avec ce personnage qui voudrait écrire, encore une fois, sur cet enfant perdu au moment du réveil en pleine nuit, qui voudrait relire ce qu’il a déjà écrit, mais il ne retrouve pas le texte, et il réfléchit, et il recherche dans son esprit, dans sa machine, en tapant quelques mots-clefs, rien ne sort, et on serait là avec lui, dans son esprit, en monologue intérieur peut-être, façon discours indirect libre, peut-être, perdu dans sa recherche vide, perdu dans sa machine vaine, et dans ce texte absent qui semble tout pour lui, qui ne peut rien sans ça (croit-il), autour duquel la scène de l’enfance, en parallèle, en va-et-vient, intermittente, intempestive, se reconstitue, se répète, se rejoue et se réinvente : la lumière dans les yeux, cette ampoule sans abat-jour, la lumière jaune et les coins sombres | le paravent en bois ou le rideau bleu ciel à grosses fleurs | à se frotter les yeux, à appeler maman | deux fois, trois fois Maman ? la quatrième plus fort, redressé dans le lit | descendre l’échelle métallique du lit jumeau, en marmonnant | la petite sœur dessous, protégée de la lumière, elle dort, il l’entend souffler | Papa ? | derrière le paravent ou le rideau, la table en formica blanc, vide, les chaises, assises molletonnées, fendues, skaï crevé | la cheminée, le feu, ça flambe encore un peu | la corde à linge le long du manteau, des chaussettes, des culottes, il y avait encore des langes ? | la tortue sous la fenêtre, dans sa cage — oui, tortue, comme mot-clef, à essayer | le lino ou le parquet mat, raboté, rongé | la porte ouverte | Maman ? Papa ? | l’entrée, allumée elle aussi | un coup d’œil sur les portes de la cave et du grenier à droite | la porte close en face, la pièce à vivre et dormir du père Roger et de la mère Germaine — à vivre et mourir, et elle était déjà morte ? | tortue, ne pas oublier, essayer | l’entrée aux murs épais, des murs porteurs pas droits, pas hauts, de blanc et de gris, la peinture écaillée, le salpêtre ici et là | l’évier en pierre, dans la masse du mur | le petit robinet à tête rouge, des gamelles sales | la porte de dehors entrouverte | tortue, rien | la porte en bois, bleu ciel — ce bleu ciel des maisons anciennes partout dans le pays —, écaillé là aussi, fissuré | la porte qui frotte, le bas de la porte, à tirer ça coince | ça suffit pour se faufiler, se glisser dehors | se retrouver tout en haut de l’escalier | sous la lumière blafarde de la lampe, de la marquise | la lumière sur les marches usées, incurvées, glissantes peut-être, de l’escalier | quel temps fait-il ? — comment est-il habillé ? | Maman ? Papa ? | à regarder à gauche et à droite | essayer ça aussi, figuier, balançoire | à gauche, le lampadaire éclaire là-bas le pont, et dans le coin de l’œil le nez du tracteur dépasse du hangar tout noir | un autre lampadaire orange, plus près, le carrefour, la masse sombre du figuier devant l’escalier | la balançoire dessous, invisible | la balancelle aussi | PAPA ? | figuier, oui, un peu, juste le lieu, une autre scène, la balançoire | il y a une voiture qui passe ? trop vite ? pleins feux ? | et la lune ? pleine ou pas ? | si pleine, à faire surgir à droite, juste de l’autre côté de la route, la masse noire de l’église | (et le carillon ? pour quelle heure ? ou une demi-heure, seulement un coup ?) | et un peu de vent dans les feuilles ? | MAMAN ? | balançoire, le figuier, la balançoire, juste ça, l’autre scène, sans l’escalier | (à corriger) | la main sur la rampe, froide | à glisser, à s’accrocher pour descendre la volée de marches | les marches usées, courbes, creuses, à glisser | le bout de la rampe, la volute de métal, en spirale | à s’accrocher au montant | au pied de l’escalier, accroché à la rampe, sur la dernière marche | MAMAN ? | le frémissement du figuier, le grincement de la balancelle peut-être | des feux au loin ? une voiture qui tourne dans le coteau ? à balayer l’église d’un flash ? | Le figuier. La balançoire. Le figuier et la route qui passe derrière. Son goudron beige. Rêvant du temps où elle était encore chemin. | Il remonterait d’un trait ? rentrerait et refermerait (la porte résiste) ? | [Eh…] Tu vas tomber… Et on va d’une branche à l’autre sans toucher le sol, pour se suspendre à la balançoire, à la balancelle, au milieu des grandes feuilles et de leurs fruits. La chair blanche et sucrée [des figues], on en veut encore. | Il remonterait, la porte ne fermerait pas | le père Roger sortirait ? viendrait l’aider ? | la porte de la cave ou du grenier serait entrouverte ? | la porte de la chambre, fermée ? | la lumière de la chambre, éteinte ? | la tortue dans l’entrée ? | MAMAN ?! | La balancelle à grosses fleurs qu’on fait grincer. Des fleurs des champs. Nathalie ? Nadia ? L’ombre du feuillage [au sol], ça tranche. Les figues au sol, violettes, pourries. C’est âcre. Ça grince. | une rafale de vent, à faire siffler les portes | à remonter dans le lit, se glisser sous la couverture | un œil sur le rideau, sur les fleurs | à écouter siffler le vent | à écouter souffler la petite sœur | à voir flotter des volutes bleues
Très beau parcours de la chaleur réconfortante du lit vers l’extérieur de la maison. Rythmé par ces appels de plus en fort. De plus en plus anxieux de la mère et du père. Ils ne sont presque plus qu’un écho à la fin du texte ( le protagoniste les prononce t il vraiment? ) merci Will et contente de recommencer avec toi ( et tes milliers de notes que l’ont se ne lasse pas de relire☺️ ) ce nouveau cycle !
