Odeurs reviennent : sueur pluie d’orage sang. Dans le martellement des pas : pluie d’orage sueur sang. Dans le désordre : sang sueur pluie d’orage. La danse à trois temps ramène à la surface ce qu’elle a failli perdre en acceptant de monter dans la voiture inconnue qui devait l’emmener là où elle n’avait plus assez d’argent pour aller. Ils ont mis son sac à dos dans le coffre et roule. Ça sentait mauvais dans l’habitacle, ils ne disaient plus rien. Elle a réalisé mais trop tard. La ville était loin, la montagne sombre, l’orage dans l’air et l’odeur du gouffre mêlée à celle de la sueur. Un, deux trois. Arrêt sur image. Ils la font descendre, ils vont la descendre, d’une manière ou d’une autre. Ils vont se la faire. On ne la retrouvera plus jamais. Les monstres n’ont pas de visages, ils sentent mauvais, c’est tout. Alors l’orage éclate. Coup de foudre coup de théâtre délivrant une pluie herse, une pluie barrage, une pluie soudaine qui fleure bon le secours. Ils la font remonter sans un mot dans la voiture qui revient vers la ville fermée. L’odeur de la pluie est montée avec elle. L’odeur de la vie. Dehors, l’eau crépite, déluge. Phares d’une voiture derrière. C’est le moment, elle sait. Il n’y en aura pas d’autre. Elle saute. Un deux trois, chute adoucie par l’eau torrentielle. Odeur des vêtements mouillés. Elle change de voiture, se retrouve dans celle qui a pilé en voyant s’ouvrir la portière, jaillir un corps abîmé par la brûlure du bitume. Odeur pluie goudron. Commissariat déposition pompiers nuit d’hôpital jambe gauche de haut en bas peau arrachée rien de cassé. Elle saigne au-dedans au dehors. Odeur du sang qui fige. Odeur du tulle gras qu’il faudra changer tous les jours quand elle sera arrivée là où elle doit aller, auprès d’enfants. Trop blessée pour porter plainte trop pressée d’oublier. Odeur du désinfectant. C’est après qu’elle s’est dit : il faudrait noyer sans état d’âme les monstres dans la sueur le désinfectant et le tulle gras, lentement, très lentement. Elle les maudit, supplie la foudre de les détruire, de faire disparaitre leur chair pourrie et le souvenir de leur odeur. Le lendemain elle a marché jusqu’à l’entrée de la ville. En boîtant cette fois. Stop. En détresse. Pas d’écluse. Au bord de la route encore une fois. Avec une petite pluie. Parfum de confiance. Des jeunes se sont approchés, ont écouté : on n’est pas comme eux, on va t’emmener. Elle les a crus. Ils ont tenu parole. Elle s’est promis de remercier toute sa vie les envoyés de la pluie. Un deux trois, temps écoulé, ellipse. Aujourd’hui danse peau réparée même quand il ne fait pas beau. Danse avec la pluie odoriférante. Danse avec les autres. Parfois.
« Aujourd’hui danse peau réparée même quand il ne fait pas beau. Danse avec la pluie odoriférante. Danse avec les autres. Parfois. » Le parfois condense le tragique et ça me plaît 🙂
c’est très fort, l’odeur de la menace terrible… Merci
La « reconstitution » du déroulé de la scène est poignante. Les mots répétés sont comme des battements de coeur dans la panique. La peur de mourir et/ou du viol sont tangibles. Un corps traumatisé à la dérive, sauvé sous l’orage. La colère qui s’incarne en pluie battante et permet la fuite in extremis. Le glauque et le péril restent en mémoire. Le corps se souviendra toujours.Merci pour ce texte.