Un bon garçon, toujours prêt à aider, assez adroit de ses mains aussi, il aimait ça les jeux d’adresse oui, le corps et le coeur, c’est ça, l’esprit aussi, mais oui, le corps et le coeur et s’il fallait choisir, le coeur.
Il a tout arrêté du jour au lendemain. Je n’ai plus eu de nouvelles. Il vivait dans des squats, il bougeait beaucoup, il avait des discours, comme on dit, très théoriques. Et puis il est parti sur l’île. Et puis il a vu la crasse. Et il y avait une jeune fille très amoureuse. Aussi il y avait l’alcool et la maison. Il faisait chaud aussi. Ce jour-là je lui ai apporté des bouteilles de monoï. Et il mangeait beaucoup de bananes. Oui c’était de toutes petites bananes, des très parfumées. Avant il est venu avec un sac plein de livres, des kilos. Oui il y avait des tas de livres et je ne sais pas s’il avait même pensé à une brosse à dents. Un jour il y a eu une altercation. et lui il était à côté. Il n’a rien dit. Mais quand même il a regardé. Alors quelqu’un est mort ce soir-là. Et pus c’était sale, à coups de poing. C’est qu’on peut tuer à coups de poing. Alors c’est plus d’effort c’est tout. Mais certains sont durs au mal, durs à la fatigue. Et lui il a regardé ça. Et puis il est rentré chez lui.
La courbe du dos, la nuque. Une beauté féroce. Une démarche de chat. L’oeil par en dessous. Longtemps j’ai gardé souvenir de l’odeur de ce lieu, l’exultation, la configuration de la pièce. Ici, on peut cesser de penser, c’est ce que je me disais. C’est étonnant, oui, ces traces qu’on laisse. Il détestait pourtant… les traces. On peut cesser de penser. La joie des corps et le silence. Ici, il n’y a plus rien à dire. C’est étonnant n’est-ce pas, parfois, cette frontière si ténue qui distingue le corps d’un meuble, d’un rocher, d’un élément de décor… Il ne reste plus rien de ce lieu.