Il y a quelques jours dans notre bibliothèque j’ai retrouvé une vieille édition du Petit Lord Fauntleroy. Le titre est imprimé d’un brique profond sur l’ocre de la couverture cartonnée, à l’intérieur il y a des illustrations en noir et blanc au trait délié qui ne me disent rien, je ne sais pas d’où vient ce livre. Il a été imprimé à Corbeil en 1950 pour Flammarion. Sur la page de garde, une grande étiquette collée, DISTRIBUTION DES PRIX. Elle a été complétée manuellement à l’encre grise, qui a peut-être été noire, École Notre Dame de Paris, 15 rue des Ursins, 4ème arrondissement de Paris, Premier prix d’orthographe et d’anglais, deuxième prix de science, décerné à P. Carozzi le 30 juin 1954. Étrange d’apprendre que Petra venait depuis le 12ème arrondissement jusque sur l’île de la Cité pour apprendre dans une école privée, sachant le peu de moyens dont disposait Pauline, veuve depuis six ans déjà. À cette adresse se dresse toujours une belle bâtisse en meulière et briques jaunes, avec un immense bow-window central, elle abrite aujourd’hui l’Œuvre des Vocations. Je retrouve la trace de l’école grâce à deux gravures en vente sur Ebay issues de La construction moderne. Elles sont datées de 1900, représentent la façade et le plan de l’école Notre Dame de Paris, première destination du bâtiment. Alors je peux imaginer la silhouette de Petra dans les couloirs de l’école, Petra se tenant debout dans le préau ouvert, embarrassée par son corps de presque femme, elle avait déjà quatorze ans à la fin de cette année de 6ème, sans doute à cause de l’accident, des mois de coma, une année de foutue. Ce prix m’apprend aussi qu’avant d’abandonner l’école Petra a été une très bonne élève. Tournant les pages de papier bouffant je me demande si elle a lu ce livre, dont la page 24 est restée cornée, peut-être depuis l’été 54. Sous le papier replié dorment les sensations de mes propres lectures d’enfance. Il m’est presque impossible de me souvenir de Petra lisant. Me revient surtout sa façon tranchée de parler des livres, de leurs auteurs, sa parole toujours définitive. Les quatre enfants à élever, le travail à temps plein, l’entretien de la maison, elle n’a pas beaucoup de temps pour lire. C’est souvent l’après midi, à l’heure de la sieste, couchée dans sa chambre, dans cet espace où nul n’oserait la déranger. La luminosité douce de la chambre. Nous avons déménagé très souvent mais dans mes souvenirs c’est toujours une même chambre, imprégnée du même parfum et de cette quiétude qui émanait du corps de Petra lorsqu’elle lisait. Allongée sur le flanc, louve au repos, ses genoux repliés, sa main gauche recroquevillée à l’arrière de la nuque. C’est l’été, elle est vêtue seulement d’un tee shirt, elle lit jambes nues. C’est un moment où elle abandonne ses combats, s’éloigne du monde, renonce à fumer, à l’impatience. Elle lit toute sorte de livres, voue un culte à Dostoïevski, qui nourrit son fantasme de posséder une âme russe. Elle dévore Kundera, Zola, mais aussi les best sellers reçus chaque mois par l’abonnement souscrit au Grand Livre du Mois, qu’elle me fait passer avec, toujours, un même appétit.
Merci pour cette histoire de Petra et mon dieu le petit Lord de Fauntleroy dont j’étais follement éprise, à vite.
Quel beau texte. « C’est un moment où elle abandonne ses combats, s’éloigne du monde, renonce à fumer, à l’impatience. »
La lecture, comme monde à part. Lire jambes nues, louve au repos. La page 24 toujours cornée. Ce que ça raconte.
Plongée dans les souvenirs de la narratrice qu’elle reconstitue. Je suis touchée.
merci Françoise, Clarence, Petra s’installe, de plus en plus…
que j’aime la façon don tu passes du live, de l’histoire de l »école de Petra en post–puberté à la Petra femme que l’on ne voit plus lire, avec l’articulation du « Il m’est presque impossible de me souvenir de Petra lisant. »