Il n’y a pas de scène originelle, pas d’entrée fracassante en écriture, de moment où j’ai pu dire : ça y est, j’écris et c’est le début d’une aventure. Par peur de rater la première fois, je l’ai retardée, contournée, puis finalement je l’ai enjambée. Ce n’est pas seulement vrai de l’écriture, mais de la plupart des étapes qui comptent dans une vie. La solennité des seuils m’a toujours empêchée; j’ai ainsi oeuvré à les désacraliser en les diluant dans l’insignifiant.
Depuis longtemps je veux écrire et depuis longtemps je me répète : « plus tard, plus tard ». Les idées cognent. Plutôt formelles : davantage des concepts ou des procédés narratifs que des histoires. Je bricole des générateurs d’histoires, car j’en suis goulue. Adolescente déjà, mes lectures me rassasiaient un temps, mais dès que j’en sortais pour arpenter la vie, se superposaient des filaments de récits, comme autant de liens hypertexte qui finissaient par trouer le réel de voies sans issue. Passant devant un café, j’imaginais la conversation des clients que j’apercevais par la fenêtre ; en cours, je me demandais ce que l’enseignant avait mangé pour le petit-déjeuner ou je rêvais sur des retrouvailles, vingt ans plus tard avec tel ou tel camarade. Je voyais les circonstances, nos gestes. J’entendais nos mots. Mes histoires s’effilochaient quand j’essayais de les écrire. Elles se muaient inévitablement en ébauches de scénarios naïfs, souvent niais, et mal écrits. Je trébuchais dans le jeu de Playmobil ou de poupées et la littérature m’échappait. J’en étais triste et frustrée. Alors je renonçais pour un temps, mais je ne savais que faire de ces assauts de récits intempestifs.
J’ai commencé à chercher une forme qui viendrait donner un peu de tenue à mes histoires simplettes. Imprégnée des livres de Perec et du travail de Sophie Calle, entre autres, je voulais trouver dans mes projets d’écriture l’embiellage qui transformerait cette affluence, parfois encombrante, d’historiettes, en une oeuvre qui leur donnerait une unité et un sens. L’écriture répond donc depuis longtemps chez moi au besoin de rassembler et d’organiser le réel. De me protéger de la dispersion.
J’oscillais, et j’oscille toujours, ainsi, entre un appel de l’écriture, qui se situerait quelque part entre mythe de l’inspiration et béquille de l’existence (pour mieux cheminer dans le réel) et une incapacité à mettre la machine en route. Le manque de talent me décourage toujours. Non pas que j’aie l’ambition de devenir auteure reconnue, mais je n’arrive même pas à construire une histoire, à maîtriser les outils de base de construction narrative, que je connais pourtant très bien en théorie puisque je lis beaucoup et que très tôt, j’ai nourri un goût et des aptitudes pour l’analyse littéraire. Je souffre aussi à me relire de la maladresse de mes phrases. Il est fréquent que je sois incapable d’exprimer l’idée ou l’image qui me traverse. Je lutte contre les mots, cherchant assistance dans les dictionnaires de synonymes, multipliant les métaphores… En vain.
Je n’ai que très rarement goûté la fluidité de l’écriture. Quand ça arrive, c’est la plupart du temps dans le cadre d’ateliers, ou de travaux réalisés pour mon master d’écriture créative. Ce qui me libère alors, je crois, c’est la contrainte et le décentrement qu’elle opère (la problématique de l’enjeu s’efface et un socle est là, que je n’ai pas à interroger, car posé par un autre). C’est aussi le fait que la fin ne puisse être différée : le groupe, ou l’enseignant, attend ma participation. Il y a un engagement qui paradoxalement me dégage d’une exigence inhibitrice. J’écris alors, dans le plaisir. Mes textes me surprennent et ne me déplaisent pas. Ou moins.
