été2023 #08 | le pied nu de Balzac (et un peu de Claude Simon aussi)

Take care or you’ll end up in my novel…

Alexandre

Nous étions en plein service, tout se passait bien. Les clients étaient accueillis les uns après les autres, chaque un à l’heure tour. Personne n’avait été refusé ce jour-là. Les commandes étaient délivrées en bonne intelligence. La serveuse, chercheuse, trouveuse de petits bouts de machins et entasseuse pour plus tard, compagne s’améliorant presque tous les jours, écrivaine, kung-fueuse, bref attachée à tout ce qui d’un si petit corps frêle pourrait produire quelque chose de différent, Alexia, souriait. Auqu’un client n’avait même touché au faux-marbre de 1910, rénové par Blanche 10 ans auparavant. La salle et la terrasse étaient pleines. Toutes les chaises étaient occupées par des gens venus découvrir cette adresse. Ils avaient mangé, tout, les assiettes étaient revenues vides, toutes. La cuisinière, bijoutière joaillière, peintre, compagne aimante et patiente, attachée à la transmission de l’impalpable dans son ingénuité héritée d’un cadre hors-norme et à peine éborgnée par la culturation éducative nationale, bref celle qui dans une assiette est capable de vous faire manger un peu de vous en le rendant digérable, Blanche, souriait aussi. Il ne restait plus qu’à suivre le mouvement du service pour que la journée se déroule comme elle avait commencé plusieurs heures avant le début de celui-ci : bien. Et cela devenait de moins en moins rare.

Un ami, d’enfance de Blanche, peintre, passe la porte et arrive jusqu’au petit comptoir.

Il connait bien le lieu et trouve rapidement une place pour son casque de moto au milieu de la porcelaine ancienne sans même ni ne la frôler ni la regarder. Il ôte ses gants tout en saluant Blanche et Alexia.

« -Salut vous, je vous dérange ne plein service peut être ? »

Pas du tout !!! on s’apprêtait à faire un tennis en fait…

« Non, ca va !! On a vu que tu exposais !!! on passe quand on peut !!! 

-Ah oui ? Vous avez vu ? Au fait, il parait que vous avez récupéré quelque chose de ma dernière expo… 

-Ah oui, attends je vais le chercher !!! on l’a récupéré chez Paul quand on a récupéré les toiles de Blanche !!! tu sais où il est Blanche ?

-Oui, mais là on a pas le temps, il est dans l’atelier, sur la table…

-je vais au moins essayer de le trouver, j’ai le temps là !!! »

Et Alexia s’embarque dans l’atelier des parents, haut lieu de stockage en tous genres. Mais elle en a une certaine habitude. Elle sent qu’elle peut trouver l’objet rapidement. Au moment où ses yeux le trouve, sa main simultanément s’en saisit avec une fierté toute enfantine, mais avourée. Elle revient dans la salle avec le trésor, de quelques 50 centimètres de long sur 10 de large. Il y a un morceau de visage peint à même le bois. Qu’elle n’aime pas ses portraits. Pourtant il y a d’autres peintures de lui qui valent vraiment d’y travailler, elle en a vu. Elle le lui a dit. Mais elle ne lui a jamais dit ce qu’elle pense vraiment de ces portraits. A la fois pour ne pas être méchante pour pas grand-chose, elle n’y connait rien en peinture, et à la fois parce qu’elle est fatiguée d’endosser ce rôle, surtout aujourd’hui. Tout se passe bien.

« Tiens !

-Ah merci ! »

Il le pose à côté de son casque, toujours sans rien regarder des peintures de Blanche ou du faux-marbre. C’est qu’il n’est pas venu pour ça.

« -Au fait, ton père n’est pas venu… »

Alexia était connue pour avoir de la réparti, verbale ou physique. Elle pouvait sentir à plusieurs centaines de mètres une odeur de merde avariée, impossible à arranger. Et c’est exactement ce qu’elle a senti en entendant ces mots. Las, il n’y avait pas encore assez de matière pour la renvoyer d’où elle venait, elle attendait donc d’en avoir plus, ce qui ne tarda pas.

