Égarée, à côté . Absorbée par un au-delà sans contour. Ensevelie sous des couches d’ouate. Perdue entre les lignes des livres où se tenir. Traversant une géologie et une cartographie à moi seule destinées. Errant dans les strates d’un monde qui n’appartenaient qu’à moi, dont je ne parlais pas. Et je ne parlais presque pas. Je venais d’une famille de taiseux. Et je devais être une sorte de taiseuse. Peut-être même la reine des taiseux. Les voix se tenaient à l’intérieur, bourdonnantes. Je vivais parmi elles. Il était facile de m’oublier, de ne pas me voir. Mon regard se posait dans le vide, et l’esprit voguait. Ou je me réfugiais dans un livre et personne ne pouvait me trouver. Perdue dans ce monde dont je ne comprenais pas les codes. Perdue à l’école lorsqu’il fallait répondre à quelque question. Perdue dans la rue si quelqu’un m’abordait. Perdue quand trop de bruit. Perdue si trop de lumière. Perdue même dans les silences. Perdue dans cette vie qu’il fallait traverser. Malgré tout, la traverser. Sans être vue.
magnifique. et la compacité aussi de ce texte. merci.
Très beau, sobre, simple et puissant.
Touchée par ce « perdue » qui se répète et les voix qui se tiennent à l’intérieur, qui bourdonnent, c’est très beau
Peut-être que vivre dans les livres, c’est se maintenir exactement sous les voix, sous une espèce de ligne de flottaison — sauf qu’elle est dans l’air. « J’ai cherché dans tout l’univers le repos et je ne l’ai trouvé nulle part ailleurs que dans un coin avec un livre », cite Quignard dans ses Ombres errantes. Se perdre dans un livre, quel repos est-ce ?
Merci pour cette belle condensation
Merci beaucoup d’avoir lu et déposé ces petits mots qui me touchent. Et merci pour la citation de Quignard!