Faut-il aller ? Faut-il laisser aller les phrases, ahaner en dehors de ces présences obsédantes ?
On n’a pas le goût de les retenir plus que nécessaire. C’est une question de bonne mesure. Les personnages n’ont rien demandé, sauf deux,dont celle qui écrit.
On peut toujours essayer d’anonymiser une histoire familiale, les protagonistes inscrits à l’état-civil ne disparaissent jamais. La découverte des papiers empêche aussi l’oubli.
Cette brocante de destins ne réclame rien et surtout pas de jugement hâtif. Les meubles encore, témoignent d’un mode de vie et de préférences esthétiques. Les meubles à soi…
C’est donc une reconnaissance par les meubles à laquelle on est convié.e. Encore faut-il reconstituer leur provenance exacte entre les maisons respectives.
La poésie et la non poésie sont ici réconciliées. Le symbole et la valeur émotionnelle,la transmision et la valeur matérielle sont matière à commentaires singuliers.
Le garde-meuble du souvenir n’est jamais étanche ni bien sécurisé. On est convié.e à une écriture de grenier où chaque objet, chaque détail est une silhouette périssable.
Tous les personnages agglutinés ce matin, dans un cerveau qui brouillonne, prennent le large à plusieurs, dans une embarcation sans rames ni voile, emportant des parfums.
Rejetés loin des maisons comme les soeurs de Notre Dame des Stes Marie de la Mer, chassées de Palestine, ces personnages sont devenus des embaumeuses du passé.
Elles font l’objet d’un culte individuel, la plus humble, la servante est encore recouverte d’offrandes,colliers de pacotille mêlées à l’or, simulé ou non,au fond d’une crypte.
Dévotion ostentatoire, superstitieuse, fournaise de bougies à prix progressifs. Dévotion inutile même si personne n’ose le dire à haute voix. Un culte est vivant ou il se perd.
Le bonheur non exaucé est une rente inépuisable, les religions l’exploitent. Les lumignons et les cierges réaffirment la ferveur et l’espérance.Bougies en troupeaux.
La malédiction n’est pas datée au carbone 14. Elle n’a pas d’âge mais elle est datée.En dehors de l’église forteresse sous laquelle coule une veine d’eau fluviale, on bavarde.
De vieilles femmes roublardes et harcelantes veulent lire toutes les lignes de la main qui passent .Il faut les chasser un peu, elles aussi, en plaisantant, épargner les touristes.
Et même lorqu’elles rétorquent : – Tu as peur des Gitanes ? au bedeau qui n’ose s’appeler sacristain, ni factotum, qui leur parle souvent et prévient les embrouilles.
– Fous la paix aux pélerins. L’église est à tout le monde. Laisse-les prier sans les dévaliser. Ils en ont besoin, comme vous ! Elles râlent et rient en même temps.
Elles reviennent le lendemain ou dix minutes plus tard. Comme un filet de pêcheur au dessus d’un ban de poissons fascinés. Rien à voir a première vue avec ce dont on parle.
Ce dont on parle ici depuis des mois et plus encore dans l’été qui s’est écoulé. Ce qui est ruminé depuis une enfance ou plusieurs,ce qui n’appartient à personne de fait.
Qui sont réellement ces femmes qui se succèdent dans leurs peines, dans leurs joies ? En quoi sont-elles reliées au présent. Que dit-on d’elles qui ne pipent mot ?
Ne sont-elles plus interrogeables ? A quoi sert des les convoquer, parler à leur place, en leur nom ? Autobiographie des Autres ? La matière ne manque pas; filigrane de soi.