Sous les gros coussins avachis il peut y avoir des petits bouts de papier écrits. Au commencement, Pelle se baisse. C’est un jeu, se baisser de côté, c’est prendre le risque de perdre l’équilibre. Or, à ce jeu il s’agit de saisir sans que la main qui saisisse prenne le temps d’un appui préalable. Et se relever dans l’élan. C’est bien ainsi que les petits papiers s’écrivent, dans l’élan. Pelle prend le temps de savourer le rétablissement réussi, le papier au creux de la main fermée, peu importe de le froisser un peu. Il ferme les yeux, à cet instant le papier et lui ne sont que réussite. Le reflet d’une des photos sous verre lui renvoie l’image de la suspension du chef d’orchestre. C’est alors le moment d’ouvrir les yeux, de faire pivoter sa main, d’en ouvrir les doigts, précautionneusement afin que le papier ne tombe pas. Il s’est froissé, c’est vrai, de telle sorte qu’il apparaît à la lecture :
CRE
VONS
RAGE
Sourcils froncés. Les doigts s’écartent un peu plus, il y a même un sursaut de main ouverte comme un élan de trampoline mais le pli reste marqué. Pelle sourit. Les doigts se replient doucement. La base du pouce glisse vers la paume pour tenter de jouer un rôle de glissière tandis que le bout du majeur et de l’annulaire essaient de se glisser sous le pli. Mais le papier joue à la planche sur les vagues, il se soulève en entier et ne se déplie pas. Un instant, le sourire s’agrandit. Mais le jeu a assez duré. L’autre main vient user de sa pince pouce-index tandis que la première s’étale. Le papier est déplié et même plaqué et il apparaît à la lecture :
ENCRE
SAVONS
CIRAGE
Le front de Pelle hésite. Comme un ciel parcouru de nuages à l’endroit du soleil, son front se plisse et se déplisse. C’est bien un papier du quotidien, c’est bien l’irruption du quotidien dans l’antichambre de l’académie. Après tout, c’est bien ce qu’il a choisi de défendre. Peut-être s’agirait-il surtout de savoir le regarder plus que le manipuler. Le papier est assez éclairé pour renvoyer sa lumière sur le bas du gros coussin de cuir dont les craquelures figurent désormais un chevelu de racines dans une terre à la couleur de tabac blond qui fait promesse. Les racines montent jusqu’aux méplats du haut des coussins. Il y a eu là, en creux, sans doute de douloureuses attentes mais aussi des sursauts d’espoir. Juste au-dessus des coussins verticaux qui complètent les autres pour faire dossier, la tapisserie claire porte les traces grasses de ces chevelures d’abord appuyées et puis balayant soudainement leur trace, telle la vipère qui se décide. Tandis que ça dort et continuera de dormir au-dessus, à la hauteur où sont accrochés les portraits photographiques des royaux lecteurs dont le visage, par un heureux effet de reflet, est caviardé. Les bras de certains restent tendus vers la table latérale, invitant à quelques grignotages les impatients et proposant de quoi se rafraîchir aussi. Mais ce que le petit papier désigne, lui, c’est bien la direction de la grande porte. C’est en se mettant dans cette orientation qu’on peut vraiment le lire. C’est de ce qui va se dire au-delà de la grande porte que dépendra la valeur que vont conférer les humains à ce qui est écrit. En suivant ou en ignorant les suggestions du soleil.