est le récit d’une aventure — « c’est long d’être grande »
J’aime beaucoup et l’absence de ponctuation rend le texte en un seul souffle, une boucle qui se referme sur ce mystère de l’enfance.
Merci merci pour ce texte et cette écriture bouleversante à hauteur d’enfant. J’adore ces recherches en écriture pour approcher des univers autres, comme celui de l’enfant. On ne lâche pas le fil. Comme la comptine « Trois petits chats ». Jusqu’au bout. Avec le monde des adultes en flou derrière. Ses injonctions. Ses peurs. Et l’amour.