#été2023 #05bis | Quatre fois il était une fois

Jeanne

Elle se prend pour une héroïne, redresseuse de torts et donneuse de leçons. Je ne l’aime pas trop, pourtant, c’est ma cousine. A la mort de notre grand-mère, elle m’avait reproché de ne pas donner de mes nouvelles alors que je n’aurais jamais pu la joindre puisqu’elle avait déménagé sans me donner sa nouvelle adresse. Moi je n’ai jamais déménagé. Avait-on vraiment besoin de s’appeler ? Elle est institutrice, je ne suis rien. Elle est structurée, je suis déstructurée. Elle est menteuse, je suis honnête. Elle est manipulatrice, je ne demande rien. Julie est une cheftaine née. Elle a de l’autorité qu’elle exerce depuis sa plus tendre enfance sur les plus faibles, c’est-à-dire sur moi. Mais je ne veux plus me laisser faire. Julie, elle est casse-pieds. Elle s’approprie ce qui ne lui appartient pas. Était-elle la préférée de nos grands-parents ? Non, pas vraiment. Elle avait beaucoup trop d’autorité pour être aimée de notre grand-mère qui était une maîtresse-femme. Notre grand-mère, c’était une maîtresse, elle aurait aimé être institutrice elle aussi. Elle a passé le virus à sa fille qui n’a jamais pu accéder à cette profession. Ne restait plus que Julie, maîtresse-femme elle aussi et devenue institutrice à la faveur d’un concours réussi dans les années 90 après des études de psychologie. Julie a toujours voulu être institutrice pour être au contact des enfants. Dans quelques années, elle rêvera d’être conseillère pédagogique parce qu’elle en aura marre de faire classe à des enfants. A trente-cinq ans, elle se prend toujours pour une jeune première. C’est la première de la classe, celle qui fait la leçon, qui la ramène tout le temps sans faire avancer le schmilblick.

Murcia

Elle est belle la maîtresse avec ses cheveux courts. On dirait une poupée. Moi, je l’aime bien la maitresse. Elle nous a montré comment vivait un phasme. Elle nous a appris à aller chercher des feuilles de chêne, des branches de rosier et de ronces pour leur donner à manger. J’aime beaucoup les phasmes, ils ne bougent pas trop, pas comme la maîtresse qui elle, bouge tout le temps. Elle ne tient jamais en place et gronde les garçons de devant qui chuchotent entre eux en parlant du dernier match de foot. Elle veut qu’on soit attentifs à ce qu’elle dit. Moi, je n’ai pas d’amis. Ma meilleure amie, c’est Julie. Je ne vais jamais dehors en récréation. On préfère que je reste dans la classe. Alors je regarde les phasmes qui ne bougent pas. Je ne les vois pas très bien mais Julie m’a donné une loupe avec une lumière pour que je puisse les observer. Elle est gentille Julie. Elle nous apprend bien en classe.

André Barrière

On peut dire que Julie est une femme de tête. Elle ne lâche jamais l’affaire. Elle dit de moi que je suis comme son père, que j’ai tout de l’agent immobilier, véreux mais généreux. Je l’aime bien Julie je la trouve honnête. Elle a toujours des projets de sortie qui ne nous rendent pas la tâche facile en termes de présence de personnel. Elle est réputée pour être une bonne instit. Exigeante, chiante, mais elle aurait tendance à ne s’occuper que des bons élèves. Elle a pris sous son aile la petite Murcia. D’aucuns disent que c’est la fille d’une prof et que c’est pour cela que Julie s’occupe de cette petite fille. Bien démago tout ça. Elle a bonne réputation auprès des pères d’élèves, un peu moins auprès des mères d’élèves. C’est vrai qu’elle est jolie avec ses cheveux courts coupés à la garçonne. Dommage qu’elle soit mariée et fidèle. J’ai tenté ma chance une fois et on peut dire qu’elle est coriace. Elle ne se laisse pas démonter. J’aime ce genre de fille : douce et forte à la fois. J’ai longtemps été amoureux d’elle. J’ai compris qu’elle ne m’aimait pas lorsqu’elle n’a plus rien demandé pour les gosses l’année dernière. Pas de sortie, pas de livres, pas de dictionnaire, rien pour améliorer le quotidien de ces gosses qui ont besoin d’une maîtresse pour exister. Ça m’a flingué. C’est une femme qui a une tête bien faite.

Lucie

Lucie connaît Julie parce qu’elle vient à la médiathèque d’Aurelcastel avec ses classes et ses enfants. Elle ne fréquente pas la section adultes, uniquement la section jeunesse. Elle jouit d’une solide réputation d’exigence qui traîne derrière elle. Exigeante et chiante à la fois, condescendante et méprisante quand il s’agit de faire quelques demandes aux bibliothécaires. Elle est en tout cas réputée pour être lunatique. Gentille quelques fois, méchante à d’autres fois. Chacun aura sa version de Julie. Ce sont ses proches qui en parleraient certainement le mieux, son mari et ses amis. Lucie sait que sa famille ne compte pas trop pour Julie, ni son père, ni sa mère, ni son frère. Seuls comptent son mari et ses enfants. Lucie ne sait pas pourquoi elle ne parle plus à ses parents. Une blessure d’enfance ? Lucie sait que Julie a de fâcheuses tendances à la dépression. Et ce regard de chien battu qu’elle prend parfois. Lucie ne la trouve pas spécialement jolie. Elle ressemblerait bien à une chanteuse des années 70 mais avec une dentition que ne lui envierait pas un spécimen équin. Lucie n’a pas spécialement envie de lui faire de cadeaux même si elle sait qu’elle dispose d’une bonne réputation d’institutrice exigeante mais attachante. Elle sait qu’elle se bat contre des moulins à vent à Saint-Marcou et que le public est de plus en plus difficile.  Ceci explique sans doute cela, pense Lucie qui se dit qu’elle devrait parler de tout cela avec elle,si elle ne redoutait pas de se faire avaler toute crue.

A propos de Elise Dellas

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