Voilà qui m’a donné à réfléchir. Je me rends compte que ces appels, en italique, signalant un discours direct, entrent dans le jeu des quelques lignes, elles-mêmes en italique, du texte trouvé par défaut. Si bien que, d’un côté, ils articulent le souvenir, ou l’imagination, à l’invention de l’écriture ; de l’autre, l’auteur qui essaie de se souvenir cède d’une certaine manière son écriture à l’enfant, à sa parole, à ses appels, peut-être aussi à ses parents silencieux — de sorte que, tandis que l’effort du souvenir se réalise au présent (de celui qui veut écrire), celui de l’écriture, lui, s’effectue à l’absent (de l’enfant du souvenir) ? J’ai bon, ou je me suis perdu ? — Merci Géraldine
(olala crotte, j’avais écrit tout un commentaire : perdu au moment de l’envoyer, mince !!! et je me retrouve presque dans la situation décrite : un texte perdu, définitivement, et devoir le ré-écrire ;))
| tortue, rien |
se retrouver à rechercher le texte d’un souvenir que l’on croyait sauvé. cette perte, ce courage qu’il faut pour le réécrire (pour ma part courage rage amertume)
(ou que je tombe sur un texte que j’ignorais avoir écrit)
écrire l’écriture, la poursuite de l’écriture, les poursuites de l’écriture,
| MAMAN ? | balançoire, le figuier, la balançoire, juste ça, l’autre scène, sans l’escalier | (à corriger) | la main sur la rampe,
les textes s’emmêlent. les superposer, croiser, filer, tisser, coudre.
faire co-exister le passé et l’actuel (actualité du passé, passé de l’actuel)
corriger, biffer. le personnage à l’oeuvre d’un nouveau texte.
cela dit : ils étaient où, papa, maman ?
Ma foi, j’ai bien ri avec ces « olala » et un air de « si j’aurais su j’aurais pas venu… » — Il y a cette remarque que « les textes s’emmêlent, les superposer, croiser, filer, tisser, coudre ». Alors c’était donc ça l’intuition de la barre verticale qui segmente à tout va le texte : qu’il y a là plusieurs textes : qu’en chaque segment se trouve un texte, un texte à trouver ; des segments, des sections formant des cellules, des cases, des compartiments, et toute une palette de bouts de phrases dans laquelle on piochera à l’envi ? ; et on le trouvera là, « le personnage à l’œuvre d’un nouveau texte » ? — Papa et maman, je dirais qu’ils étaient dans le tas de sable, dont je n’ai encore rien dit. — Merci Véronique
C’est se perdre dans le souvenir de s’être perdu — et le souvenir aussi, avec soi, se perd. Mais c’est surtout le plaisir du texte (la jouissance) de cette reconstitution échevelée, et de sentir comme l’on (l’auteur) s’y est éperdument jeté. Belle belle expérience
Eperdument, je souscris. Même si le texte est foncièrement inachevé. Mais le cycle ne fait que commencer. — Merci Christophe
Whaou, je reviens à peine aux ateliers et je tombe sur ton prologue. C’est vertigineux tu donnes à voir presque graphiquement l’agnosie de l’enfant qui appelle ses parents. Et puis le côté inachevé dont tu parles, les lacunes inhérentes aux souvenirs tu en fais comme une syntaxe débridée qui ouvre au poème. On a envie de s’emparer de ton texte de le scander. De l’écrire avec toi ou de le placarder sur les murs d’une gare (ne me demande pas pourquoi). Une logorrhée jouissive. Merci Will pour tes mots comme une batterie.
Oh, merci pour la batterie… moi qui me suis essayé à cet instrument dans une autre vie il y a des lustres. — Agnosie, je ne sais pas. Je vais d’abord revoir la définition dans le Grand Robert. | | Voilà, je crois que je vais réfléchir un petit bout de temps à la chose et je te recontacte dans une autre vie… — Sur un plan graphique, je finis surtout par percevoir dans cette « syntaxe débridée » (par les barres) les divisions d’une casse, des cassetins, ces petites loges dans lesquelles se trouvent les caractères d’imprimerie remplacés ici par des mots, des groupes nominaux, des bribes de phrases, des courtes et des longues, à combiner, permuter, couper-coller, (dés)articuler. Peut-être que « ça ouvre au poème », mais alors c’est le tien — Merci Camille — Ps : Ben si, j’aurais bien voulu savoir pourquoi une gare. C’est à cause des vacances ? un besoin de partir loin ? à Sauveterre ?