Cette pratique ne me contente pas totalement. Elle disperse mon écriture en fragments épars, qui tournent toutefois souvent autour des mêmes problématiques thématiques et narratives. Jamais encore je n’ai pu, une fois seule, poursuivre un travail de manière autonome. Comme si j’avais accumulé des centaines de morceaux d’écharpes, de talons de chaussettes, de bas de pull-over, sans jamais avoir réussi à tricoter la moindre mitaine jusqu’au bout. Elle représente certes une consolation mais aussi un évitement.
J’écris parce que j’y suis poussé, comme l’enfant dans l’eau qui gesticule jusqu’à ce qu’on lui envoie la bouée. Sauvé, mais frustré de ne toujours pas savoir nager seul.
comme l’évoque souvent François ici, il y a une dimension de l’atelier qui permet d’accumuler du matériau, il est épars c’est vrai et peut désarçonner, disons que c’est fragmenter pour essayer à un moment de trouver un fil, de constater que ce fil tient et que l’on tourne autour. Cela peut bien mettre des années, et pourquoi pas ? C’est assez différent d’autres démarches plutôt scénaristiques et assises sur l’enseignement de la dramaturgie. Je suppose que pour écrire, il faut écrire, et des fois, oui c’est très mauvais, je te conseille le beau podcast Bookmakers sur Arte radio, peut-être y trouveras-tu une certaine inspiration.
Bonjour Marion, ce qui me pose problème, ce n’est pas tant la dimension fragmentaire des textes écrits en ateliers que ma difficulté à devenir autonome, à poursuivre avec le même plaisir et le même élan l’écriture en dehors de l’atelier, alors que j’en ai pourtant envie. Quand j’écris seule, je trouve ça très vite vain et je me décourage. J’aime beaucoup aussi cette série de podcasts, Bookmakers. Bonne journée!
peut-être qu’il faut essayer d’écrire dans un autre cadre. Je trouve par exemple qu’écrire chez soi redouble l’immobilité, on peut se sentir enfermé. Alors qu’écrire quand on est ailleurs, en séjour, en balade, dans un café est un autre geste, une forme d’ancrage, certains allument une cigarette, d’autres écrivent (certains les deux). Le moment de repli exige alors que l’environnement autour soit ouvert.
Bonjour Marion, je suis allée lire les textes que tu avais publiés (jusqu’à la proposition à partir du texte de Stein) ainsi que les commentaires. Tu dis que tu as repris de vieux textes. Moi j’aime bien comme tes personnages se déroulent dans des longues phrases qui tentent de les attraper mais à travers lesquels ils glissent comme des anguilles! C’est intéressant aussi de voir comme ton écriture diffère d’un texte à l’autre, et en même temps d’observer ce qui est là de manière plus insistante, comme les formules à la fois allusives et troublantes / étranges définissant un personnage ou une atmosphère.
Le cadre d’écriture a son importance, c’est certain. Est-ce que tu connais Milène Tournier? Elle écrit en marchant. J’ai découvert ses poèmes la semaine dernière, il y a un rapport au monde qui pourrait te plaire (si je te lis bien): elle est complètement en prise avec son sujet tout en créant une distance teintée d’humour, parfois un peu d’absurde, sensible mais aussi réflexive.
« mais je ne savais que faire de ces assauts de récits intempestifs. […] Imprégnée des livres de Perec et du travail de Sophie Calle, entre autres, je voulais trouver dans mes projets d’écriture l’embiellage qui transformerait cette affluence, parfois encombrante, d’historiettes, en une oeuvre qui leur donnerait une unité et un sens. L’écriture répond donc depuis longtemps chez moi au besoin de rassembler et d’organiser le réel. De me protéger de la dispersion. [«
… Mon message est parti trop vite.
