Jouer à être une enfant perdue, et parfois une petite bande d’enfants perdus, perdue et trouvée, car rester perdue c’est l’abandon, cachée oui, perdue pourquoi pas, mais être perdue pour être trouvée, sans être grondée, et peut-être même consolée.
Pour l’instant perdue à la sortie du car, perdue au coeur de la station, à grimper lentement la cavité de pierraille, les pieds sur deux racines qui ploient sous elle, une main autour d’un rocher qui dépasse, l’autre main à s’essuyer le front, à chercher une solution, une bonne idée, une façon d’avancer.
La cavité rugueuse, une excavation dans la pente de la montagne, la neige accumulée en petits tas. D’abord grimper en se haussant, se tirant à hue et à dia, à soulever ses fesses, à déplier sa jambe, à se hisser, atteindre la crête en traversant le creux de terre, les plaques de neige et de verglas, motivée par le rideau de glaçons parfaitement transparents, cylindriques, de pure eau gelée, des délices à cueillir.
Avoir un but et se perdre, se perdre de ne pas suivre la file, se perdre par omission, de ne pas se laisser surveiller, laisser le groupe avancer, tourner, disparaître. Les voilà, eux tous, perdus, perdus de vue, mais elle n’est en rien perdue, elle sait où elle est, en bas des pistes de la station d’Ancelle, elle grimpe au fond de l’excavation, elle veut des glaçons, ceux de tout en haut, les brillants, si froids qu’ils collent aux moufles quand on les casse.
Hissée sans grâce, retenue à trois fois rien. Tache rouge de la combi dans l’ocre gris du creux de terre où la neige ne prend pas. Dans le creux de terre ouvert comme par une énorme pelle, les glaçons nés des nuits froides, goutte à goutte, pointus comme des épées, elle en veut un, c’est une pulsion, un élan irrépressible. Elle veut les glaçons, elle les attrape, les casse, en tient un dans la main serrée bien fort, il lui échappe, se brise. Une racine plus fragile, et son pied glisse, elle se retient à deux mains au bout de terre et de caillasses, le pied dans le vide.
Elle doit être trouvée et personne ne la cherche ? Où sont-ils passés ? Qui s’occupe de compter la petite troupe et s’étonne du nombre ? Elle ne manque à personne ? Qui va dire Où est… ? Elle veut encore un glaçon décidément inaccessible, mais elle ne sait plus comment faire, elle est coincée, le pied qui la tient encore se fatigue, l’autre s’entortille autour de son mollet, ses mains s’agrippent à un presque rien qu’elle ne peut pas lâcher, comment rapporter le trésor, le corps suspendu, mal accroché à un à peine de falaise. Souffle court, membres figés, esprit en feu, alentours noyés dans un ralenti brumeux, elle n’entend plus et son champ de vision se rétrécit, elle ne sait pas si les cris qui lui parviennent comme cotonneux sont les siens ou ceux de qui la cherchent. Ses larmes n’ont plus rien du faire comme-ci.
D’en bas, un homme s’approche, à son tour mal à l’aise dans le dévers, il la soutient de ses encouragements et guide ses gestes. Dire qu’elle est là pour un glaçon. Où est sa classe ? Elle n’en sait rien. Elle est donc perdue ? Non. En rien perdue, ou alors par eux, leur négligence, leur indifférence pour son pas ralenti, ses questions sur ce creux de terre en bas des pistes et sur les glaçons, peut-on en attraper ? Pas de temps à perdre avec des enfantillages. Elle traîne, reste en arrière du rang, eux s’en vont et la perdent. Sortir du troupeau, se faire chèvre folle pour un instant, gourmande du froid, puis être trouvée – et ramenée au bercail. Le goût fade du glaçon lui reste dans la bouche. Et lui donne soif.
« Elle traîne, reste en arrière du rang, eux s’en vont et la perdent. Sortir du troupeau, se faire chèvre folle pour un instant, gourmande du froid, puis être trouvée – et ramenée au bercail. Le goût fade du glaçon lui reste dans la bouche. Et lui donne soif. » whaou ! Un début qui tambourine drôlement et donne envie de te suivre !
Au lit Oui ! Demain y’a d’école !
Euh merci Camille d’être là à point d’heure. Et bonne nuit.
« L’écriture est la soeur tardive de la parole où un individu, voyageant de sa solitude à la solitude de l’autre, peuple l’espace entre les deux solitudes d’une Voie lactée de mots. » Bonne nuit !
« se faire chèvre folle pour un instant »
Oui, oui ,oui. Merci Catherine. Et prolonger les instants.
Elle veut « être perdue pour être trouvée ». Elle a une sacrée volonté cette enfant, un but qui lui fait prendre tous les risques. J’ai bien aimé la suivre et ressentir à la lecture tous les efforts qu’elle déploie pour …son glaçon. C’est vraiment juste, les trésors des enfants sont désarmants.
… être perdue pour être trouvée. Elle doit être trouvée et personne ne la cherche ? Le jeu avec les limites . Se perdre par omission ( c’est joli) Toujours cette présence si forte du corps quand la main s’accroche quand le pied glisse je les vois, je les sens et le goût du froid sur la langue
être perdue pour être trouvée et consolée
mais si ce n’est pas, faire rage et s’en sortir
tout vous je crois (mais me trompe si souvent)
La descente du car et l’hiver… ingrédients propices pour se perdre ? A condition d’être enfant ? On s’est perdu et pourtant il est tant resté dans la mémoire, transformé peut-être… Comme ressort l’herbe quand la neige a fondu ?
Se perdre, une question toute relative finalement, quand on choisit de se perdre et de perdre les autres. Se perdre comme une façon d’échapper aux autres mais surtout d’être retrouvé par eux. J’aime cette contradiction.