Nous nous préparons à partir. Vers la rue Delanglade où siège le consulat d’Espagne, dans une rue tranquille bordée d’immeubles haussmanniens. Les cocktails Molotov sont planqués sous les blousons. Nous allons jeter les bouteilles sur les murs qui abritent les représentants de la dictature. Celle qui a garrotté Puig Antich. Certains comme moi devaient avoir peur. Les jeunes corps devaient sentir la sueur, le cuir, et le parfum diffus des peaux. J’essaie de retrouver les odeurs, les paroles, mais le corps qui tente de se souvenir ne saisit que des images, il n’est plus apte qu’à aligner des mots tandis que continuent leur traversée de Marseille les jeunes gens d’alors. Ils échappent. Le corps qui se souvient écrit, les autres courent. Le corps qui écrit se redresse, tente d’approcher au plus près ce jour de Mars, les regards échangés au-dessus des foulards censés nous protéger des gaz lacrymogènes. Il y a une course dans la ville dans laquelle rien n’a bougé, puis nous nous comptons, tout le monde est là. Gérard vante la résistance de son casque intégral, plaisante à propos du commerçant qui le lui a vendu comme à un militant guévariste, pas comme à un motard. Aux soixante ans de Nikos, il m’adressera un bonjour déférent.
Le corps qui se souvient écrit, les autres courent. C’est beau cette façon d’amener dans le temps de l’action l’action d’écrire en parallèle. Comme une deuxième couche de l’Histoire, dire aussi que militer c’est aussi être en train d’écrire l’Histoire, des histoires.
Merci pour cette lecture . Précisément je crois que je tente de dire les histoires que nous vivions, toutes différentes malgré la référence commune à l’Histoire. J’ai beaucoup hésité à écrire ce texte, à trouver la bonne distance. Qu’il fasse sens pour d’autres personnes est très réconfortant.
Mais oui, ça fait sens. Ce texte m’a évoqué un texte très beau lu sur Lundi matin, écrit seulement du point de vue du corps, d’un corps en manifestation, probablement cagoulé de noir. C’était il y a longtemps, lors des manifs de la loi travail.
Merci Véronique. Pour la lecture et pour le lien avec la période actuelle.