« Ah bon ? Ah mais tu sais il était avec ses petites-filles ce weekend…il n’était pas là…

-Oui, mais la dernière fois, tu sais quand il a accroché des « trucs » chez Paul…il aurait pu passer…»

Lààààààà….là ça sent bien la merde défraichie, ravalée plusieurs fois sans que l’avaleur ne parvienne à en atténuer ni l’aigreur, ni l’acidité, ni le fumet. Elle date donc de plusieurs jours, voire semaines. Les « trucs » dont il parle, ce sont les toiles de Blanche. Et le père dont il parle, c’est le père de Blanche.

Donc Alexandre, peintre de son état, est venue chez les parents de Blanche, dans le restaurant de Blanche, en plein service, pour se plaindre du fait que le père de Blanche n’était pas venu admirer ses œuvres et avait préféré au mieux « attacher des trucs chez Paul » ou pire.

Il avait, en prononçant ces phrases, sur le visage, l’aigreur, l’acidité et le fumet qui lui déformait les traits. Et le fait que la salle et la terrasse étaient pleines, chaque chaise occupée, ne devait pas l’aider. Mais peu importe finalement.

Pourquoi, ou plutôt comment, Alexia n’avait-elle rien dit, rien fait ? Elle le sentait plein nez maintenant. Il était là, juste en face d’elle, mais elle ne bougeait pas, un verre de rouge pour table Marbre dans les mains, interdite, la bouche ouverte. Sa tête se tourne vers Blanche qui elle continue la conversation comme si de rien n’était. Ça fait beaucoup de rien pour une odeur pestilentielle.

La meilleure explication serait qu’elle tentait de se raccrocher à la réaction de Blanche. Elle était belle, simple et heureuse de ce service, qui se déroulait bien. Ce serait la meilleure.

Il est parti comme il est venu, sans qu’on le voie vraiment. Et Alexia n’a pas réussi à se contenir plus. Le service a dérapé. Elle a pris une table de trop. C’est pour ça qu’elle est encore en apprentissage. 

A propos de Alexia

Chercheuse par diplôme (Master 2, 2018) en littérature anglaise du 20ème siècle à Tours, indépendante car pas rattachée à une université pour l'heure, je fais des mousses au chocolat, des îles flottantes, du pain perdu caramel, des meringues, des crèmes brûlées...un jour, j'arriverais au niveau de la tarte au citron de Blanche!!! je l'aurais un jour!!! je l'aurais!!! En attendant, j'épluche aussi des pommes...

2 commentaires à propos de “été2023 #08 | le pied nu de Balzac (et un peu de Claude Simon aussi)”

  1. Pas à oublier…je ne sais pas egzaktement encore comment fait Blanche, mais je suis sur la piste…

    Tiens, petit ramassage matinale:

    « rahhhhhhhhhhhhh…je croyais que j’allais perdre mon Kapital cet été, j’y travaille, j’y travaille…
    « Serveuse antipathique qui nous a fait une remarque désobligeante et agressive car nous avions juste posé notre baguette sur la table alors que nous venions de lui prendre des boissons et une part de tarte !! »
    Le monsieur était en train de manger sa baguette sur la terrasse …mais cela, il ne le dira pas, ben nan…il ne dira pas non plus que quand il est arrivé, il a posé son vélo sur le muret, prenant la moitié de la place d’un trottoir sans jamais se poser la question des piétons et autres poussettes voulant, les fous, profiter du même trottoir…mais peut être que le monsieur ne voit pas le problème et aurait-il voulu que je lui ramène un peu de beurre et de confiture…rahhhhhhh…éduquer les clients, c’est pas dans mes compétences, ou alors à ma façon…pis…il venait « de me prendre des boissons et une part de tarte »!!!, trop aimable!!! Que ferais-je sans lui, probablement que je mourrirai de faim dans le coin sombre d’une étable sale….merci môssieur!!!! »

    P.S.: on m’a déjà dit d’écrire un bouquin avec « les meilleures »…j’en ai de « l’hystérique du Covid » pour avoir refusé une table de 7 dégoulinante de sueur qui prenait ses aises sur la terrasse en plein début covid, j’avais mis 10 minutes à tout nettoyer après les avoir envoyer faire les « empereurs de la sueur » ailleurs…une maman avec ses gamins et son mari d’ailleurs…mes préférées…ou d’autres zencore…un jour, peut être.