Votre longue réflexion sur votre rapport à l’écriture m’a intéressée.Elle valide le fait qu’écrire de manière satisfaisante nécessite à la fois un travail et un but. Raconter les histoires des gens qui nous entourent même parfaitement inconnus a-t-il un intérêt pour eux-mêmes et pour nous ? Qu’est-ce que le bien écrire ? Qu’est-ce qu’on a à dire qu’on aurait pas pas pu dire sans écriture ? Qu’est-ce qu’on veut vraiment lorsqu’on écrit ou fait écrire ? Et d’où vient cette sensation de dispersion dont vous parlez ? Si vous partez en voyage vous avez le choix entre rien préparer ou tout plannifier dans les détails ? Quelle sorte de voyageuse êtes vous ? Je serais heureuse de vous lire à ce sujet.
Bonjour Marie-Thérèse, oui, le travail, mais comment travailler pour améliorer sa langue? J’ai toujours l’impression, paradoxale, de m’empêtrer dans les mots alors que je vais les chercher comme des outils amis! J’écris pour donner le jour à une histoire, une idée, une pensée ou autre, qui me tiennent à coeur, que j’éprouve la nécessité de dire, mais au moment où je les écris, l’écriture les salit, les transforme et les alourdit. Quant à la question du but, je pense qu’elle est vraiment importante aussi: quand on est sûr(e) de la nécessité de ce qu’on écrit, la question du style se résout en partie. Je poursuivrais volontiers l’échange avec vous, pour savoir aussi comment vous avez répondu / comment vous répondez à ces questions quand vous écrivez, et pour parler voyages! Mais je ne sais pas si ces commentaires en bas de texte sont le lieu pour des échanges plus longs… J’aurais aimé lire votre scène originelle, mais je ne la trouve pas. Peut-être que je cherche mal? Bonne journée.
Merci Francesca de ce retour et de cette lecture, je ne l’ai pas lue non sauf sans doute ici, tu sais qu’elle est présente parfois ici sur le tiers livre ? Il faudra que je regarde. Je n’ai pas encore trouvé le curseur entre une écriture tourbillon et quelque chose de plus rêche, par exemple mars la rouge https://www.tierslivre.net/ateliers/photofictions-01-sugimoto-i-mars-la-rouge/ ou de de plus dérangeant, stylisé mais encore trop lyrique, comme dans le dytique, j’ai bcp aimé écrire ce texte bizarre https://www.tierslivre.net/ateliers/le-dytique-cest-fantastique-ou-parmi-la-maladive-exhalaison/ Christophe T me disait de naviguer entre les deux. Je pense qu’il y a un peu de ça, il faut poursuivre le tourbillon et voir où il finit par se déposer. Ces personnages sont souvent des esquisses fragiles que je peine à consolider ou faire atterrir, ils restent planants et comme ils planent il n’évoluent pas, le temps reste suspendu, il est donc complexe de bâtir un fil narratif.
Il y a un mythe aussi de l’autonomie, dont il est temps de revenir et qui aboutit à des vieux qui crèvent tout seuls dans leurs maisons de repos. Vous arrivez à écrire en atelier, c’est ce qui compte. Nous sommes dépendants les uns des uns des autres, à des degrés divers, et de façon différente tout au long de notre vie. La véritable autonomie vous l’atteindrez au travers de ce que vous écrivez, et peu importe qu’il vous aie fallu la structure ou le nid de l’atelier. Nos sommes au monde autant de un tout seul à tous gagner notre vie pour atteindre à cette fameuse autonomie où nous ne servons qu’à faire tourner une économie qui vomit nos particularités. c’est n’importe quoi ce que j ‘écris. je suis trop fatiguée, mais peu importe. nous avons tellement perdu, la vie en société s’est à ce point dégradée, qu’il est vraiment souhaitable que des mini mondes se reforment, où l’isolement peut se briser. Isolement qui n’est pas la solitude. La solitude, ça se rejoint. s’il y a une autonomie à viser ce ne serait que celle par rapport au fonctionnement de cette société qui mène le monde à sa perte. Et puis , il y a des gens plus dépendants que d’autres et c’est comme ça. des fonctionnements autres, et c’est comme ça. qui apporte autre chose autre part. seigneur, j’espère que je n’ai pas écrit trop de bêtises…
amicalement 🙂