21 heures, j’ai posé la boussole sur la carte d’état-major. Orienté la carte. Aurais pu me passer de l’outil (le compas des Anglais… pourquoi compas ?), la polaire, bien visible la nuit, appris à l’identifier au temps des scouts, ne bouge pas, à la verticale du pignon, au-dessus de la faîtière ouvragée, voilà pour le point de repère, amer, diurne. Tous les quatre penchés sur la carte, où aller, quelle orientation choisir ?
Avant d’aller plus loin, de penser à 360° dont nous sommes le centre, laissez-moi vous raconter : – Boy-scout, je pars en « raid de nuit » avec mon Chef de Patrouille (les lynx), direction forêt de St Nom la Bretêche , équipement réduit (tapis de sol, duvet, boussole, carte, enveloppe cachetée). A la gare de Bougival, dernier train, j’oublie la carte sur un banc. Perdus en forêt, il pleut, nous dormons dans des tuyaux de ciment, obligeamment déposés là par de prévoyants ouvriers de travaux publics, nuit douce, quelques hulottes, fin de l’histoire.
Observons au N.E. de grandes étendues monotones. Nous pourrions quitter la maison, sortir par le jardin, passer une vigne ou deux, attaquer la Pouilleuse, plaine, plateau crayeux qui va vers la Marne (Boche, tu ne passeras pas), terre de pouilles, blanche, monotone, champs de luzerne ou de colza, friches sèches aussi, piquées de genévriers, de touffes d’asters pâles, jusqu’à Arcis s/Aube, ville de Danton, de batailles, de l’empereur… Pour de bons marcheurs, une expérience enivrante de vent et d’infini, à la rencontre, qui sait, de hordes teutonnes, Bickers tatoués de la tête aux pieds.
Béatrice, à chaque voyage, traverse Troyes en coup de vent, a entendu parler par Max Aut. de ses musées (impressionnistes, « Pensée ouvrière »), de ses maisons à pans de bois dans les ruelles du « bouchon de Champagne ». Il faut partir vers le N.O., Troyes, notre ville, veille sur nous, sa cathédrale porte l’ombre de sa tour unique, la culture à portée de voiture, presque de vélo. Rendez-vous à la gare de Troyes, ouverture par la porte latérale sur un monde déjà croisé dans cette histoire…
Penelope se penche à son tour sur la carte, elle est allée acheter du champagne à Bar s/ Aube. Elle voudrait enquêter sur Gaston Bachelard, elle a découvert que l’accent inimitable du penseur hirsute venait de nos confins, elle observe les côtes des Bars, plantées de vignes, propose une balade viticole et culturelle vers le S.E. Albert se rallie à sa proposition, il se rappelle que Renoir est enterré à Essoyes où il possédait une maison, que certains de ses modèles ressemblent aux femmes qu’il croise souvent par là. Albert a emporté ses carnets d’aquarelles, il compte bien les enrichir.
Odysseos n’a pas pris la parole. La tête au S.O., il pense à Molesme, à Robert, aux moines pieux ou paillards du 11è siècle. Ils vivaient ici. L’abbaye ruinée couronne la colline où sa famille a cultivé terre et vignes depuis toujours, on ne parlait guère du départ vers Citeaux, du rayonnement de l’ordre. Le village s’est recroquevillé depuis longtemps sur ses trois ou quatre fermes, le bétail a disparu, seuls subsistent des champs cultivés par des espèces d’entrepreneurs extérieurs… Il se prend à rêver, à son enfance les pieds dans l’eau de la rivière, aux chevaux à l’abreuvoir… Non, décidément, il ne peut revenir sur ces terres de nostalgie.
Cap à L’Ouest, c’est l’idée de visiter le château de Maulnes qui l’emporte, Max Aut., sentant que l’affaire risque de s’éterniser, a tranché. La magie du nom finira par convaincre, il le sait.
j’ai adoré Jean-Marie, cet immobilisme du voyage, et le fin mot, oui très parlant,