Au croisement des allées, assis sur une souche, odeur douceâtre, décomposition, humus. Attendre le retour du père parti avec le chien, depuis combien de temps ? Forêt encore feuillue, a changé de couleur, dense, impénétrable hors des chemins ; la lumière se déplace, comme jouant, tremblante, dansante, dévoile, dissimule, tours, détours, tourbillons du vent, automne. Ne pas pleurer, impératif. Les raisons s’alignent dans ma tête, le père a promis « je ne serai pas long, on rentrera pour déjeuner ». Assis sur la souche, les allées réunies forment une sorte de clairière, qu’y a-t-il derrière mon dos ? A peine si j’ose me retourner. Je convoque les raisons raisonnables pour apaiser la vague, pour juguler, dès qu’elle apparaît, la sensation envahissante d’être seul, oublié, abandonné par les adultes, au profond du bois. Vagues, sanglots ravalés. Le père va revenir, il a promis ; le chien, je peux l’appeler, ses sens à l’affut, il me connaît bien. Devrais-je faire quelque chose, m’en aller par le dernier chemin parcouru ? Saurais-je le retrouver, doute, douter, fixer un point, n’en plus démordre… ou bien partir, me rapprocher du père, m’éloigner de ce croisement, tant de possibles devant moi, autres, derrière ; la raison me dit de ne pas bouger. Immobile, perdu, perdu, immobile, comment est-ce possible ? Attention aux ombres fugaces, écoute des minuscules craquements, oiseaux, se détournent en me voyant, tout parle. Non de l’ours ou du loup, antiques terreurs, les mots, les mots reviennent, de l’insecte suceur de sang, du pou de bois, de la fouine impitoyable, ou de ces bohémiens, “romanichels” qui installent leurs roulottes en lisière des forêts au temps des vendanges. Un coup de fusil me rassurerait, le père dans sa battue aurait levé un lièvre ou une bécasse. Le silence aux mille bruits m’envahit, je me suis perdu dans la rêverie, le temps s’est rétréci, ai-je somnolé ?
Un beau texte, le temps de l’enfant qui attend dure plus longtemps…et j’aime aussi les mots qui restituent l’ambiance odeurs, bruits, ombres, abandon (même pas peur!)
Ces moments d’attente, l’attente, d’emblée si pénibles et soudain, mais elle semble demeurer là en amont cette odeur d’humus, de décomposition, la forêt. Et toutes ces pensées, ces sensations crées par ce prisme d’une attente, tout ce que l’on trouve dans ce qu’on croit perdre ou perdu, c’est incroyable. Merci !
J’imagine un de ces carrefours forestiers en étoile… La forêt toute entière incite à l’immobilité, par mimétisme, c’est son danger, c’est à n’en pas sortir. Enfin ce qui se révèle ici, qui est qu’être perdu, c’est être seul : état originaire