Elle est celle que ne je connais pas, mais mon deuxième prénom à l'état civil c'est le sien, dont ma tante chérie avait hérité avant moi. D'où elle-même le tenait-elle ? Je pose ça là, mais j'imagine que ça va gonfler.
Au réveil elle essaie de se souvenir des rêves de la nuit, souvent elle rêve de gens morts. Elle se demande où elle trouve la force de se lever chaque matin. Elle trempe un linge dans la bassine, l’essore, se caresse les bras, puis les aisselles, humidifie ses cheveux. Elle se plante devant la reproduction de l’annonciation de Fra Angelico, elle se fond dans la douceur du tableau pour apaiser son corps impatient. J’aimerais qu’elle ait appris à lire. Elle étend le linge dans la cour intérieure, elle aime faire coulisser le fil d’une fenêtre à l’autre, c’est comme un lien avec ceux d’en face. Elle remplit des bols de bouillie de châtaignes pour nourrir les oiseaux. Elle s’attarde dans la cage d’escalier, elle écoute la vie des autres. Elle prie à l’église Saint-Jean-Baptiste. Elle hume le vent qui porte l’odeur du large. Elle passe un ongle entre ses dents, personne ne la voit. Elle n’est pas l’absente qu’on croit. Elle humecte la pointe de l’index pour ramasser des grains de sels au bord de l’assiette, ou des miettes sur la nappe, elle trouve que ça a une saveur toute particulière. Elle se couche au bord du lit, elle prend le moins de place possible. Pourtant Joseph est mort. Elle ne s’attendait pas à lui survivre.
c’est un très joli portrait en creux du personnage par les petits gestes insignifiants qui disent tellement d’elle!
Magnifiquement
à chaque phrase on dirait un tableau flamand
toujours chez toi cette superbe douceur, cet effleurement…
Oui très beau, comme le dit Françoise, chaque phrase un tableau, on s’assoit et on contemple. Merci
« elle prend le moins de place possible », quelle apparition (au sens spectral mais tellement doux)
c’est très beau ce dévoilement du personnage qui se dessine à mesure du texte, avec de l’espace, merci
ah la cueillette au bout des doigts, et tout de celle qui n’est pas vraiment absente – science des mots simples qui la font vivre