Assise sur les tomettes de sa chambre devant un rayonnage dans lequel elle cherchait un livre pour entrer dans la nuit, Marion tente d’être dans ce choix avec un minimum de conscience, seulement même si bien entendu elle ne doit pas tenter d’écrire un bidule dans lequel un ersatz de Bertrand serait central c’est à ce que pourraient être les livres qui l’ont constitué, un peu, qu’elle pense, refusant ce qu’elle pourrait imaginer, reconstituant comme elle peut ce qu’il lui a dit, ce qui transparaissait, cet après-midi là… Elle tend la main et sort l’Iliade et l’Odyssée peut-être, certainement, parce qu’elle se souvient. C’est justement par cela que ça avait commencé, ce qu’il avait dit ou laissé deviner à peu près, quand avaient arrêté de discuter du vague projet de galerie, parce qu’ils étaient fatigués disait-il. Elle était assise sur un tabouret devant la haute bibliothèque, elle avait dit « oh vous l’aimez ? » en touchant la reliure, et il avait répondu que oui, depuis l’enfance ou presque, mais surtout l’Iliade pour la mer violette et pour les batailles, les chocs extraordinaires et se perdre dans les noms des chefs, mais que ce n’est que plus tard dans une de ses relectures qu’il avait eu conscience de la guerre des dieux. Et comme elle demandait « et avant ? » il avait dit qu’il n’avait pas aimé les livres pour enfants, que le plaisir solitaire pris à ce qu’on lui faisait lire en classe ça avait commencé par « le roman de renard » et puis surtout les chansons de geste, Roland bien entendu, à l’école, mais son père lui avait offert « la croisade des Albigeois » et il l’avait toujours dans une vieille réédition du Livre de poche. Ils avaient continué, échangeant des noms. Elle disait « Tom Sawyer » il disait « plutôt Tristam Shandy » et puis en riant qu’il aimait aussi, « dans les anglais, bien plus près de nous bien sûr et légèrement différent, Wodehouse, vous connaissez ? » et comme elle levait les sourcils en souriant il ajoutait Dickens. Il était désolé, n’était pas au courant des livres qui sortaient, relisait, rien de plus récent que Beckett, lui il l’aimait et puis un peu de tout, ce n’était pas la même chose pour elle ? Revenant à Sterne elle a dit « Diderot » « oui mais plutôt Jacques et le « Paradoxe du comédien » que « le voyage » comme vous deviez l’imaginer ». Elle s’est rebellée, n’avait pas d’idée préconçue voyons. Il a levé le bras vers une rangée de Pléiade en haut du rayonnage « et lui, Voltaire, ses lettres, vous connaissez ? C’est si merveilleusement répétitif, méchant, et intelligent. Bien sûr il y a aussi les anciens livres de voyages et découvertes. J’en ai plusieurs… » Ma foi, cela faisait un peu court pour reconstituer la bibliothèque idéale d’un homme, d’autant qu’il avait dû en semer en route. Quant à lui, avant de lui proposer un thé il avait conclu « au fond nous sommes deux idiots passéistes ».
j’aime beaucoup comme les noms deviennent autres, à cause de leur arrivée dans le texte, musicaux (et ça pourrait faire une scène de film épatante)
tu es un soutien trop gentil 🙂
vais essayer de lire un peu mais là suis flappie aprs lutte contre duvets et crottes de pigeons… ça a l’air de rien mais 🙂