#été 2023 #07 | Morceau de corps

Comme un puzzle. Des détails, des images, des objets. Comme si à partir d’eux, le corps s’accommode en un glissement dans le réel, le vieux poster sur le mur en face, blanchi par les brûlures du soleil, et ses coins retournés en une lente crispation, ses doigts de pieds accrochent la surface du sol, font expérience des irrégularités, ces figurations des veines de bois dans l’imprimé du lino, la peau plus sensible vers l’avant du pied anticipe la rencontre de bulles d’air qui cloquent la surface, des sensations en avance de la sensation ressentie.

Une tache de lumière vive précipite l’obscurité.

Elle tient ses bras levés en sonde, à tâtons d’un espace connu, par réflexe de défense d’un éblouissement qui oblitère la vue, elle le sait, la table est en plein au milieu de la pièce, et l’excroissance de l’ombre des chaises, le jour oblique et fluctuant l’avance à sa rencontre, elle le sait, elle la connaît cette coulure grise avec ses airs trompeurs et ses profondeurs indécises, son regard, de retour, caresse les toits mansardés avec leurs petites ouvertures qui la dévisagent, elle les voit en face tous les jours et, pour la première fois, elle aperçoit leurs yeux cernés de khôl fixés sur elle, elle arrête son mouvement, laisse remonter les murmures de l’intérieur, sens les ailes frémissantes d’un papillon posé sous sa mâchoire, au creux du cou, le silence de l’instant siffle dans ses oreilles et son souffle, inspiré-expiré, n’a plus la même insouciance.

La peau de ses bras est à découvert — une surface végétale, poreuse.

Elle frémit, alanguit son souffle et accueille les variations, si fines, elle doute, peut-être seulement des tours joués par son imagination, par son esprit encore ensuqué de sommeil, elle ferme les yeux et oscille un court instant avant de retrouver de l’assise, elle devine les choses, ses objets à elles et les siens auprès des siens, en troupeau, éparpillés mais reliés par un fil invisible et elle les imagine animés de leur volonté propre et son corps à elle en écho du leur, écheveau de nerfs, de tripes, de viscères dans cet écheveau de causalité où elle n’est qu’un atome parmi d’autres. Elle rouvre les yeux et elle retrouve tous ces trucs, ces détails qui, là, à ce moment ont du sens, la pluie s’est mise à tomber et dehors c’est comme un morceau compact, de la nuit revenue au cœur du jour, un effet de persistance rétinienne dans son œil, le gauche, parsème la pièce enténébrée de halos blanchâtres et aveugle, le zinc tambourine, des coups mats roulent dans la pièce, en rebond, mur à mur, et saturent sa perception, elle accepte cette impuissance momentanée.

Son corps mosaïque est fait de ces tesselles d’instants arrêtés.