«Anisha celle qui écoute », n’a pas appris à lire. La mémoire de chacune de ses cellules est traversée par les histoires que ses parents et les sages du temple dans lequel elle se rend chaque jour lui racontent, Les doux murmures de leurs voix la bercent aux noms de Dharma le dieu de l’ordre universel, Vishnu le protecteur et Vayu le dieu du vent. Elle raconte à son tour aux plus jeunes le Mahabharata cette épopée épique de la littérature indienne qui se déploie en elle comme les lignes d’un manuscrit ancien gravé dans les recoins de son être. Les mots mêmes sont étrangers à ses yeux, familiers à son âme, elle a découvert que leur magie pouvait transcender les frontières de l’écrit. Elle absorbe chaque détail, chaque émotion, chaque phrase ; chaque épisode est un tableau vivant, sans les scruter elle les ressent avec une rare intensité. Aux murs de leur cahute sont accrochées quelques images colorées de Ganesh, Shiva, Lakshmi, elles sont là mais pas tout à fait elles flottent dans l’air et se fondent, elle ne sont pas seulement accrochées aux murs elles sont partie intégrante du lieu. Elle les incorpore ils deviennent sa propre chair, vivantes et palpables Ganesh le bienveillant à tête d’éléphant, Shiva danseur cosmique, Lakshmi l’abondance les bras tendus. Des morceaux de papier d’emballage deviennent les toiles blanches pour sa fantaisie, les prendre les griffonner les froisser les plier les animer avec des craies. Une danse entre le divin et le terrestre, la sacré et le profane, l’art devient une prière et la prière devient art.
Anisha a trouvé à seize ans un emploi au centre ayurvédique Ananda Lakshmi elle prend soin de l’herbe des arbres et des fleurs chaque jour en gestes lents et identiques, avec son balai de fagots fins elles effleure le sol récupère les feuilles et fleurs fanées pour alimenter son compost, à chaque mouvement son esprit tisse un conte, une histoire silencieuse, se mêle aux parfums du jardin, à la flûte de Krishna le dieu de l’amour qui demande au serpent de se transformer en collier de perles pour sa mère, le serpent obéit devant la manifestation de la divinité suprême. Chaque geste chaque souffle est une méditation dans ce sanctuaire de verdure. Elle s’est mariée depuis au cuisinier du lieu. Parfois elle croise ce beau jeune homme qu’elle connaît depuis son enfance il l’a écoutée raconter. Elle l’appelle, toujours par son prénom Daweesh, le Roi des Dieux, il lui offre souvent des fruits du verger de ses parents. Ils parlent ensemble le malayalam, évoquent leurs légendes communes. Dans l’ignorance des lettres elle garde une âme éclairée ; il sait qu’elle sait.
Ensorcelant et paisible. Merci, Raymonde.
merci Anne pour avoir pris le temps de me le lire et de me dire