Sur les photos qu’elle nous a laissées, on devine la force et les faiblesses qui l’ont habitée. Elles surgissent tour à tour, dans un éphémère ressenti de peur ou d’oubli, parfois de joie aussi, lorsque souvenirs vilains et tristesse d’enfance se taisent un instant. Par exemple, elle est près d’un lac avec des enfants, une jeune femme et un adulte qu’on distingue à peine. Elle a dû conduire tout du long, on le voit aux plis sur son pantalon, absents de la veste qu’elle avait ôtée pour être plus à l’aise au volant. Plus tard, sur une autre photo de la même pellicule, elle l’enlèvera à nouveau, dénudant ses épaules bronzées qui tranchent avec la blancheur du chemisier sans manche. Assise à la terrasse du refuge, elle boit un soda pour se remettre de la chaleur qui a accablé leur balade entre pierrier et alpage. Droite sur le siège aux tubulures chromées, elle fixe fièrement l’objectif, la personne qui cadre, ou celles qui regarderont le cliché : dans quelques jours le laborantin du studio photo, plus tard les ami·es ou la famille à qui elle partagera cet instant de l’été où elle était celle qui choisit, celle qui décide, celle qu’on écoute et admire. Là, comme partout où elle va, elle est plus grande que tout le monde, calme et concentrée même dans les moments conviviaux, voulant montrer par son aisance et son visage décidé qu’elle a surmonté les blessures des années passées, regagné son estime d’elle-même.
Il y a aussi cette fois où elle pose avec son amie qu’elle admire tant. C’est une photo de presse, elles sont devant Victoria Station, elles viennent d’arriver. Tout sourire pour le journaliste qui fait si bien son travail qu’elles seront demain dans tous les journaux de France, ce sont des championnes. Leurs visages sont radieux, dans leurs vêtements siglés à la gloire de l’Équipe de France leur posture assurée par ce qu’on devine des heures qui viennent de s’écouler et de celles qui vont suivre selon leur désir de réussite, de victoire, de succès. Tout en elles dit la fougue, la confiance dans leurs corps affutés pour l’effort, la certitude du dépassement de soi les jours prochains, quand elles seront sur le stade, puis sur le podium, si tout se passe bien.
Et puis un autre jour, c’est le plomb de l’échec, l’amertume du pépin de santé ou l’aigreur d’une incompatibilité d’humeur, qui la font blêmir. Traits tirés et silhouette légèrement voutée, elle se tient à l’écart du groupe à la bonne humeur presque blessante. Face aux plaisanteries qui fusent entre ses compagnons de fortune, leur jeunesse heureuse, leur enthousiasme partagé, elle affiche par son air renfrogné déception et rancune contre ses muscles, ses articulations, tout son être, ces traîtres.
eu envie de te retrouver ce matin…
cette proposition que je n’ai pas lue… portrait de femme comme tu sais si bien le faire
j’aime le détail des plis du pantalon après avoir conduit longtemps…